Un grand nombre des races canines, particulièrement
françaises, doivent leur différenciation non à un type morphologique original,
mais simplement, ou pour une large part, à la couleur de leur pelage. Sanson a
bien dit qu’à n’envisager que l’architecture osseuse le nombre des prétendues
races d’animaux domestiques pourrait être réduit de beaucoup. Cette observation
vaut pour les races canines.
Qu’une d’entre elles, bien définie, fixe et ancienne,
présente variation de couleur, il peut se rencontrer un éleveur que cela
intéresse d’obtenir une famille de cette robe inédite. Il ne manquera pas de
dire qu’il a ainsi créé une race nouvelle. C’est une erreur, puisque rien n’a
varié qu’un caractère secondaire.
Que serait-il advenu du pointer, utilisé dans le monde
entier, s’il avait été classé en autant de robes qu’il présente de variétés de
couleur ? Il eût cessé d’être sélectionné exclusivement sur la qualité et
n’aurait certainement pas conquis la notoriété qui est la sienne.
L’école zootechnique française professe justement que la
variation de couleur de la robe est un caractère incapable, à lui seul, de
déterminer une race et enseigne que « donner à ces subdivisions le nom de
races, c’est détourner ce dernier mot de sa véritable signification ».
J’ai sous les yeux ce texte du professeur Dechambre, exposant encore qu’« en
sélectionnant les races uniquement sur la couleur on est arrivé aux mêmes
résultats que les éleveurs de poules qui ont sélectionné leurs oiseaux sur
telle ou telle particularité et ont fait ce que nous appelons de la sélection
sportive » ...
Celle-ci tourne le dos à la sélection pratique, parce
qu’elle s’exerce sur une particularité sans intérêt, la développe à l’excès et
aboutit à la production d’êtres monstrueux ou tout au moins inutiles.
L’élevage du chien de luxe a bien réalisé quelques objets de
beauté contestable, en tout cas d’inutilité flagrante. Celui du chien de
travail n’est pas allé si loin.
Il s’est contenté de multiplier les groupes, après avoir
accordé à de menues variations valeur de race. Tout éleveur dont le cheptel a
été gratiné d’une mutation qui ne l’a pas épouvanté, mais au contraire
intéressé, ou qui, par sélection, a produit des chiens plus pigmentés, plus
clairs, plus grands ou plus petits que le prototype, souvent trop étroitement
défini, est persuadé avoir réalisé un objet entièrement nouveau. L’intérêt de
l’affaire est en définitive quelconque, pour peu qu’on n’en tienne compte que dans
la mesure convenable ; mais elle se réalise en somme au détriment de la
race mère.
Avec les idées fausses que nous nous en faisons, nous ne
permettrons plus à cette variété alliance avec la souche dont elle sort, sous
le prétexte ridicule d’en conserver la pureté. C’est une absurdité. Si cette
règle avait été conservée par les éleveurs anglais, chaque variété de pointer,
setter, fox-hound ou beagle aurait été sacrée race, ce qui nous procurerait un
jeu de casse-tête chinois assez réussi, mais, il est vrai, avec beaucoup de
clubs spéciaux et de vanités satisfaites.
La famille particulière obtenue par un éleveur habile peut
présenter d’appréciables qualités durant plusieurs lustres, de la même veine
intellectuelle que celles de la race type. Mais il est impossible d’en
maintenir longtemps la santé et l’existence, les unions incestueuses répétées
dans ce cheptel restreint en amenant plus ou moins rapidement la décadence.
Les exemples en abondent, tant dans le monde du chien
courant que du chien d’arrêt. Il serait aisé de citer des noms si l’on ne
voulait ménager les susceptibilités des descendants des créateurs de variétés
florissantes aux premiers temps de notre siècle.
Ces divers cheptels sont ou disparus, ou refondus dans leur
race originelle, ce qu’ils pouvaient faire de mieux, ou végètent encore,
représentés par un petit nombre d’êtres privés de santé, de longévité, et
parfois même de qualité.
La consanguinité sans trêve ni repos provoque la perte de
santé, en dépit des précautions prises. Ceux qui disent le contraire ou sont
intéressés à défendre une cause mauvaise, ou sont privés de tout esprit
d’observation.
Cet élevage en vase clos aboutit aussi souvent à la perte de
la qualité, soit que la sélection se soit faite surtout sur une particularité
de second ordre, ou pseudo-esthétique, soit que, la race étant de culture, un
des éléments de base (et pas ce qu’il y a de plus souhaitable) vienne à dominer
par reversion. Quand on a mis du lévrier dans une race de courants ou de chiens
d’arrêt, soit encore du barbet, il faut s’attendre aux plus désagréables
surprises d’un atavisme tenace. Lorsque, au début du siècle, la mode ne voulut
que des pointers d’une même robe, les sujets à physionomie et moral de chien
courant firent leur apparition, l’une des familles porteuses de cette robe au
moins étant croisée de « hound ».
Mais il est inutile de prendre ses exemples parmi les races
de culture, qu’on sait composées d’éléments hétérogènes. En les choisissant
chez celles dont le prototype est connu depuis longtemps sans qu’on puisse dire
qu’il ait été fabriqué, ils sont tout aussi significatifs.
La création de classes de couleur dans les expositions n’a
pas été bienfaisante aux chiens de chasse. La mode s’empare toujours d’un objet
et ne veut voir que lui. Il y a donc la robe sacro-sainte du jour, à laquelle
tout est sacrifié, et en premier lieu la qualité, soit l’essentiel. Cet
isolement des variétés conduit souvent enfin à perpétuer chez chacune un défaut
moral ou de structure qui lui est propre et essentiellement transmissible.
Le culte de la couleur est l’ennemi de l’homogénéité. Seules
les races bien homogènes peuvent se payer le luxe d’une vêture variée. C’est
ainsi qu’un beagle peut être tricolore, blanc et fauve, noir et feu ou bleu, on
le reconnaîtra toujours pour un beagle.
Nous avons, en définitive, tendance à considérer que l’habit
fait le moine. Conception très superficielle dont beaucoup de nos races
indigènes ont eu à souffrir tout particulièrement, la sélection, dès le début,
s’étant organisée là-dessus.
Il n’est pas plus sage de tout sacrifier à la qualité du
pelage. On doit toutefois constater l’homogénéité des griffons à poil dur, et
ne point oublier la difficulté qu’il y a pourtant à obtenir cette vêture
correcte, toison fermée et cependant bien fournie de sous-poil. Cette réussite
est tout à l’honneur de ses éleveurs et nombre de gens cultivant les races
pourvues d’un pelage analogue pourraient s’inspirer de leur méthode de
sélection.
Mais les variations portant sur la texture du poil sont
presque aussi fréquentes que les variations de couleur.
La Belgique possède un petit chien de luxe très pur qui
donne indifféremment griffon ou à poil ras, cependant constamment croisés. Les
éleveurs belges ont compris la bonne doctrine.
Sans doute l’art ou la nature peuvent se complaire à broder
leurs fantaisies sur la trame solide constituée par l’ensemble de l’armature
osseuse. Mais c’est tout. L’éleveur qui voit son cheptel changer de robe par
simple sélection ou mutation même peut être rassuré, il ne change pas de race,
quoi qu’en puissent penser ces documents extraordinaires rédigés par
l’amateurisme et non par des techniciens sous le nom de standards.
R. DE KERMADEC.
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