Entre un pointer et un continental qui bourrent, nous ne
voyons aucune différence d’inconvénient. Entre un pointer et un continental qui
tous deux bloquent et respectent à distance de tir, nous voyons une différence
d’avantage en faveur de celui qui est le plus meurtrier ; or c’est sur le
terrain, et non sur le papier, que cette supériorité se prouve ; elle
n’est pas forcément une conséquence directe de l’ampleur de la quête, mais bien
plutôt une question de sujets. Entre sujets chassant parfaitement, nul ne niera
que la beauté plastique d’un pointer tombant à l’arrêt en pleine course donne
au chasseur une joie sans égale. Il serait vain également de discuter en
théorie la supériorité pratique des chiens anglais sur les continentaux,
puisque leur supériorité de nez et de quête ne sont pas discutables et qu’il
est admis que nez et quête sont les facteurs théoriques des qualités
pratiques ; la théorie néglige l’adaptation, l’intelligence, la
roublardise, qualités propres des sujets. On ne discute pas les mathématiques,
mais il arrive que les plus belles conceptions mécaniques déçoivent quelquefois
les utilisateurs. Un bon mécanicien tire de tout un bon usage ; tous les
chasseurs ne sont pas bons mécaniciens et nul éleveur, nul chasseur, ne peut
prétendre faire sur un chien la mise au point définitive, ou tout au moins
durable, qu’un mécanicien, fait sur un moteur. Voilà pourquoi nous nous tenons
sur le terrain de la pratique, et la pratique est le spectacle que l’on peut
voir en Normandie, en Sologne, en Gascogne et ailleurs : sur dix chiens
d’arrêt, qu’ils soient anglais ou simplement continentaux, il n’en est pas
trois chassant correctement ou qui soient vraiment meurtriers. Cela ne provient
pas d’ailleurs, la plupart du temps, du manque de qualités des chiens, mais du
manque de qualités de leurs maîtres. Les chiens sont ce qu’on les a faits, des
galopeurs, et ils galopent, ce qui est très bien, mais souvent en tous sens, ce
qui est gênant ; ils poussent des pointes inconsidérées, arrêtent
quelquefois hors de l’atteinte du chasseur et, impatients, foncent
dedans ; après quelques exercices de ce genre, ils ne marquent même plus
l’arrêt. Ces mêmes chiens, en d’autres mains, feraient pour la plupart
d’excellents serviteurs. Et voilà toute la question : la qualité de
l’instrument a précédé d’un peu trop loin l’éducation de l’usager. On a créé
d’excellentes machines, mais on a oublié d’apprendre aux usagers à s’en servir,
et tous n’en sont pas capables. L’infusion plus ou moins massive ou discrète du
sang anglais dans la plupart des races continentales, en augmentant la
puissance olfactive de certaines familles usées, a surtout augmenté la quête,
l’allure et l’influx nerveux. La sélection des galopeurs parmi les races
réputées restées pures a eu le même résultat. Obtenu d’une façon ou d’une
autre, le chien modernisé est un animal bouillant, ayant besoin d’être maté
pour être utilisé d’une façon pratique et meurtrière.
Il n’est pas question d’ouvrir une nouvelle et inutile querelle
des anciens et des modernes, de discuter si, en définitive, le chien
modernisé donne plus de satisfactions morales que pratiques à la majorité des
chasseurs ; la vogue dont il jouit répond d’avance à toute discussion.
Nous disons seulement que les continentaux de l’ancienne formule étaient à
l’encontre de la plupart des chiens modernisés, utilisables sans dressage par
les vieux comme par les novices. La raison en était d’abord le calme de leur
caractère et de leur allure qui ne les incitait à aucun emportement, le fait,
aussi, que, quêtant plus près de leur maître, celui-ci était toujours apte à
imposer sa volonté. Cette constatation n’implique pas de notre part
condamnation du chien modernisé ; mais nous disons que, pour des mains
inhabiles et pour les débutants, l’ancienne formule aurait dû être conservée.
