Pas plus que Laverack ou Boulet, Korthals (1852-1896) n’a
créé une race de chiens. Ces éleveurs ont seulement constitué des familles
scientifiquement sélectionnées qui se sont éteintes après eux et ont contribué
à illustrer et améliorer leur race. Les « griffons Korthals » n’ont
jamais été que des « griffons d’arrêt à poil dur », race continentale
et internationale, mais qui descendaient directement des sept géniteurs, dits
« Patriarches », qu’après sélection Korthals considéra comme ayant
été les points de départ de son propre élevage. Il n’en existe plus depuis plus
de trente ans, et il n’en aurait pu subsister qu’au prix d’une intense
consanguinité qui n’aurait pas été favorable à l’avenir de la race. Les
griffons présentés sous le nom de Korthals ne peuvent donc l’être que par des
gens mal instruits.
Les « griffons Boulet » étaient eux-mêmes
des griffons sélectionnés par M. Boulet, industriel français, dans le but
de fixer une variété à poil laineux. Soit que cette sélection fût orientée, du
point de vue pratique, dans un autre sens que celles de poil dur, soit que la
sélection poil laineux n’ait pu aller de pair avec le perfectionnement des
qualités pratiques, ces griffons ne connurent pas la même expansion que leurs
cousins à poil dur, et, aujourd’hui, la race en est probablement éteinte,
tandis que les griffons à poil dur sont de plus en plus répandus et appréciés.
Cela vient de ce que Korthals, un des plus grands maîtres de
l’élevage, ne s’est pas borné à faire de ses propres produits des chefs-d’œuvre
d’homogénéité, de fixité et de qualités pratiques ; par la diffusion de
ses méthodes d’élevage, il a permis à ses contemporains griffonniers de tous
pays de contribuer avec lui à faire du griffon d’arrêt, jusque-là sans
homogénéité physique ni morale, une race parfaitement homogène et de hautes
qualités. Ce résultat fut obtenu uniquement par sélection et gymnastique
fonctionnelle dans le dernier quart du siècle dernier et maintenu depuis par
les disciples de Korthals, unis dans une même doctrine, notamment en France, en
Belgique et en Hollande.
Seuls les Allemands, par chauvinisme, se sont délibérément
écartés de la doctrine de Korthals, de son vivant, et bien que ce fût en
Allemagne que cet éleveur hollandais se fût fixé. Alors que Korthals affirmait que
le griffon d’arrêt était une race internationale et fort ancienne, les
Allemands prétendaient que les griffons à poil dur (en allemand Hunde Stichelhaar
ou Hunde Drahthaar) étaient spécifiquement allemands et que les chiens
dénommés griffons (mot français) étaient d’une autre race. Pour le prouver, ils
s’ingénièrent à créer des chiens différents, se rapprochant du Griffon par le
pelage, mais s’en éloignant singulièrement par leurs lignes et leurs qualités
morales, conséquences de leurs origines : ce fut d’abord le Stichelhaar,
croisement griffons x braque x pointer, puis le Drahthaar, croisement
caniche x pointer x braque x airedale et griffon. Ce sont ces
chiens que l’on rencontre en Allemagne et que l’on ramène aujourd’hui à
profusion sous le nom de griffons et même de Korthals (!), alors qu’il
résulte de ce qui précède que l’Allemagne est le pays où l’on a le moins de
chance de rencontrer de purs griffons.
Après avoir observé sans parti pris ces essais pendant plus
de vingt ans, les griffonniers de tous pays constatèrent que ces métissages ne
procuraient que des mécomptes dans leur descendance et ne pouvaient que
compromettre l’avenir de la race griffonne. Au surplus, bien que ces chiens
produisissent parfois d’aussi bons auxiliaires de chasse que les griffons, sans
jamais surpasser la moyenne de ces derniers, les qualités des meilleurs sujets
étaient acquises au prix de l’abandon de tout ce qui faisait la supériorité du
griffon : double fourrure imperméable, intelligence, souplesse,
homogénéité et fixité physiques et morales. En outre, si les premiers créateurs
des Stichelhaar et des Drahthaar avouèrent toute leur cuisine dans les
pedigrees de leurs chiens, il n’en fut pas de même par la suite, ainsi que le
prouva la vérification de centaines de pedigrees. C’est pourquoi les
responsables de l’élevage français et belge décidèrent de ne plus reconnaître
comme griffons bona fide aucun de ceux nés en Allemagne depuis le 1er janvier
1914. Que les importateurs de chiens allemands sachent donc que, s’ils ramènent
par hasard quelques bons chiens de chasse d’aspect plus ou moins griffon, ces
chiens ont vraisemblablement dans leurs veines une forte dose de sang
hétéroclite et seulement, ou pas du tout, une faible dose de sang griffon.
