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Variétés historiques

Comment on se chauffait

au temps jadis

La question du chauffage a toujours été très importante en France. De tout temps, nos ancêtres ont cherché à améliorer leurs cheminées et à trouver des combustibles économiques ; depuis des siècles, les architectes et les inventeurs se penchent sur ces problèmes assez difficiles et éternels.

Les premières cheminées que nous connaissions datent du XIIe siècle ; celle de la maîtrise du chapitre du Puy-en-Velay est de cette époque ; ces cheminées sont encore de dimensions raisonnables ; à partir du XIIIe siècle, elles vont devenir très importantes et garnies, le plus souvent, de bancs de pierre, afin de permettre à plusieurs personnes de se chauffer commodément. À cette époque, le contre-cœur est, en général, maçonné en tuileaux, afin de résister à l’action du feu ; plus tard, on y posera une plaque de foyer en métal, dite souvent taque, ornée des armoiries du maître de maison, de celles du roi ou d’un motif quelconque. Dans certaines de ces cheminées, au moyen âge, on pouvait mettre de gigantesques bûches de Noël de trois mètres de long !

À la Renaissance, leur décor devient luxuriant, parfois compliqué ; celles du musée de Cluny, à Paris, sont parmi les plus belles et les plus riches.

Viollet-le-Duc, dans son admirable Dictionnaire d’architecture, a brossé un petit tableau de la cheminée autrefois et de sa place dans la vie de famille : « C’était devant la flamme claire qui pétillait dans l’âtre que chacun rendait compte de l’emploi de son temps pendant le jour, que l’on servait le souper partagé entre tous, que l’on racontait ces interminables légendes recueillies aujourd’hui avec tant de soin. Une longue chandelle de suif, de résine ou de cire posée sur la tablette qui joignait le manteau de la cheminée, ou fichée dans une pointe de fer, et la brillante flamme du foyer éclairaient les personnages ainsi réunis, permettaient aux femmes de filer et de travailler à quelque ouvrage d’aiguille. Lorsque sonnait le couvre-feu, chacun allait trouver son lit, et la braise, amoncelée par un serviteur, au moyen de longues pelles de fer, entretenait la chaleur dans la salle pendant une partie de la nuit ; car le maître, sa femme, ses enfants avaient leurs lits encourtinés dans la salle ; souvent les étrangers et quelques familiers couchaient dans cette salle, sur des bancs garnis de coussins, sur des châlits ou des litières. »

Sous le règne de Louis XIV, le retour vers ce qu’on croyait être l’architecture romaine fit supprimer les combles apparents et, par suite, les tuyaux de cheminée ; mais comme, en France, on se chauffe six mois par an, il fallut bien loger tout de même des cheminées ; on surmonta donc, après coup, les terrasses par d’horribles conduits de brique, de fer ou de plâtre.

Au XVIIIe siècle, nous voyons apparaître l’appartement moderne et la cheminée telle que nous la connaissons, avec un trumeau peint ou une glace ; dès le XVIIe siècle, certains architectes avaient d’ailleurs réduit la hauteur du manteau à celle de la hauteur d’appui, afin d’y installer des pendules ou des vases. Lhomond, par la suite, ajouta le rideau mobile.

Le chauffage central est une invention très ancienne. Les Romains connaissaient son principe et chauffaient ainsi leurs établissements de bains.

Nos ancêtres se servaient aussi de petits ustensiles : chauffe-lit, chauffe-maison et chaufferettes de divers types.

Voici d’abord le chauffe-lit. La buisine était un instrument peu courant. Froissart nous apprend que (en 1388) le roi Charles le Mauvais avait une buisine : on « boutoit une buisine d’airain (dans son lit) et lui souffloit on air volant », dit le chroniqueur. Au XVe siècle, on se servait de la bassinoire en cuivre percée de trous, ou d’une longue planche chauffée et recouverte d’une enveloppe de cuir ou de toile. En 1690, Furetière, dans son dictionnaire, fait mention, pour la première fois, d’un moine. Il y avait aussi des appareils assez volumineux permettant d’utiliser de la braise, et qui, parfois, causaient de graves incendies ; ces appareils portaient le nom de « couvets » dans certaines provinces.

Le chauffe-mains, dont se servait souvent le prêtre pour se réchauffer en hiver, était le plus souvent constitué par une boule de métal dans laquelle on introduisait une autre boule plus petite et rougie au feu ; parfois, la première boule était ajourée, afin de laisser passer plus facilement la chaleur. Certains de ces petits appareils étaient montés sur des pieds. Les laïques se servaient aussi de chauffe-mains.

