Après le chêne, qui reste l’essence la plus précieuse de nos
peuplements feuillus indigènes, nous devons donner une place de choix au hêtre.
Celui-ci occupe environ 10 p. 100 de la superficie totale des forêts
françaises ; mais il est difficile de fixer sa situation exacte. Il ne
devient essence dominante que dans certains massifs bien délimités, et, dans ce
cas, les peuplements sont à peu près purs. Citons, à titre d’exemple :
dans les Faucilles, les forêts des environs de Bains-les-Bains (Vosges) ; dans
le bassin parisien, les massifs de Retz (Aisne) et de Compiègne (Oise) ;
en Normandie, les forêts de Lyons et Eawy (Seine-Inférieure) ; en
Côte-d’Or, les forêts de Châtillon-sur-Seine et Montbard, le plateau de Langres
et ses environs.
Il s’agit alors de massifs de futaie ou prenant l’aspect de
futaie après l’abandon du traitement en taillis-sous-futaie.
Mais, en dehors de ces massifs un peu exceptionnels, le
hêtre apparaît dans un grand nombre de régions, sur les sols les plus divers,
en taillis-sous-futaie ou en futaie, en mélange avec des essences feuillues
(chêne, notamment en plaine ; ou érable sycomore en montagne :
Préalpes) ou résineuses (sapin en moyenne altitude : Jura, Vosges, Massif
central, Pyrénées ; ou épicéa plus haut : Jura).
Enfin, certains traitements spéciaux l’ont maintenu à l’état
d’arbres isolés, sur les talus ou en bordure de champs, en Bretagne par
exemple, ou en taillis fureté dans le Morvan, les Ardennes ou les Vosges.
Au total, le hêtre est abondant dans toute la partie du territoire
français située au nord de la Loire, et particulièrement à l’est de
Paris ; il est exceptionnel dans les régions à influences
méditerranéennes ; il est fréquent dans le Centre de la France, plus rare
en plaine, plus abondant en montagne.
Son bois fournit de nombreuses catégories de produits
appréciés et même recherchés par l’industrie. Notons tout de suite que cette
essence intervient dans la production indigène en bois d’œuvre pour :
— 1/10 du volume total feuillus et résineux ;
— 1/4 du volume total en bois feuillus.
Le volume fourni représente sensiblement la moitié du volume
que donnent les chênes et égale le volume que produisent toutes les autres
essences feuillues réunies.
Pour les bois d’industrie et la charpente, il est très
largement distancé par d’autres essences dont l’usage est courant en bois de
traverses, mines, papeterie, etc. Là se trouve, jusqu’à présent, son point
faible ; mais les nouvelles techniques industrielles réservent une place
importante à ces catégories.
Comme bois de chauffage, il est très recherché, notamment
dans les régions de montagne, peuplées en majorité de résineux.
Les restrictions que nous venons de faire ne lui enlèvent
pas pour autant de l’intérêt, car les mercuriales des dernières années prouvent
que le commerce recherche toutes les catégories de grosseur de hêtre et les
paie bien, en raison des besoins croissants.
Pour limiter cet exposé économique à quelques grandes
lignes, le bois de hêtre de catégorie moyenne (120-149 centimètres de
circonférence au milieu), menuiserie ordinaire, est payé à la taxe sur la base
de 1.020 francs le mètre cube sur wagon départ ; les plus belles
qualités, déroulage et sciages de choix, bénéficient d’une plus-value de 1,6
par rapport au prix de base, pour les dimensions les plus faibles, alors que
les catégories secondaires, charronnage et traverses, voient ce prix de base
affecté d’un coefficient de 0,8 à 0,6. Les prix s’échelonnent ainsi de 800 francs
à plus de 1.700 francs, faisant ressortir l’importance de la qualité des
grumes produites.
Nous répéterons donc, pour cette essence, ce que nous avons
dit pour le chêne dans un article précédent, à savoir que les belles qualités
paient toujours ; et les industries modernes offrent des débouchés
toujours plus nombreux et plus rémunérateurs aux bois de choix.
Ceci dit, comment les propriétaires forestiers doivent-ils
comprendre la culture de cette essence ?
Nous abandonnerons toute idée d’installation artificielle du
hêtre, impossible en terrain nu, difficile par semis, aléatoire par plantations,
même sous un abri bien préparé, pour créer un peuplement productif. Ces
plantations doivent être envisagées comme complément dans un peuplement
existant pour améliorer les conditions de végétation et notamment favoriser, en
sous-étage, la croissance des beaux chênes de futaie.
