Certains caractères de cet éphémère me le font ranger dans
l’espèce Beatis, mais, « imitant de Conrard le silence
prudent », je ne me risque pas à lui donner un nom : je l’appellerai,
entre nous, l’éphémère noir d’hiver. Le croquis ci-joint et la description qui
va suivre seront, je l’espère, suffisants pour vous le faire reconnaître quand
vous le trouverez, d’autant plus qu’en hiver c’est le seul qu’on rencontre.
Mais en novembre, il voisine avec un autre éphémère plus petit, plus clair, aux
yeux jaunes, qui provoque aussi des gobages intéressants. L’interprétation
commerciale est le Dark olive dun.
On le trouve sur nos rivières à partir du 10 novembre
environ jusqu’en mai, surtout en décembre, janvier, février, mars.
En hiver, il éclôt tout le jour plus ou moins densément,
principalement de 11 heures à 13 heures (solaires). En mai, il est
crépusculaire. Il semble que cet éphémère ne suit pas la règle générale des
éclosions. On admet, en effet, que la hausse de la température favorise les
éclosions ; or, pour l’éphémère noir d’hiver, j’ai toujours constaté les
éclosions lors d’un abaissement de la température, un changement de temps de
beau en mauvais. On les constate généralement par temps froid, gris, sombre
avec menace de pluie et par bruine. Il peut cependant en exister par les
journées de temps variable, jours nuageux avec belles éclaircies, mais par beau
temps fixe il est pour ainsi dire inexistant.
Son allure sur l’eau paraît être, tout en tenant compte de
son état de subimago, celle d’un insecte faible, fatigué, éprouvant beaucoup de
peine à s’envoler ; le vent le renverse facilement. Est-ce dû à sa manière
de pondre — la femelle Beatis plonge pour aller pondre sous les
pierres, regagnant ensuite la surface en nageant, manœuvre qui peut mouiller
ses cerques et gêner son envol, sinon la noyer — ou bien est-ce dû à la
faible constitution de ses ailes rudimentaires trop petites pour renforcer sous
les coups de vent les grandes ailes comme cela se passe pour Ecdyonurus ?
Nouvellement métamorphosé, épuisé par la ponte, faiblement nanti par la nature,
cet éphémère semble peu résistant, ses tentatives d’envol sont courtes :
il se noie facilement.
Description de l’insecte.
— Ailes : quatre, dont deux atrophiées. Les
grandes ont 11 millimètres, les rudimentaires 1mm,5. Leur
aspect est celui d’une étoffe de soie grise infiniment fine et plissée. Il n’y
a pas de nervures transversales visibles à l’œil nu, les autres
(20 environ) sont très fines, sauf la nervure costale qui est noire, forte
et puissante. C’est la pièce principale et nécessaire de la charpente de l’aile
à la façon d’un mât soutenant une voile latine. L’alternance des nervures
concaves et convexes forme des plans différemment inclinés animés de reflets
hyalins qui accusent les plis. — Corps : 8 millimètres en
entier, couleur gris-fumée noirâtre. Antennes, 2 millimètres. Les pattes,
même couleur, ont un reflet légèrement fauve. — Cerques : deux
de 9 millimètres de long, même couleur.
Mouche.
— Interpréter en araignée, imitant l’insecte en noyée, en
araignée collerettée en sèche.
Éléments : hameçon du 16 au 14. Corps : fil
kaki ordinaire ciré entre les doigts. Au début de son apparition, vers le 19 novembre,
il est bon de monter les mouches sur hameçon 18 à cause des petits éphémères,
dont j’ai dit un mot au début. — Ailes : hackle de coq gris,
mais un peu sombre, barbules de la longueur des ailes. Éliminer les barbules
prenant naissance sur les côtés. — Cerques : barbules de coq
gris sombre ou poils de moustache de lapin.
Tactique.
— L’éphémère noir et la nemoure brune en aiguille sont
les deux seules mouches exactes, sans parler des larves, qui soient de saison
au moment de l’ouverture de la pêche à la truite, mais elles sont excellentes.
Pour la truite, si vous observez des gobages, lancer sur les gobages mouche
sèche en amont. Sans gobages, pêcher l’eau en noyée en amont de préférence ou
en suivant comme à l’asticot ; au moindre reflet, ferrer ; surveiller
le fil. En descendant et dérivant, relâcher. Pour la vandoise et le chevesne, même
tactique. Les succès sur la vandoise seront fréquents.
Buldo.
— Permet de pêcher plus loin, plus fin en sèche et
noyée simultanément. Permet, par la manœuvre en sens inverse, de laisser
naviguer librement la mouche sur un bord de courant éloigné aussi longtemps que
nécessaire. Par temps variable, nuages et soleil, utiliser deux mouches :
éphémère noire en pointe et nemoure brune en aiguille en sauteuse. Ne pas
craindre le froid, ces deux mouches se complètent, l’une par mauvais temps,
l’autre par beau temps ensoleillé, de telle sorte que la pêche en hiver est
toujours possible à condition que l’eau soit claire. En automne, se méfier des
premières fortes gelées suivies de vent qui, faisant tomber en masse les
feuilles dans l’eau, rendent la pêche, surtout en mouche noyée, exaspérante,
sinon impossible.
P. CARRÈRE.
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