Les bourdons ne sont point des êtres inutiles, leur rôle est
même important, puisque d’eux seuls dépend la fertilisation des jeunes reines.
Mais, pour cela, il n’est pas besoin d’en avoir des légions, quelques centaines
suffisent amplement dans un rucher. En tolérer un plus grand nombre, c’est
entretenir des bouches qui consomment sans profit. Les bourdons, en effet, ne
travaillent pas, on ne les voit jamais sur les fleurs, et ils tiennent dans la
ruche la place d’ouvrières infiniment plus précieuses ; autant de motifs
pour que l’apiculteur restreigne leur élevage.
N’objectez pas que la nature n’a dû faire rien de superflu
et que, si l’instinct des abeilles les porte à élever dans chaque ruche un
certain nombre de bourdons, celui-ci doit avoir son utilité.
À cette objection, Doolittle répond : « À l’état
primitif, les colonies d’abeilles vivaient isolées, il y en avait rarement plus
d’une en chaque endroit. Il fallait donc, avec des colonies distantes de
plusieurs lieues, qu’il y eut en chaque rucher assez de bourdons pour assurer
de façon presque certaine la fécondation des jeunes reines, en l’espace de peu
de temps, sans quoi celles-ci auraient pu devenir la proie des oiseaux ou
autres ennemis. Notre apiculture moderne a changé ces conditions. Les colonies
se trouvent maintenant réunies en grand nombre, et il est évident que les
bourdons d’une seule colonie remplissent le même but que s’il y en avait dix
fois plus. On peut donc raisonnablement supposer qu’il est superflu d’avoir des
bourdons dans chaque ruche d’un rucher composé de vingt à cent colonies.
» On allègue aussi parfois qu’il ne faut pas chercher à
perfectionner la nature et, par conséquent, qu’on doit laisser les abeilles
suivre leur inclination naturelle à élever des bourdons, car elles doivent
savoir mieux que nous ce qui leur convient. Avec pareil raisonnement, il n’y
aurait qu’à revenir à l’état de nature et à rejeter tout progrès et
perfectionnement.
» Certains ont objecté que la présence des bourdons
donne à la colonie un meilleur esprit de travail, mais cette assertion n’est
aucunement prouvée. D’autres prétendent que les bourdons aident à entretenir la
chaleur dans la ruche, mais cet argument ne vaut que si l’on démontre que les
mêmes rayons occupés par des ouvrières ne produisent pas autant de calories.
» Il n’est pas difficile de se rendre compte de
l’avantage qu’il y a à réduire le nombre des bourdons. Dans un pouce carré de
rayon, écrit Doolittle, peuvent être élevées environ 35 ouvrières, tandis
que le même espace ne fournirait que 56 mâles, y compris les deux côtés du
rayon. Ainsi, dans un pied carré de rayon où pourraient être élevés 5.000 mâles,
on pourrait avoir environ 8.000 ouvrières. Serait-ce déraisonnable de dire
que la même proportion de nourriture sera nécessaire pour élever le couvain,
puisque, occupant le même espace, ils doivent consommer la même quantité de
nourriture que 8.000 ouvrières ? Et, à l’éclosion, quelle
différence : on a un petit essaim de travailleuses au lieu de gloutons
oisifs et encombrants !
» L’apiculteur a donc tout profit à ne laisser faire
l’élevage des bourdons que dans une ou deux de ses meilleures colonies et de le
supprimer dans les autres. »
Dans Gleanings in Bee Culture, 1916, E. Dutsmann
préconise également l’extermination des bourdons. « Certains ont prétendu,
dit-il, que les bourdons ne font pas grand tort à l’apiculteur ; ils se
trompent grandement, car il en coûte beaucoup pour élever et entretenir des
bourdons. Pour déterminer ce qu’ils coûtent, nous devons considérer la quantité
de provisions qu’ils consomment et la somme de temps que les abeilles nourrices
consacrent à leur élevage. »
Il a calculé l’espace occupé, la durée de l’élevage et sa
consommation, et il a trouvé qu’il faut 42 p. 100 de plus d’espace, 35
p. 100 de plus de vivres et 35 p. 100 de plus de temps pour produire
un pied carré de couvain de mâles qu’il n’en faut pour la même quantité de
couvain d’ouvrières.
