E nos jours, les petites annonces, les réclames
diverses, en un mot la publicité nous paraît une nécessité et nous semble aussi
toute naturelle ; il n’en était pas de même au temps jadis. Si elle a
existé, peu ou prou, de tout temps, c’est à un médecin français du XVIe siècle,
Théophraste Renaudot, qu’elle doit sa première charte, son premier
établissement régulier et pratique.
Si cet excellent docteur revenait sur terre, il serait, à
n’en pas douter, le plus heureux des hommes. Créateur du premier journal
français, il constaterait avec plaisir que sa Gazette de France a vécu
plus de trois siècles, et, avec plus de satisfaction encore, l’importance
primordiale prise par la presse dans la vie quotidienne. Homme d’imagination,
esprit inventif, il a réalisé la plupart de ses projets, qui ont pris tous de
l’extension, comme les monts-de-piété et les consultations gratuites pour les
indigents. Une de ses créations, et non des moindres, celle des petites
annonces, connaît toujours une grande vogue et a même été reprise, grâce à
l’invention du téléphone, par le service S. V. P.
Renaudot avait déjà exercé la médecine et rêvait de fonder
un journal lorsque, en lisant les Essais de Montaigne, son attention se
fixa sur le passage suivant : « Feu mon père ... m’a dit
autrefois qu’il avait désiré de mettre en train qu’il y eut ès ville certain
lieu désigné auquel ceux qui auraient besoin de quelque chose pussent rendre et
enregistrer leurs affaires à un officier estably pour cet effet ; comme je
cherche à vendre des perles, je cherche des perles à acheter ; tel veut
compagnie pour aller à Paris, tel s’enquiert d’un serviteur de telle
qualité ; tel d’un maître ; tel demande un ouvrier, qui ceci, qui
cela, selon son besoin. Et semble que ce moyen de nous entr’advertir apporterait
une légère commodité au commerce publique. Car, à tous coups, il y a des
conditions qui s’entrecherchent et, pour ne s’entendre, les hommes en laissent
extrême nécessité. »
Isaac de Laffemas, dans un mémoire sur le Commerce de la
France au roi Henri IV, en 1606, avait proposé de mettre ce projet à
exécution, mais le monarque ne l’écouta pas.
C’est en 1630 que Renaudot installa son bureau d’adresses,
en plein cœur de Paris, rue de la Calende — c’est aujourd’hui la rue de
Lutèce, devant le Palais de Justice — dans une maison à l’enseigne du Grand
Coq.
Pour faire connaître son œuvre, il composa un prospectus
dédié à Amador de La Porte, gouverneur d’Angers. On pouvait demander de tout à
ce curieux organisme : un précepteur, un confiturier, un laquais, un
maître d’hôtel, un écuyer, des études de notaires à vendre. Les amateurs y
trouvaient à leur disposition les listes des bibliothèques et des cabinets de
curiosité de la capitale, alors ouverts assez libéralement. Il était facile,
par l’intermédiaire du Grand Coq, de vendre ou d’acheter toutes sortes
de choses : médailles, tableaux, livres, plantes rares, etc. Était-on
malade ? Renaudot se chargeait de vous indiquer l’endroit où l’on pouvait
trouver des bouteilles d’eaux de Spa ou de Pougues, ou encore de Forges,
stations thermales alors fort renommées. Allait-on se marier ? On vous
indiquait des appartements à louer, se chargeait de faire part de la cérémonie
et conseillait une salle pour le repas de noces ; on se chargeait aussi
d’annoncer la nouvelle aux amis et parents de province, de les tenir au courant
des changements de domicile du jeune ménage ou de la naissance d’un enfant. Les
étrangers trouvaient à ce bureau les adresses des personnages les plus
importants, les plaideurs celles des avocats les plus fameux ; on y
donnait même des consultations juridiques. Les touristes n’étaient pas oubliés
non plus : Renaudot avait fondé une sorte d’agence donnant les heures de
départ des coches et des messageries et permettant de trouver un compagnon de
voyage ou d’acheter un cheval ou un carrosse.
L’organisme de Théophraste Renaudot, où l’on trouvait
« l’adresse de toutes les choses qui peuvent tomber dans le commerce et la
société des hommes », eut un tel succès qu’un privilège royal l’autorisa
bientôt à fonder des succursales en province. Le Bureau de Paris était ouvert
de huit heures du matin à midi et de deux heures à six heures ; l’entrée
en était interdite aux femmes, ceci pour éviter, disait le fondateur, les
suites de la corruption du siècle ; le soupçon et la médisance étaient
formellement exclus du Bureau. On consignait les offres et les demandes sur des
registres spéciaux ; le droit d’inscription était de trois sols, mais il
était gratuit pour les indigents.
Les auteurs de ballets du XVIIe siècle
— ancêtres de nos revuistes et chansonniers actuels — mirent à la
scène cette amusante création. Le « Ballet du bureau de rencontre »,
donné au Louvre, devant le roi, lors du carnaval de 1631, a comme compère le
maître du bureau lui-même, qui raille les médecins et affirme que :
Le meilleur secret d’Hippocrate
Est de guérir le mal de rate ...
Puis on voyait successivement défiler le courtier, le
porteur de Gazettes — notre actuel porteur de journaux, — les femmes
qui cherchent un valet, les messagères d’amour, la nourrice qui veut se placer
à Paris, etc.
Si l’on en croit cette revue, le Bureau, servait aussi aux
intrigues amoureuses, ce qui semble paradoxal, puisque les femmes en étaient
proscrites. Le passage suivant semble du moins le prouver :
Filles qui cherchez maris,
Beaux garçons qui cherchez femmes,
Donnez trois sols tant seulement
Vous aurez contentement
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Après se sauve qui peut
Avec la blanche [blonde] ou la brune
Dans le « Ballet du bureau d’adresse dansé devant
Monseigneur le duc d’Enghien » à Dijon, le 30 décembre 1640, nous
voyons Renaudot entre la Renommée et le Mensonge faire de la publicité en
faveur de sa maison :
Vous de toutes conditions
D’aage, d’honneur, de nations,
Venez à moi, je vous invite
D’approcher de ce grand bureau.
Ne craignez rien, tout s’y débite,
Le vray, le faux, le laid, le beau ...
Tous ces couplets prouvent, comme l’a montré E. Hatin,
dans son Histoire de la Presse en France, « l’opportunité,
l’excellence de l’idée que Renaudot avait mise en pratique ». Le roi
s’était intéressé au projet, et l’oncle de Richelieu, Amador de La Porte, en
avait accepté la dédicace. Cependant la fameuse maison du Grand Coq
périclita peu à peu. Après la mort de Richelieu, après celle de Louis XIII,
la haine de la Faculté de médecine eut raison des inventions de Renaudot.
L’armée des Diafoirus et des Purgon lui intenta des procès ruineux. En octobre
1653, Guy Patin écrivait : « Le vieux Théophraste Renaudot est mort
ici, gueux comme un peintre. » Cette méchante langue oubliait que ses
chers confrères avaient largement contribué à réduire à la misère ce grand
inventeur.
Le 4 juin 1893, une statue à Renaudot était élevée par
les soins de la Ville de Paris, rue de Lutèce ; les nazis la firent
disparaître.
Roger VAULTIER.
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