L’utilisation de ces sujets pour l’élevage ne peut donc conduire qu’à des
déboires, et ce quels que soient leurs qualités pratiques et leur aspect ;
car, de même que l’habit ne fait pas le moine, le poil seul ne fait pas le
chien. Il se trouve, en effet, des chiens allemands ayant l’aspect d’honnêtes
griffons ; de même, certains purs griffons à poil dur ont un poil à
tendance laineuse, faute de toilette et d’entretien, le sous-poil étouffant le
poil dur, ce qui n’empêche pas de les préférer, pour l’élevage, à des sujets
d’apparence poil dur d’origine douteuse. En matière d’élevage, le courant de
sang est beaucoup plus important que les caractères individuels des géniteurs.
Au surplus, pourquoi utiliser des ersatz alors qu’il est
possible d’utiliser le produit pur ? L’élevage du griffon à poil dur a
repris en France depuis deux ans avec une activité jamais connue ; le
nombre des amateurs est plus du double de celui d’avant guerre. S’il est encore
difficile de se procurer un adulte, ce qui prouve que ceux qui en ont en sont
satisfaits, les chiots ne manquent pas.
Quant à prétendre que les griffons français ou belges sont
inférieurs comme qualité aux pseudo-griffons allemands, et même aux autres
chiens français, c’est encore là le vestige d’une vieille légende. Seuls parmi
les continentaux des griffons se sont cependant offert le luxe de battre des
pointers en field-trials, et, récemment encore, en Belgique, une griffonne à
poil dur authentique, dont le sang coule aujourd’hui largement dans les
griffons français, a battu plusieurs fois plus de vingt pointers et setters,
faisant toujours 1er prix. Mais ce n’est ni la fonction, ni
l’ambition des griffons de battre les chiens anglais ; les uns et les
autres répondent à des conceptions différentes du chien de chasse.
Tel qu’il fut conçu et réalisé par Korthals et ses
disciples, le griffon faisait en plaine le trait d’union entre le vieux
continental et le chien anglais, chassait en outre au bois, au marais, en eau
profonde, suivait à la trace et à la voix un gros gibier, le tenait au ferme, attaquait
le mordant (renard, putois, etc.), faisait office de chien de garde et, enfin,
grâce à sa double fourrure imperméable, sa robustesse et son énergie
légendaires, ne se souciait pas plus du froid et des intempéries que de la
chaleur. Ce sont là les vraies fonctions du griffon, ses aptitudes effectives sommeillantes
ou déclarées, selon que ses utilisateurs les négligent ou les provoquent. C’est
pour les avoir méconnues ou méprisées, pour avoir annihilé les unes en voulant
accentuer les autres, que certains utilisateurs ont parfois déformé le griffon
en voulant en faire, uniquement en plaine, un concurrent de ceux qui n’étaient
faits que pour elle, laissant ainsi s’atrophier ses autres aptitudes. Et ceux
qui ont critiqué le griffon avaient soin de ne mettre en parallèle que les
fonctions courantes qu’il partage avec tous les autres continentaux, sans leur
rendre des points, en oubliant que, par ses aptitudes spéciales, sa
constitution particulière, son intelligence, il est un chien universel et que
sa destinée est ailleurs.
Toutes les races produisent de bons chiens ; à chacun
de choisir selon ses goûts et ses besoins. Le griffonnier n’est pas sectaire,
il est pratique et veut un chien qui, de septembre à fin mars, de la perdrix
des chaumes, du lièvre des betteraves ruisselantes, du lapin des ronciers, de
la bécasse des gaulis, passe, avec le même amour de la chasse, au colvert
démonté dans le courant rapide et glacé du fleuve.
L’avenir de ce précieux auxiliaire est entre les mains des
éleveurs, qui doivent, fidèles à la doctrine de leur club, produire des chiens
de travail au moyen d’unions raisonnées affranchies de tout esprit mercantile.
Il est aussi entre les mains des utilisateurs, qui doivent demander à leur
chien un travail idoine à ses fonctions et ne pas laisser s’atrophier, sous
peine de les voir disparaître, les aptitudes particulières qui ont fait du
Griffon, selon l’expression d’un auteur du XIXe siècle, le
« zouave de l’espèce canine ».
J. CASTAING.
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