Tandis que les Américains, à la célèbre station de
White-Sands, dans les déserts du Nouveau-Mexique, poursuivent leurs expériences
sur les (« Super V-2 » à grande puissance, et que de mystérieux
projectiles auto-moteurs tombent impartialement sur les pays Scandinaves et sur
la Grèce, les Anglais annoncent la création d’un certain champ de tir pour
projectiles fusées, qui mesurera — tenez-vous bien — 5.000 kilomètres
de longueur à travers le continent australien et l’océan Indien.
Ainsi se poursuit, sur un rythme accéléré, cette course à la
fusée interplanétaire qui doit trouver logiquement son aboutissement
dans la conquête des astres.
Les V-2 « auto-moteurs » sans point d’appui.
— Si le fameux V-1 et les engins du type Feuerlilie,
utilisés pour le tir contre avions, possèdent une « voilure » plus ou
moins développée qui leur permet de prendre appui sur l’atmosphère, il n’en est
pas de même du V-2, qui — reconnaissons-le malgré son origine allemande
— représente la plus puissante réalisation actuellement existante dans le
domaine des engins capables de sillonner le vide interplanétaire.
De cette possibilité, le V-2 a administré la preuve durant
la guerre en atteignant l’altitude de 95.000 mètres au cours des bombardements
de Londres. En perfectionnant les V-2 et en substituant à la charge explosive
des instruments enregistreurs, les ingénieurs américains ont pu atteindre
l’altitude semi-astronomique de 165.000 mètres. Déjà, les appareils
photographiques emportés par des engins montant à 120.000 mètres montrent
nettement la rotondité de la Terre.
À ces distances considérables, la pesanteur terrestre
commence à diminuer sensiblement. À 165.000 mètres, cette diminution est de
1/20 ; à 6.000 kilomètres, c’est-à-dire au 1/60 de la distance de la lune,
les engins ne pèseront plus que le quart de leur poids au sol.
Le fuséodrome trans-australien.
— Le champ de tir continental australien partira du
mont Eba, non loin d’Adélaïde ; sa largeur, sur tout le parcours, sera de
320 kilomètres, et sa longueur totale de 4.800 kilomètres, ce qui
nous conduit jusqu’aux abords de l’île Christmas. Étant donnée la nature
désertique des territoires traversés, où la civilisation n’a pour ainsi dire
pas pénétré jusqu’ici, les dépenses ne dépasseront pas 2 milliards 500 millions
de francs. On construira également un embranchement de chemin de fer long de
100 kilomètres et une conduite d’eau potable longue de 320 kilomètres.
Au voisinage de la « gare de départ » des fusées
s’élèvera une ville de 2.000 habitants.
La surveillance de cette énorme bande de territoire, qui
coupe diagonalement le continent australien en deux parties, sera confiée à des
avions. Des postes d’observation, placés à intervalles égaux tout au long de la
ligne médiane, permettront, concurremment avec les avions, d’étudier la
précision du tir. Il est à prévoir que ces observatoires seront puissamment
protégés ; celui de White-Sands, construit à l’épreuve de projectiles
« tombant de l’infini », est couvert par une épaisseur de béton de 8 mètres.
Le robot, pilote interplanétaire.
— Actuellement, les engins fusées ne sont pas
« montés », c’est-à-dire qu’ils n’emportent aucune créature humaine à
bord. Même lorsque la sécurité sera suffisante pour autoriser la présence d’un
pilote, la conduite de ces engins puissants et « accélératifs »,
véritables pur sang de l’espace, devra nécessairement être confiée à des
dispositifs automatiques.
Le V-2, ici encore, nous fournit un bon exemple de ces
pilotes robots. Outre la machinerie auto-régulatrice d’alimentation de la tuyère
à feu propulsif, l’engin comporte deux gyroscopes, à axes perpendiculaires,
chargés du pilotage. À l’inverse des gyros d’aviation, qui interviennent en
agissant sur les gouvernails — direction et profondeur — et sur les
ailerons, les gyros des V-2 agissent sur des volets déflecteurs en graphite,
qui dévient le jet de feu propulsif.
Les V-2 et la plupart des engins automoteurs sont en outre
guidés par radio. Différents systèmes ont été mis au point, notamment le
célèbre procédé Rheinland, où le conducteur de l’engin demeure au sol. La
preuve est faite que le guidage de ce type d’engins peut être assuré
radio-électriquement avec une très bonne précision ; l’utilisation de la
« modulation en fréquence » semble, d’autre part, offrir toute
garantie contre les tentatives de brouillage de l’ennemi.
Un radar fait le tour de la Lune !
— Le radar, procédé d’exploration radio-électrique à
distance basé sur la réflexion des ondes, a permis d’amplifier considérablement
la guerre aérienne en facilitant les bombardements et la chasse de nuit. La D. C. A.,
de son côté, a trouvé dans le radar un puissant auxiliaire pour la détection et
le repérage automatique des avions ennemis.
En connectant des radars avec des appareils
électromécaniques automatiques, on a pu réaliser de surprenants robots doués de
vision et capables de remplir les missions les plus complexes. C’est ainsi que
Londres a été littéralement sauvée des V-l par les batteries de D. C. A.
commandées par radar, tandis que les avions de chasse étaient équipés de « mitrailleuses
radars » qui se braquaient et tiraient automatiquement sur un avion ennemi
dans l’obscurité.
En équipant les obus de minuscules postes de radar logés à
la pointe de l’ogive, les Alliés ont pu fabriquer des millions de « projectiles
à œil » ; ces obus très particuliers « aperçoivent » le but
et explosent spontanément à moins de 25 mètres. Leur efficacité est trois
fois plus grande que celle des obus amorcés avec de simples « fusées à
temps ».
Les Américains projettent actuellement d’équiper une fusée
interplanétaire avec des radars destinés à lui permettre de contourner la
Lune ; une liaison angulaire simple suffira pour obtenir ce résultat.
D’autres radars, conjugués avec des appareils chronométriques, permettront à
l’engin céleste de nous rapporter des photographies de ce célèbre hémisphère
invisible de la lune, qui demeure un des plus irritants mystères de
l’astronomie.
Pierre DEVAUX.
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