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Un indésirable dans nos cours d’eau

Le crabe chinois

Depuis un demi-siècle, notre faune piscicole française s’est enrichie de quelques espèces nouvelles.

Certaines de ces espèces sont intéressantes ; c’est le cas du black-bass, de la truite arc-en-ciel et du saumon de fontaine.

D’autres sont franchement nuisibles, la perche soleil et le poisson chat, qui, dans certains de nos étangs, sont de véritables calamités, au point qu’une décision ministérielle du 19 février 1934 les classe comme espèces particulièrement nuisibles à détruire.

Deux espèces de crustacés exotiques ont, pendant cette période, fait leur apparition dans nos eaux. L’une est très intéressante, c’est l’écrevisse américaine ou « cambarus », qu’un profane distingue difficilement de nos écrevisses indigènes. Elle en a le goût et pullule dans les eaux chaudes et même polluées. On en pêche en abondance à Paris, dans la Seine et dans les canaux de la ville. Elle semble intéressante à propager dans nos eaux à cyprinides et fera l’objet d’une prochaine chronique.

Mais la deuxième acquisition est loin d’être aussi intéressante et menace de devenir une catastrophe dans nos eaux douces et saumâtres de la région nord de la France. C’est le crabe chinois ou Eriocheir sinensis.

C’est un crabe de grande taille à carapace bombée et bosselée de couleur vert-olive et teintée de jaune, de forme carrée de 70 millimètres environ de côté, et des pattes longues et frêles. Il présente un dimorphisme sexuel bien accusé.

Les pinces du mâle sont fortes et portent, détail caractéristique et remarquable, près des pinces, un manchon brunâtre de poils assez longs et denses. Les pinces de la femelle sont plus minces et les poils plus courts et moins abondants.

Si donc, dans le quart nord-ouest de la France, vous trouvez un crabe aux pattes velues en eau saumâtre ou douce, vous êtes certain d’avoir un crabe chinois.

Il est originaire des côtes et rivières de la Chine. Comment est-il venu en Europe ? On l’ignore, mais toujours est-il que le premier exemplaire en fut identifié le 2 septembre 1912 en Allemagne, dans un affluent de la Weser.

On dit que des spécimens de crabes chinois étaient restés accrochés à la coque d’un navire allemand voyageant entre la Chine et l’Allemagne. Il est plus vraisemblable de supposer que quelques exemplaires de ces crabes ont été pompés dans les réservoirs de lest d’un tel navire et vidangés avec l’eau du lest dans la Weser.

Toujours est-il que, quelques années plus tard, le crabe chinois commença à s’étendre vers l’est et vers l’ouest. Il occupe actuellement les eaux salées saumâtres et douces de toute la Baltique (côtes russes et suédoises comprises).

Dès 1931, on le signalait en Hollande. On en capturait en Belgique, à Bruxelles même en 1936. Le premier exemplaire fut signalé pour la première fois en France sur le littoral du Boulonnais.

On le signale ensuite dans tous les canaux et fossés de la Flandre française, dans l’Yser et l’Aa. Il n’a pu toutefois encore pénétrer dans la Lys, ni dans les rivières de la Slack, de la Liane et de la Canche. En 1942, il atteint la Somme.

Dès 1943, un exemplaire en est pris à l’estuaire de la Seine. Il n’est pas, à l’heure actuelle, signalé plus bas.

Il remonte très bien les rivières sur quelques centaines de kilomètres en Allemagne, puisqu’il remontait jusqu’en Tchécoslovaquie ; on en a trouvé jusqu’à Prague.

En Belgique, il ne s’avance que de quelques dizaines de kilomètres.

En France, on ne le trouve heureusement qu’à quelque dix ou quinze kilomètres de la mer. Il abonde vers Dunkerque.

Mais son invasion reste à craindre, elle est lente mais sûre.

Sa biologie est assez complexe. En gros, il pond en mer ; les jeunes, dès le printemps, montent en eau douce. Après trois ou quatre années de vie en eau douce, les adultes, en automne, descendent vers la mer.

Il se nourrit en rivière de tout ce qu’il peut trouver, herbes, algues, graines, mollusques, larves aquatiques, petits crustacés et charognes diverses. Il est certain qu’il dévore le frai des poissons et les alevins quand il peut les attraper, ce qui doit lui être assez difficile.

C’est la malédiction des pêcheurs à la ligne. En certains endroits, il est impossible de laisser une ligne tendue cinq minutes sans que les crabes ne dévorent l’esche. Aussi les pêcheurs demandent-ils avec juste raison qu’on les détruise puisqu’ils mangent le frai, la nourriture du poisson, et empêchent de pêcher à la ligne.

Honni du pêcheur, il l’est également du riverain et de l’ingénieur, car il a la mauvaise habitude de creuser des galeries dans les berges sur 0m,50 à 1 mètre de profondeur, ce qui les dégrade et les fait s’ébouler.

Comment le détruire, car il est nécessaire de lutter contre un tel fléau ? Les Allemands et les Hollandais ont étudié depuis trente ans ce problème et ne sont arrivés à aucune solution décisive.

Le seul moyen mécanique qui ait donné quelques résultats est celui de la fosse à crabes, recueillant, aux écluses, les crabes descendant à la mer pour se reproduire. De telles fosses pourraient être construites dans nos écluses des Flandres,

On n’a pas encore réussi à lui trouver de parasites qu’il fût intéressant de développer.

On a essayé alors de l’utiliser pour l’alimentation de l’homme ou des animaux. On peut évidemment, comme tout autre crabe, le consommer frais, et il est acceptable, sans plus.

On a essayé, avec un succès médiocre, de le réduire en poudre pour le mélanger à la nourriture des volailles et des porcs.

Les experts industriels allemands ont renoncé à l’utiliser pour l’extraction d’huile ou de produits d’assaisonnement des potages. Ils en auraient, paraît-il, fait des saucisses à l’usage exclusif des prisonniers de guerre, ce qui n’est pas une recommandation.

Souhaitons aux pêcheurs que son invasion se limite à son aire actuelle, mais ne l’espérons pas trop. Et, dès à présent, signalez aux Services de la Pêche compétents les crabes aux pinces velues que vous rencontrerez à l’ouest de l’embouchure de la Seine.

DE LAPRADE.

Le Chasseur Français N°616 Octobre 1947 Page 578