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Peut-on pêcher à la mouche sous la pluie ?

Comme le vieux professeur qui ne lisait plus, mais relisait, je relis Le Chasseur Français. Voici ce qu’aujourd’hui je trouve sur Le Chasseur Français de novembre 1913, sous la plume de L. Rouquet.

Rien à faire par la grosse pluie, j’ai été assez bête pour me laisser tremper quelquefois jusqu’aux os, espérant que mon imprudence me vaudrait quelques vandoises de plus ; jamais, jamais je n’ai réussi.

Or, j’ai péché, moi aussi, sous la grosse pluie, ainsi que le relevé suivant de mes notes sur le changement de temps et la pluie en fait foi :

Toujours au changement de temps, le poisson mord à la mouche.

Après une série de plusieurs jours de vent sud-ouest, à la fin desquels le poisson était absolument sans appétit et invisible, vient une journée de vent nord-ouest. Le ciel se couvre, devient gris sombre uniformément, un ciel teinte neutre, dirait un aquarelliste, le vent se calme. Ça sent la pluie, on l’attend d’une minute à l’autre.

Je mets mes grandes bottes, mon manteau imperméable, un suroît sur la tête. Pas d’épuisette. Il va pleuvoir, il faut être paré et n’avoir que le moins possible de mouvements à faire.

L’eau est sombre et calme. Où sont-elles ? Dans le courant ? sur le « filet » ou dans le mou ? Regarde, fouille ..., ne vois-tu rien, rien ? Ah si ! un éphémère non loin de moi ; puisque celui-là passe par là, d’autres peuvent avoir passé ou passeront : c’est un premier indice. Ne nous pressons pas, regardons encore ... tiens ! un bouillonnement, des ronds qui s’agrandissent presque dans le mou : « Elles y sont ! » Alors « allons-y » et dans peu de temps le panier se remplit. Hier, au même endroit, à la même heure, je n’aurais rien pris. Le temps change : il est changé. On dirait que le poisson, craignant une crue subite, qui l’obligera peut-être à la diète forcée, s’empresse de garnir son estomac.

Le lendemain, il pleut, il pleut depuis toute la nuit. Il est midi et il pleut encore. Que faire ? Rester à la maison à habiller de nouvelles mouches dans l’atelier bien éclairé, où il fait bon : c’est tentant. Pourtant, une journée perdue, sans se remuer un peu : non, je pars quand même — au retour la maison sera meilleure. Équipé comme hier, mais cette fois-ci, ce ne sera pas inutile, il pleut, il pleut tant, que j’ajoute le ... parapluie.

Je les ai trouvées dans le mou, sur le gravier, à très peu de distance du bord et de profondeur. En arrivant, je les ai vues tout de suite qui bouillonnaient. Il a plu tout le temps, ça tombait à grosses gouttes chaudes ; mon parapluie fixé à l’épaule, le manche enfoncé dans la poche de l’imperméable, les mains libres, je lançais à moins de 10 mètres. Je fis deux coups doubles, deux vandoises une fois, deux chevesnes la seconde. En une heure, j’avais le panier plein, la pluie s’était enfin arrêtée. L’eau était redevenue calme, on voyait le fond partout, « on » me voyait, ça ne mordait plus et je rentrai si tôt à la maison qu’on ne me crut pas quand j’annonçai ma prise.

Ceci se passait fin septembre, sans orage. Il est probable qu’en même temps que la pluie il devait y avoir une belle éclosion, la pluie noyant les insectes.

M. Rouquet, vous n’avez pas eu de chance ...

P. CARRÈRE.

Le Chasseur Français N°615 Août 1947 Page 530