Nous envisagerons seulement le traitement de peuplements où
le hêtre est déjà présent en certaine abondance et où les conditions naturelles
permettent d’obtenir des produits intéressants.
Une réserve s’impose cependant pour les taillis-sous-futaie
à réserve assez riche en hêtre, tels qu’on les rencontre dans le Centre et
l’Est de la France.
Toutes les fois que le chêne croît dans de bonnes conditions
(sols riches et frais), le hêtre doit passer au second plan, même si le traitement
antérieur a laissé cette essence prendre une place qui ne lui revient pas. Les
coupes devront être plus fortes pour favoriser l’installation des semis de
chêne et leur développement. Les dégagements et tous les travaux culturaux
nécessaires à ce sauvetage de l’essence précieuse seront exécutés, et les
résultats compenseront largement les efforts faits.
Au contraire, partout où le chêne est médiocre (forme
tortueuse, faible grosseur, gélivures sous les climats trop rudes, roulures,
pourriture, bois noueux sur certains sols), le hêtre devra être préféré.
Certes, les prix appliqués au chêne sont plus élevés, mais
seulement pour les belles qualités. Les prix un peu moindres des bois de hêtre
sont compensés par ses qualités.
C’est, en effet, une essence productive, à accroissement
rapide toutes les fois que le climat maintient une humidité suffisante dans le
sol et dans l’air. L’élagage naturel se fait convenablement lorsque les
peuplements ont été maintenus assez fermés, au début tout au moins. L’âge d’exploitation
peut être abaissé à cent vingt ans pour des diamètres de l’ordre de 0m,45
à 0m,50. Les longueurs de fûts sans branches dépassent souvent 15 mètres.
À la fin d’une révolution, le volume sur pied atteint 500 à
600 mètres cubes à l’hectare, et les volumes prélevés en éclaircies
peuvent être au moins équivalents. Une telle production, de l’ordre de 10 mètres
cubes par hectare et par an, est fort avantageuse pour le propriétaire qui
récolte, tous les six ou sept ans, des volumes réguliers.
Si un certain discrédit a été jeté sur cette essence, il
résulte non pas des caractères propres à son bois, mais des mauvaises
conditions dans lesquelles celui-ci est récolté. Trop souvent, en effet, les
exploitations sont faites en sève, et les produits laissés sur coupe ou en
bordure de route pendant plusieurs mois.
Or il faut savoir que ce bois est facilement attaqué par un
champignon parasite, qui détermine l’« échauffure du hêtre ».
L’attaque sera d’autant plus dangereuse, et le développement
d’autant plus rapide que les conditions favoriseront la nutrition du
champignon : dans un bois exploité en sève, il existe une grande quantité
d’hydrates de carbone, emmagasinés dans les cellules sous forme
d’amidons ; le bois est frais, gorgé d’humidité ; enfin, la température
extérieure est celle de la belle saison, avec longues journées chaudes. Le
champignon trouve, dans ces conditions, un milieu favorable à son
développement ; la bille, abattue et maintenue dans l’atmosphère humide
qui règne sous le couvert, devient un véritable bouillon de culture. Les
conséquences sont immédiates, et l’on voit les extrémités des grumes se couvrir
d’abord de petites taches noirâtres, le bois devient plus foncé et
irrégulièrement coloré, enfin des fructifications apparaissent sous forme de
petites consoles grisâtres et caoutchouteuses.
Si l’écorce se fissure et laisse le bois à nu le long de la
bille, ces fructifications apparaissent aussi, révélant l’extension de
l’échauffure. Les marchands de bois refusent souvent ces bois ainsi échauffés,
ou les acceptent en réduisant fortement les prix.
Au contraire, une coupe exploitée durant l’hiver fournira un
bois presque dépourvu de matières de réserve, relativement sec, et à une époque
où la température est peu favorable au développement des champignons.
Les billes façonnées, débardées rapidement et transportées
sur chantiers bien aérés subiront à l’air libre un premier ressuyage. Leur
débit rapide en scierie les mettra à l’abri de toute échauffure ; les
produits seront de grande valeur, et les prix les plus élevés pourront alors
être offerts.
Ce préambule à l’étude du traitement des peuplements riches
en hêtre était nécessaire pour bien préciser la valeur de cette essence.
LE FORESTIER.
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