En fait, on trouve encore de tels sujets dans les familles n’ayant pas reçu
d’apport étranger et qui produisent, en proportions variables, des galopeurs et
des trotteurs, ceux-ci plus calmes et chassant ordinairement bien sans
dressage. N’en déplaise à certains, ces derniers sont encore appréciés par de
vieux routiniers au fond de leur province. Nous en connaissons qui, peut-être
sourds, mais pas aveugles, fidèles à ces chiens, s’en vont la pipe au bec et le
sourire en coin, tranquillement et sans sifflet, remplir leur grand carnier de
cuir derrière des chasseurs modernes ; c’est la seule réponse à la légende
selon laquelle les chiens de nos grands-pères ne devaient leur valeur qu’à
l’abondance du gibier. Expliquons-nous ; notre allusion à ces chasseurs
modernes ne vise que les trois quarts de ceux-ci : ceux pour lesquels les
séances de chasse ne sont que d’éternelles leçons de dressage, qu’ils sont
incapables d’administrer.
Nous subissons le mal du temps (d’autres disent progrès), la
standardisation est à la mode ; en attendant la mentalité standard, on
nous propose, en tous domaines, des instruments standardisés. Finies la
fantaisie, l’originalité, la personnalité, autrefois conditions de progrès et
de création artistique. Le temps artisanal est mort, voici le règne de l’usine,
tentaculaire, envahissante et crachant ses produits en série. Plus rien
n’échappe à ses concepts. Voici déjà le fusil de chasse standard ;
pourquoi donc pas le chien ? Rassurez-vous, il a déjà devancé l’arme. Il y
a longtemps qu’on a créé pour lui le banc d’épreuve type dont le franchissement
vaut un brevet de qualité standard : le field-trial de printemps, ce
niveleur des races. Car, enfin, puisqu’on exige de tous les concurrents,
quelles que soient leur race et leur fonction, les mêmes aptitudes, considérées
comme étant l’idéal, à quoi bon conserver plusieurs races ? Puisque l’on
codifie le standard moral et pratique, pourquoi conserve-t-on plusieurs
standards physiques ?
Voilà pourquoi, pour se munir d’un chien standardisé, le
choix du sujet importe beaucoup plus que celui de la race.
Heureusement, en notre bon pays de France, il reste encore
des originaux ; espérons qu’ils auront la vie longue. De même qu’il y aura
encore des chasseurs ayant le goût (et les moyens) d’avoir une arme faite pour
eux comme un costume et qu’il y aura aussi d’habiles artisans pour les
satisfaire, de même il y aura des chasseurs voulant chasser avec un chien bien
adapté à leurs besoins, à leur terroir, à leur gibier, à leurs capacités, et il
y aura, au fond de nos provinces, encore quelques éleveurs qui maintiendront
sans bruit, pour eux et leurs amis, des produits purs des vieilles races. Car,
enfin, si des races sont nées, ont prospéré et fait leurs preuves, parfois
pendant des siècles, sur des terrains donnés, ce n’est pas toujours par hasard.
La chasse en Bretagne diffère de la chasse en Beauce, les garrigues du Midi
diffèrent sensiblement des marais picards. L’adaptation des races aux
conditions actuelles, là où celles-ci ont changé, devait se faire
naturellement, comme elle s’était faite dans le temps ; entre la chasse de
1947 et celle de 1920, il ne doit pas y avoir plus de différence qu’entre celle
de 1920 et celle de 1875 et qu’entre celle-ci et celle de 1830.
Vouloir standardiser les races au banc d’épreuve du billard
des plaines molles sur les couples fuyards de printemps interdisant l’arrêt
utile, c’est déformer les fonctions de nos races. Quand on dit d’une race
qu’elle est apte à toutes les chasses, tous les terrains, tous les gibiers,
cela veut dire que la généralité des sujets peut s’adapter à la généralité des
chasses ; cela ne veut pas dire que tous les sujets se comporteront de la
même façon sur chacune d’elles. L’adaptation exige une plus ou moins longue
pratique ; on est en train de vouloir adapter tous les chiens à un genre
de chasse unique. On tue les races en supprimant la spécialité ;
contentons-nous alors de la médiocrité. N’oublions pas que c’est par atavisme
que se conserve l’aptitude ; c’était la raison d’être de nos races.
J. CASTAING.
(1) Voir Le Chasseur Français de décembre-janvier.
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