La situation alimentaire générale est grave, on le sait. Il
faut le répéter, non pas pour troubler les masses, mais dans un simple souci de
vérité, et chacun doit s’ingénier à trouver des solutions, même à l’échelle la
plus modeste. Le principe est le suivant : faire glisser vers l’homme le
maximum d’utilités, en réduisant les transformations qui sont toujours
accompagnées de pertes ou dont le rendement est parfois bien faible ;
ainsi risque-t-on de priver les animaux de grains. Mais il faut essayer de ne
pas diminuer notre approvisionnement en produits d’origine animale. Aussi
doit-on utiliser au mieux les produits fourragers proprement dits et rechercher
les moyens les plus variés d’accroître les réserves.
Pour bien utiliser les produits fourragers, le point
important est de diminuer les pertes. Or, lorsque l’on fauche sans faire
consommer tout de suite en vert, la dessiccation entraîne des pertes qu’aggrave
encore le mauvais temps, ainsi qu’une forte exposition au soleil. On réduit les
pertes en faisant sécher sur siccateurs, sur perroquets ; on étudie même
des méthodes de séchage accéléré qui, mises en application, comporteraient le
minimum de pertes, mais il existe un ensemble de procédés d’une grande
efficacité et qui sont basés sur la conservation à l’état vert, c’est-à-dire
l’ensilage.
L’ensilage est connu, il est fait de temps à autre de la
propagande pour l’ensilage, mais on n’en parle pas d’une manière continue comme
de l’emploi des engrais, de la sélection des semences, du choix des variétés,
de l’alimentation rationnelle. Pour quelles raisons ? Tout d’abord, on
appréhende de sortir du silo des matières absolument décomposées,
inutilisables ; en outre, il est question de fermentations, langage un peu
subtil lorsque l’exploitation ne comporte pas cet acheminement, comme dans la
vinification ; enfin, l’ensilage demande des silos. Les silos à fourrage
vert des anciens types anonymes ne comportaient pas de marque. Les ensilages se
font maintenant particulièrement en silos verticaux, en silos-cuves qui
résultent des travaux des constructeurs. On hésite presque à prononcer des noms
et ceux qui lisent ou qui écoutent attendent un nom. Que la question soit
posée, c’est assez naturel, mais nous devons nous élever au-dessus de ces
contingences et dire nettement en quoi consiste l’ensilage, à quoi il sert, et
les mérites qu’il possède ; on ne doit pas non plus laisser dans l’ombre
les inconvénients, les difficultés, les accidents.
Essayons d’établir ce résumé. On fait de l’ensilage en
accumulant des fourrages fraîchement récoltés, en dirigeant les fermentations
qui se déclarent dans la masse, en orientant d’une manière plus précise ces
fermentations par l’addition de substances diverses. Quelle que soit la forme
donnée au tas, que le fourrage soit à l’air libre ou qu’il soit enfermé dans
des silos, le point de départ ne change pas.
Si l’air a librement accès, si des précautions ne sont pas
prises pour l’expulser de la masse, des fermentations dégageant une température
élevée se manifestent (50, 60, 65°) ; à cette température, des pertes de
substances se produisent, mais si, sans trop attendre, on charge à nouveau le
tas, la température baisse, un régime différent s’établit, caractérisé par les
fermentations lactiques ; l’acide lactique produit est un excellent agent
de conservation. Tout va bien s’il ne reste pas de poches d’air dans la masse,
sinon on trouve plus tard des moisissures. Enfin, si le fourrage est sale, s’il
a traîné à terre, apporté de la terre, été souillé pendant le chargement du
tas, s’il a commencé à faner dans le champ où la récolte a lieu, apparaissent
des fermentations butyriques, acétiques, ammoniacales, même putrides ;
odeurs infectes, pertes considérables, marchandises altérées.
Goffart, l’initiateur de l’ensilage en France, vers 1855,
avait, à l’époque, marqué nettement le point de départ des bons ensilages, en
recommandant un tassement régulier, énergique, afin de chasser l’air. Depuis,
bien des variantes sont intervenues, mais l’expulsion de l’air reste à la base
de tous les procédés d’ensilage.
Il a été question de pertes ; on les limite en
ensemençant, dès le début, avec des ferments lactiques, en mettant du
sel ; on fait mieux encore en acidifiant les fourrages, et ainsi les
températures restent basses, ce qui réduit singulièrement les pertes, notamment
en substances azotées, l’élément le plus coûteux dans les fourrages.
L’ensilage se fait en fosses ; celles-ci sont de
simples excavations en terre (un milieu sain est recommandable), ou encore des
fosses larges dont les parois sont garnies de moellons, de briques, de ciment,
de bois ; on utilise des meules, simples tas sans aucun aménagement
préalable ; qui se placent n’importe où ; après la guerre 1914-1918,
on a introduit en France les silos-tours, déjà connus un peu partout dans le
monde, et qui s’étaient propagés à cause de l’économie de main-d’œuvre qui
résulte du tassement réalisé par le fourrage lui-même disposé sur une hauteur
de plusieurs mètres. Enfin, entre les deux guerres s’est répandu l’ensilage en
cuves, avantageux par sa souplesse d’adaptation, le silo unique dans la petite
ferme pour 4, 5 têtes, la batterie de silos pour la ferme moyenne et même
la grande culture. Les fourrages sont acidifiés ; on a utilisé divers
acides, on s’est arrêté maintenant à l’acide formique. Le silo-cuve est
monobloc, construit sur place en béton armé, ou constitué par des éléments
préfabriqués dont l’assemblage n’offre guère de difficultés.
Deux modes d’apport des fourrages : entiers ou après
division au hache-paille aménagé à la longueur de coupe voulue, avec addition
d’un ventilateur si l’on veut renvoyer le fourrage dans une tour. Le fourrage
divisé se tasse mieux, il est d’une distribution plus facile aux animaux,
surtout si l’on veut le mélanger avec d’autres produits tels que des menues
pailles.
L’ensilage bien mené doit se traduire par un minimum de
pertes pendant la conservation ; il évite les pertes au champ, permet
d’utiliser des fourrages très variés et même des plantes spontanées, autrement
non consommables ; c’est une méthode d’économie. On lui reproche d’obliger
à la manutention de masses importantes ; le fourrage séché représente en
moyenne le quart du fourrage vert. Enfin, l’ensilage permet de supprimer la
betterave fourragère par son rôle équivalent dans la ration, avec beaucoup
moins de soucis de main-d’œuvre. L’année 1947 devrait marquer une recrudescence
de cette excellente pratique.
L. BRÉTIGNIÈRE,
Ingénieur agricole.
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