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Choix et utilisation du chien d’arrêt

Le chien du débutant

Affirmer qu’il n’est de bons chiens que dans telle race est une contre-vérité. Dire que telle race est supérieure à telle autre quant au nez et à l’allure est une vérité dans certains cas, mais de valeur relative. Établir une échelle de valeurs absolues entre diverses races est établir une appréciation qui dépend du tempérament et des goûts de chacun, du terrain où l’on chasse, de la façon de chasser et des aptitudes que l’on a à conduire un chien d’arrêt. On peut aussi trouver des chiens de différentes races égaux en qualités comme en défauts. Enfin, les qualités relatives d’un chien sont aussi fonction de l’idée que s’en font les utilisateurs.

On peut diviser les chasseurs en deux grandes catégories : ceux qui chassent en escouades disciplinées, encadrées et orientées, c’est-à-dire la plupart des actionnaires des chasses privées, et ceux qui chassent seuls et libres de leurs pas. Pour les premiers, l’usage d’un chien d’arrêt nécessite un dressage strict ou une obéissance naturelle ; un chien qui court d’un chasseur à l’autre gêne les voisins ; s’il force le gibier, il compromet la chasse de tous ; un chien parfaitement dressé se trouvera souvent en compagnie de chiens qui le sont moins ; il aura vite fait de gambader avec ces derniers et de se rendre aussi insupportable qu’eux ; trois ou quatre chiens indisciplinés (et tous le deviennent en compagnie), qu’ils soient de grande ou courte quête, devant une ligne de chasseurs sont pour ceux-ci un vrai fléau. D’ailleurs, ces chasseurs, opérant pratiquement en battue, lèvent eux-mêmes la plupart du gibier sans le secours d’un chien, et, pour un tel genre de chasse, un simple retriever paraît le serviteur suffisant et le plus pratique.

Pour le chasseur ne pratiquant que ce genre de chasse en plaine, le choix d’un chien d’arrêt importe donc assez peu, car tous seront neuf fois sur dix insupportables pour la communauté. Au bois, pour cette chasse en ligne, un chien est cependant fort utile pour lever les lapins et les faisans blottis sous les ronciers ; seul un chien de quête très restreinte est pratiquement supportable, et gare aux accidents ...

En vérité, le chien d’arrêt est destiné au chasseur chassant seul ; il n’est pas un instrument collectif et perd toujours la plus grande partie de ses qualités quand il se trouve en compagnie d’autres chiens, fussent-ils tous bien dressés ; la jalousie est difficile à refréner. Le chasseur et le chien doivent former une équipe complète, tous deux étant étroitement liés par une compréhension mutuelle et totale. C’est faute d’y parvenir qu’un chien est souvent sous-estimé ; c’est pour y parvenir qu’un choix préalable s’impose. Ce choix se trouve simplifié pour le chasseur ne pratiquant qu’un seul genre de chasse sur un même terrain, et il ne commettra pas d’erreur de principe au départ en choisissant un galopeur s’il ne chasse qu’en Beauce, un chien calme et bien fourré s’il ne chasse que dans les marécages, ou un de ces chiens réputés aptes à toutes chasses, à tous gibiers et tous terrains, et surnommés « bonnes à tout faire », s’il chasse en terrains variés, accidentés, couverts et morcelés.

Nous disons une « erreur de principe », mais il commettra peut-être une erreur de pratique si son choix n’est influencé que par ce qu’il a lu ou entendu dire de la race qu’il a choisie, sans tenir compte de sa conception personnelle de la chasse, de son tempérament et de ses aptitudes à conduire un chien d’arrêt.

A-t-il opté pour un de ces grands galopeurs dont le nez est généralement à la mesure de leur vitesse ? Est-il bien sûr de savoir s’en servir ? Ne va-t-il pas grossir les rangs de ces nombreux chasseurs qui passent leur journée à siffler et s’époumoner pour maîtriser leur chien, lequel, comprenant bien l’incapacité de son maître, s’en donne à cœur joie et met en quelques bonds tout le gibier de la plaine à l’essor sans permettre un seul coup de fusil ?

S’il a opté, conscient de ses capacités, pour une race réputée de quête moyenne, n’aura-t-il pas la même déception ? Car, aujourd’hui, presque toutes nos races continentales, soit par apport de sang anglais, soit simplement par sélection, donnent des sujets nerveux et galopeurs, ce qui, dit-on, est indispensable pour compenser l’éclaircissement du gibier. Or un chien galopeur exige une main ferme et experte à maîtriser sa fougue. Certes, il est des sujets, et cela dans toutes les races, qui, dès leurs premiers bonds, bandent l’arrêt, le tiennent et restent immobiles au départ ; mais qui niera que la plupart exigent pour cela une certaine mise au point ? Et niera-t-on que, ce dressage fait, peu de chasseurs savent le maintenir ?

À mesure qu’augmente le nombre des chasseurs augmente aussi celui des incapables — provisoires ou définitifs — de se servir d’un chien ardent et, surtout, d’un tel chien s’il est jeune. Mais que ce chien esquisse quelque arrêt, peu importe pour eux qu’il parte à fond de train sous l’aile, souvent avant que le chasseur soit parvenu à distance de tir ! Ils sont contents, le chien a arrêté, il a montré beaucoup d’ardeur (certes !), et ce bandit est sacré excellent. Tant mieux pour le gibier, pour les autres chasseurs et pour les fournisseurs de chiens universels. On aura beau nous contredire et affirmer qu’un galopeur est l’instrument indispensable de la chasse moderne — ce qui est une vérité relative et non absolue, — on ne détruira pas cette autre vérité, illustrée chaque jour par le spectacle de la majorité des chasseurs dans les plaines (Udor, ici ! — Mirza, au pied ! ...) : ne se sert pas d’un galopeur qui veut.

Conclure après cela que nous faisons ici l’apologie du chien dit « à roulettes » serait aller trop vite et déformer notre pensée. Nous nous adressons aux débutants et à ceux qui n’ont pas l’âme d’un dresseur ou d’un conducteur de chien ; ils sont nombreux !

Quel chien leur conseiller ? Les slogans sont souvent pernicieux ; il en est un, par contre, toujours vrai : « À jeune chasseur, vieux chien. » Et c’est pourquoi, quelle que soit la race élue, nous conseillons au débutant un chien tassé, connaissant son métier ; c’est lui qui dressera son maître. Un tel chien est souvent difficile à trouver et de prix élevé ; alors qu’il choisisse un chien calme et, pour cela, qu’il attache moins d’importance à la race qu’au sujet. La plupart des races continentales produisent une certaine proportion de galopeurs et de trotteurs. Au risque de prospecter moins de terrain en marchant davantage et de laisser quelque gibier blotti dans les coins délaissés, qu’il choisisse l’humble trotteur. Après quelques saisons, il essaiera d’un chien ayant plus d’entreprise en apprenant à s’en servir. Et, s’il doit, par la force des choses, se munir d’un chiot, qu’il ne maudisse pas la race si ce dernier, devenu grand, se comporte en vrai diable : ce chien n’était pas fait pour lui. Le chasseur a le chien qu’il mérite.

J. CASTAING.

Le Chasseur Français N°617 Décembre 1947 Page 619