Il est donc bien établi qu’il est profitable de réduire le
nombre des bourdons. Quels sont les moyens à employer ?
Les bourdons peuvent être capturés au moyen de pièges. On
peut les détruire au berceau. On peut enfin empêcher leur élevage.
Restreindre les bourdons en les prenant au piège à leur
sortie de la ruche est un moyen qui n’est guère à conseiller, car on n’évite
pas ainsi les frais d’élevage, et les pièges, ou bourdonnières, que l’on place
devant l’entrée des ruches pour les capturer, sont un obstacle au vol des
butineuses.
Réduire le nombre des bourdons en supprimant leur couvain ne
paraît pas être un expédient meilleur, car les frais d’élevage sont faits,
puisque le couvain, une fois operculé, ne demande pas de nourriture. Si on
détruit les larves, c’est tout un travail imposé aux abeilles pour sortir des
cadavres, et, une fois les alvéoles vidés, la reine y pond de nouveau des œufs
de bourdons, et bientôt ce seront des centaines de nouvelles bouches affamées
qui consommeront une autre quantité de provisions.
Le couvain de bourdons est operculé neuf jours et demi après
la ponte de l’œuf et il éclôt au bout de vingt-quatre jours. L’apiculteur qui
décapite le couvain le fait tous les dix jours. Comptant deux jours pour le
nettoyage des cellules, il pousse les abeilles à dépenser deux fois plus de
provisions, puisqu’elles ont à soigner deux générations durant la même période
de temps, et, en outre, il faut plus de soins et plus de nourriture que si l’on
avait laissé une génération occuper les cellules pendant vingt-quatre jours
entiers.
Le seul moyen vraiment pratique de n’avoir pas de bourdons
est de mettre les abeilles dans la nécessité de n’élever que des ouvrières, en
leur donnant de la cire gaufrée à petites cellules. En garnissant les cadres de
fondation à petits alvéoles, les cirières l’achèveront sans en modifier les
dimensions, et la reine n’y pondra que des œufs d’ouvrières. Ainsi on n’aura
pas de bourdons, ou bien peu, car il pourra se faire que les abeilles trouvent
moyen d’en élever quelques-uns dans quelque coin de cadre. On pourra sans
inconvénient leur laisser cette satisfaction.
Certains ont avancé que les bourdons étaient nécessaires
pour l’essaimage naturel. Cette idée vient des anciens qui se réjouissaient de
l’apparition des bourdons, considérés par eux comme des précurseurs de
l’essaimage. Il est certain que les bourdons apparaissent dans la ruche à
l’époque de l’essaimage, mais cela ne veut pas dire que leur présence est
nécessaire pour que l’essaimage se produise.
« De prime abord, écrit Doolittle, il semble
raisonnable qu’une colonie ne se prépare pas à essaimer avant qu’elle ait
assuré l’existence de la souche en y laissant de jeunes reines au berceau, mais
je ne sache pas qu’on ait jamais empêché l’essaimage en supprimant le couvain
de bourdons. »
L’essaimage a d’autres causes que la présence des bourdons.
On s’accorde généralement à dire aujourd’hui qu’il est provoqué surtout par
l’encombrement du nid à couvain qui gêne la ponte de la reine et aussi par la
température. Si ces facteurs font défaut, une grande quantité de bourdons ne
causera pas l’essaimage, et, ces mêmes facteurs étant présents, on a vu des
colonies essaimer sans qu’elles aient un seul bourdon même à l’état de couvain.
Il ressort de tout cela que, sauf dans quelques colonies
choisies pour l’élevage, l’apiculteur a tout intérêt à restreindre et même à
supprimer les bourdons.
P. PRIEUR.
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