Les chaufferettes étaient de plusieurs types ; il y avait de véritables petits chariots que l’on pouvait promener à travers une salle.

Les églises du moyen âge étaient très froides, et le clergé était obligé de prendre de multiples précautions, afin de ne pas geler durant les longs offices d’hiver. Les musées possèdent de nombreux chauffe-mains à l’usage d’abbayes ou de cathédrales ; bien souvent, ces chauffe-mains ne sont pas percés, afin de pouvoir être manipulés sans crainte de répandre les cendres et la braise qui y étaient enfermées. À Troyes, au XIVe siècle, la cathédrale possédait une poma calefactoria, ou plomme « qu’on a accoustumé faire chauffer pour soulager la preesbre qui dict la messe en yver ». Elle était d’argent doré et ciselé ; une boule d’acier était disposée à l’intérieur.

Un poêle, dès le XIIIe siècle, permettait aux chanoines de Troyes qui assistaient, assis dans les stalles, à l’office de ne point avoir trop froid ; il pouvait être déplacé, étant monté sur roues. Il consommait un grand sac de charbon.

La chaufferette connut, durant tout le XIXe siècle, une grande vogue ; les marchandes des rues, les vieilles femmes, les gens qui voyageaient en diligence en usaient. Un certain Freville, en 1813, dans un très curieux Manuel du frileux, en conseille vivement l’emploi ; il prétend, vu la cherté du bois, chauffer tout le monde avec un peu de poussier et deux chaufferettes habilement disposées.

Enfin nos ancêtres disposaient de poêles de modèles variés, dont certains étaient en céramique, parfois de Rouen.

Afin d’alimenter ces modes de chauffage, ils avaient à leur disposition le bois, le charbon de bois, la tourbe et le charbon. Le bois était le combustible le plus répandu et le moins coûteux ; le charbon de bois fut très à la mode dans les classes populaires, surtout depuis l’époque, relativement récente, où ce mode de chauffage devint d’un prix plus abordable. On brûlait aussi à la campagne toutes sortes de déchets : chaumes ou éteules, trognons de choux, tiges de navettes, racines de luzerne, paille de sarrazin, etc.

La tannée, constituée par le tan épuisé, était aussi comprimée et mise dans des moules de fer ; les mottes ainsi obtenues étaient vendues autrefois en Champagne.

La tourbe des marais a, de tout temps, été utilisée comme moyen de chauffage. En 1666, le médecin Gui Patin écrit qu’un Italien vient d’inventer des boulettes de tourbe ; ces boulettes, dit-il, produisaient un très beau feu, sans fumée et sans mauvaise odeur. On en avait cent pour dix sous. Vers la fin du XVIIIe siècle, dans certaines contrées, où la disette de bois se faisait sentir, on songea à se servir de tourbe. En 1784, les habitants de Reims demandèrent l’autorisation d’extraire la tourbe. Dans les premières années du XIXe siècle, surtout sous le premier Empire, le gouvernement s’intéressa à des projets d’exploitation méthodique de la tourbe, afin de remplacer le bois, qui devenait rare et cher.

La houille était, dit-on, méprisée des anciens. En France, le premier document officiel qui en fasse mention est un privilège de Henri II (XVIe siècle) accordé à un sieur de Roberval en vue d’utiliser les mines de charbon du royaume ; à partir du XVe siècle, cependant, on se servit en France du charbon. La première entreprise vraiment sérieuse d’exploitation du charbon date de 1643, il y a donc à peu près trois siècles. Dès le règne de Louis XIII, toutefois, on achetait du charbon à l’étranger. Un document inédit de 1614 autorise le sieur de Mayerne, médecin de Louis XIII, de faire venir du charbon de Grande-Bretagne jusqu’à Paris sans payer de charges. Le roi voulut que désormais ses sujets puissent avoir du charbon français, et il encouragea les prospecteurs à trouver des mines et à en tirer parti. Notons qu’à la fin du XVIIIe siècle on se servait déjà de coke.

Le prix de la houille resta élevé jusqu’à l’invention des chemins de fer, c’est-à-dire jusqu’au milieu environ de ce XIXe siècle qui devait révolutionner l’art du chauffage.

Roger VAULTIER.

Le Chasseur Français N°617 Décembre 1947 Page 652