Dans Le Chasseur Français de février-mars, j’ai lu un
long article dans lequel « un vieux chasseur de Rochefort » déplorait
amèrement la disparition du merle et cherchait à en pénétrer la cause.
Il est certain, en effet, que le merle, humble consolateur
de la bredouille, voit ses rangs s’éclaircir de jour en jour. Il en est de
même, d’ailleurs, de son aristocratique congénère, la grive, tout au moins de
la grive des vignes, turdus musicus, qui, l’an dernier, malgré une belle
saison d’olives, a été pour ainsi dire totalement absente dans le département
des Alpes-Maritimes, sans qu’il y ait eu besoin de prendre contre elle des
décrets d’extermination.
Faut-il en accuser les pies ? Oui, dans une certaine
mesure, mais seulement dans les basses vallées, où elles sont nombreuses, car
elles ne hantent pas les forêts et les bois de montagne où nichent la plupart
des merles et des grives. Il est vrai que, là encore, le geai les remplace un
peu, dans sa gourmandise des œufs fraîchement pondus, et l’écureuil peut-être aussi,
bien que je n’en sois pas très sûr.
Mais toutes ces causes sont insuffisantes pour expliquer une
disparition qui semble vouloir se généraliser. Elles ont d’ailleurs toujours
existé, autrefois comme aujourd’hui, alors que merles et grives étaient nombreux.
Cherchons ailleurs.
S’il est vrai qu’aux dures journées d’hiver nous voyons
quelques merles venir picorer jusque dans nos jardins, il ne faut pas en
conclure que le merle soit absolument sédentaire. Seuls quelques mâles restent
chez nous en mauvaise saison, mais les femelles émigrent et suivent en
compagnons les grives musiciennes. Examinez ceux que vous tuerez au moment des
vendanges. Ils ont presque tous le plastron gris que portent les
femelles ; vous compterez certainement les becs jaunes et les livrées
noires des mâles adultes.
Or le merle vient assez facilement à l’appeau, et, pour qui
connaît cette chasse et s’en donne la peine, il n’était point rare de
rapporter, le soir, avant la guerre, deux douzaines de merles à plastron gris,
par conséquent autant de futures nichées détruites.
Le nombre des chasseurs ayant aujourd’hui centuplé, la
régression des migrateurs ne peut que s’accentuer dans une égale proportion,
d’autant plus que des armes de chasse étant maintenant aux mains des indigènes,
tous ces migrateurs ne trouvent plus la paix et la sécurité dans les contrées
hivernales qui leur étaient autrefois si hospitalières.
Ou bien encore faut-il admettre que toutes les ondes qui
sillonnent l’atmosphère en tous sens avec des intensités croissantes ont
dérouté l’instinct de ces migrateurs que, jadis, le magnétisme terrestre seul
guidait sur les routes ancestrales ? Je serais tenté de donner créance à
cette hypothèse, en constatant une disparition aussi inexplicable que celle du
merle, celle des étourneaux, qui, par milliers, s’abattaient autrefois sur les
oliveraies.
À l’automne dernier, pas d’étourneaux, et ce printemps, à la
repasse, pas davantage d’étourneaux !
Il est assez difficile de conclure pour expliquer clairement
ces disparitions mystérieuses.
Des causes naturelles ? Certes, elles n’ont guère varié
depuis des millénaires, et je suis bien plus porté à voir en elles les
conséquences inévitables des soi-disant progrès de notre civilisation, qui
rompt l’ordre, l’équilibre établis à l’origine des choses, et l’aboutissement
direct de cette frénésie de destruction qui pousse l’homme à négliger les lois
les plus élémentaires de la nature.
Pourquoi donc voyons-nous réclamer avec obstination la
liberté de tuer, jusqu’en avril, merles et grives qui depuis longtemps chantent
au nid, de fusiller les bécasses qui, après avoir traversé des continents,
reviennent au crépuscule gémir au-dessus de nos bois en exprimant leur
tendresse, de pourchasser sans remords, dès juillet, des canetons qui n’ont pas
encore toutes leurs plumes, et pourquoi encore certains trouvent-ils très
logique de massacrer en mai les coqs de bruyère qui, après l’hiver effroyable,
accourent chaque matin lancer dans les solitudes attiédies leur chant d’amour
qui célèbre le retour du printemps et prélude à la perpétuation de
l’espèce ?
EL CAZADOR.
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