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Sur les rives glacées

L’armée pacifique des trempeurs de fil est démobilisée et a réintégré ses foyers. Seuls les fanatiques, généralement de bons pêcheurs, hantent encore les rives glacées.

Ils sont à la recherche du brochet, de la perche et du gros chevesne, et à peu près certains de capturer quelques beaux spécimens de ces trois espèces, en variant les méthodes de pêche, quoique certaines puissent s’adresser indifféremment à l’un et à l’autre de ces voraces.

En premier lieu, disons qu’il sera inutile d’explorer les courants : ils sont déserts ; nous nous cantonnerons aux remous profonds, aux calmes et aux « mortes » où l’eau dort, noire et sinistre.

Ces coins seuls sont habités, près du fond, surtout s’ils sont encombrés ou bordés par des buissons, des troncs d’arbres, des blocs de pierre ou tous autres obstacles immergés.

Par une sorte de syllogisme un peu fantaisiste, nous sommes en droit de penser que, puisque le poisson est là, et qu’il doit manger pour vivre, il va bondir sur notre appât. Il n’est rien comme l’espérance pour nous faire prendre nos désirs pour des réalités.

En décembre, comme il est préférable de se donner du mouvement, nous recommanderons la pratique du lancer léger ou lourd, au choix du pêcheur.

Choisirons-nous un leurre artificiel ou un appât naturel (poisson mort) ? Tout en reconnaissant à celui-ci une réelle valeur pêchante, je dois dire que la manipulation de tels appâts, par un froid vif, quand la bise vous donne l’onglée, n’a rien de bien engageant ; il est facile de pallier cet inconvénient en montant, chez soi, les poissons morts sur leurs montures, mais il en faut un certain nombre d’avance, si on veut ne se servir que d’appâts absolument intacts ; et les lancers les ont vite déchiquetés, sans compter les coups de dents des voraces.

Les poissons conservés au formol résistent davantage que les poissons frais, d’ailleurs fort difficiles à se procurer en hiver. Il est vrai que vous pouvez avoir, chez vous, un bassin bien abrité du froid, où vous aurez placé, en belle saison, vairons, goujons ou ablettes.

Leurs sosies en caoutchouc seront tout aussi bons, s’ils en sont une reproduction assez exacte.

Cependant, pour la majorité des pêcheurs au lancer, la cuiller est et restera le leurre favori, avec juste raison d’ailleurs.

Nos trois voraces se montrent assez bien disposés en faveur de cette mignonne ferblanterie et, quand bien même ils s’y sont cassé les dents la veille, ils ne la bouderont pas le lendemain.

Toutes proportions gardées, le même modèle peut tenter brochets, perches et chevesnes, mais il est recommandable, pour ces deux derniers poissons, de n’utiliser que de petits leurres : la cuiller plombée en tête est, à ce point de vue, l’appât idéal.

Garnissez-la d’un petit pompon rouge, qui constitue un point d’attraction affectionné surtout par les perches, mais sans beaucoup d’effet sur le brochet et le chevesne.

Une recommandation essentielle : récupérez très lentement et près du fond ; la rigueur de la température aquatique influe beaucoup sur la vigueur du poisson ; il n’exécutera plus ces démarrages foudroyants qui le jetaient sur le leurre pendant la belle saison, seules les proies lentes le tenteront ... et pas toujours.

Pour les pêcheurs que l’immobilité ne gêne pas, la pêche au vif donnera de très bons résultats, supérieurs même à ceux du lancer ; mais passer des heures près du même remous, à contempler un flotteur qui s’obstine à rester immobile, lui aussi, et à grelotter sous la bise, n’offre pas beaucoup de réjouissance.

Il est cependant une méthode active de pêche au vif : elle consiste à explorer les gouffres, les fonds, les environs des obstacles pendant quelques minutes, puis à continuer plus loin les recherches.

Pour que l’appât évolue toujours à la même distance du fond, on emploie la monture ci-dessous décrite : à l’extrémité d’un long bas de ligne en gut, on place une forte olive de plomb, laquelle reposera sur le fond ; à 40 centimètres au-dessus (plus ou moins), est placé un avançon en fil d’acier très fin, portant à un bout un hameçon simple et fixé par l’autre bout à un petit émerillon placé entre deux autres (voir figure). L’hameçon retiendra le vif par une narine ; toute autre monture peut convenir, pourvu qu’elle ne tue pas le petit poisson-appât. Pas besoin de flotteur.

On laisse descendre plomb et appât, et, dès que l’olive a touché le fond, on maintient le fil tendu ; on peut déplacer la ligne à volonté pour explorer toute la largeur du remous, en longeant les obstacles, sans crainte de voir le vif s’y cacher, comme cela se produit avec une monture à flotteur, sans plomb de fond.

Ce procédé est très productif dans les endroits encombrés, véritables refuges des carnassiers, car un tout petit espace est suffisant pour y descendre l’appât.

En été, d’ailleurs, c’est le seul moyen d’explorer les trouées dans les nénuphars ou autre végétation aquatique. J’ai fait, dans les « mortes » de la Loire, en Jura, des pêches splendides de brochets de cette façon.

Et maintenant, occupons-nous un peu plus spécialement du gros chevesne. La pêche la plus fructueuse, à cette époque, est la pêche au sang.

Qu’il soit de bœuf, de lapin ou de tout autre animal, il exerce sur la gent piscicole une attirance irrésistible, avec une prédominance sur le chevesne. Le sang de volaille est à rechercher pour escher l’hameçon, les autres servant surtout à l’amorçage.

Vous faites, à l’avance, de grosses boulettes de terre glaise, pétrie avec du sang et du chènevis ; au début de la pêche, en arrivant sur les lieux, vous lancez quelques-unes de ces boulettes en tête du remous ; une cuillère de sang prendra le même chemin ; une longue traînée rouge va s’en aller battre le rappel bien en aval. Pendant ce temps, vous montez votre ligne.

Ceci fait, vous taillez un petit cube de sang, y faîtes glisser le bas de ligne et le laissez reposer entre les branches du petit grappin, où il sera maintenu ; vous raccrochez la boucle du bas de ligne à l’émerillon de la soie et vous êtes prêt.

Par un ballonné « moelleux », vous posez, à l’aide de votre longue canne, l’appât en tête du remous et faites la passée classique. À bout de fil, vous faites un relâché, vous ferrez légèrement et vous recommencez, sans mouvement brusque pour ne pas arracher l’appât.

L’attaque sera toujours brutale, le flotteur plongera nettement ; à vous de faire le nécessaire pour que la riposte soit prompte et sûre.

Si, à la suite de plusieurs captures, les touches cessent, changez de secteur, allez plus en aval et recommencez les mêmes opérations.

Je connais un pêcheur au sang, toujours accompagné de son jeune fils, qui connaît tous les « coups » du parcours sur le haut Allier ; il devance son père, pour amorcer ; celui-ci n’a plus qu’à pêcher en arrivant, et il s’en occupe, je vous assure. Je lui ai vu prendre 23 livres de beaux chevesnes dans sa matinée.

Pour ceux que la préparation de la mixture et la manipulation du sang ne rebutent pas, j’affirme qu’ils feront de magnifiques pêches en utilisant cet appât.

Quant à moi, j’y ai renoncé, non par snobisme, mais d’abord parce que le chevesne ne me plaît pas, et surtout parce que je préfère et ne pratique plus que les pêches sportives, propres, élégantes, qui me procurent une véritable satisfaction et ... de beaux paniers.

Marcel LAPOURRÉ.

Le Chasseur Français N°617 Décembre 1947 Page 622