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Vitesse

C’est une question qui a été bien souvent et passionnément débattue. Mais, si la controverse subsiste encore, il semble bien, toutefois, que, de plus en plus, les adversaires de la quête rapide perdent du terrain. Car, il faut bien le reconnaître, et on ne saurait trop s’en féliciter, les amateurs du chien de race, du chien de pur sang, se font de plus en plus nombreux, depuis une dizaine d’années, parmi le monde des chasseurs. Je n’en veux pour preuve que le nombre croissant de beaux chiens que l’on rencontre dans les rues, à la ville comme à la campagne, et dans les gares, la veille ou le soir des jours de chasse. Et qui dit pur sang dit ardeur, vivacité et vitesse.

Mais attention ! Vitesse ne veut pas dire folie et désordre. Et la première condition à exiger d’un chien rapide, c’est la discipline et l’arrêt ferme. La deuxième, aussi indispensable, est le nez. Si vous avez un chien qui réalise ces conditions, alors je peux vous promettre des jouissances inégalées.

Pourquoi préférer la quête rapide ? Quels sont les arguments en sa faveur ? Qu’il me soit permis, en quelques mots, d’éclairer sur ce point et d’essayer de convaincre ceux qui douteraient encore.

Ce n’est pas, disons-le tout de suite, d’ailleurs, par snobisme ou parce que nous sommes au siècle de la vitesse. Laissons là, si vous le voulez bien, le snobisme et la mode, qui ne font rien à l’affaire et dont se moque le vrai chasseur. Seuls les résultats comptent.

Donc, prenons un chien rapide : chien anglais ou, si vous le préférez comme moi — car setters et surtout pointers ne s’accommodent pas de tous les terrains (et nous avons, quoi qu’on dise, des chiens continentaux qui les valent), — un breton ou un bleu d’Auvergne, pour ne citer que ces deux. Nous le supposons, certes, parfaitement dressé à l’arrêt et bien doué sous le rapport du nez. Une quête croisée de 50 à 60 mètres environ de rayon fait que votre animal bat constamment 100 à 120 mètres de terrain devant le chasseur ; 50 à 60 mètres à droite, autant à gauche, ce ne sont pas là distances tellement grandes pour que, s’il vous pique un arrêt, même à la limite extrême de sa quête, vous n’ayez pas le temps de vous approcher pour faire lever et tirer le gibier. Un champ d’un hectare sera battu en quelques minutes seulement ; et notez bien que vous n’aurez pas fait plus de pas ni marché plus rapidement que si vous aviez un chien lent.

Avec celui-ci, au contraire, qui, en raison même de son allure, ne s’éloignera guère de vous, vous mettrez trois ou quatre fois plus de temps pour battre le même terrain, car il faudra, si vous voulez le battre en tous sens, y revenir en plusieurs fois. Vous n’en verrez pas plus de gibier quoique ayant marché bien davantage. Et, en définitive, si nous supposons que le champ d’un hectare en question ne recèle ni lièvre ni perdrix, vous n’aurez perdu que quelques minutes avec le chien rapide, mais beaucoup plus de temps avec l’autre.

En fin de sortie, le premier aura battu dix fois plus de terrain que le second. Or plus on bat de terrain et plus on a de la chance de voir du gibier. Point n’est besoin d’être bien malin pour le comprendre. En notre temps, où, en général, le gibier n’est pas si dense qu’on puisse en trouver à tout bout de champ, vous conviendrez avec moi que l’avantage est à la vitesse.

Une objection qui a été faite à la quête rapide et étendue, c’est qu’au couvert, sous bois ou en pays très accidenté, on perdra souvent le chien de vue. Je dirai oui si nous avons affaire à un chien au dressage insuffisant ; mais non dans le cas contraire. Le chien intelligent et qui sait ce qu’il fait — et il y en a — réduira instinctivement sa quête ; d’autant plus qu’il rencontrera davantage d’obstacles sous bois qui ralentiront forcément son train : buissons, taillis, arbres, tout cela met un frein à son allure. À moins que vous n’ayez affaire à un fou qui donnerait tête baissée contre les troncs d’arbres ou foncerait, pour s’y empêtrer, dans les ronciers les plus épais ; ce dont il serait vite guéri, d’ailleurs.

Voilà pour le côté pratique.

Mais il n’y a pas que cela qui compte pour le chasseur, le vrai chasseur. Il y a le côté sport, le côté beauté, je dirais presque le côté artistique. Regardez chasser deux chiens : l’un ardent, rapide, vif comme la poudre, qui, tête haute et nez au vent, cherche l’émanation directe du gibier et, en pleine course, vous pique des arrêts subits en des poses invraisemblables. L’autre qui trottine près de vous, le nez à terre, tourne sur place un quart d’heure sur une piste, tandis que le gibier est déjà à 200 mètres de là. Vous aurez vite fait, je crois, la comparaison et choisi.

Pour ma part, mon choix est fait. Et je ne pourrais jamais m’habituer à un chien, si bon soit-il, dont la désespérante lenteur aviverait encore davantage mon grand regret d’avoir perdu le compagnon de chasse ardent et rapide qui, neuf années durant, a donné à mon cœur passionné les suprêmes jouissances et les plus pures émotions que puisse ressentir un chasseur.

FRIMAIRE.

Le Chasseur Français N°617 Décembre 1947 Page 621