Les premières émissions du Brésil, celles de la période du
débonnaire empereur don Pedro, appartiennent à la grande famille des classiques
de la philatélie. Non que les émissions postérieures de la République ne
présentent aucun intérêt — au contraire ! — mais les variétés
qu’elles offrent ne sont guère connues et recherchées en dehors du Brésil même.
Tandis que les « chiffres » ou les « don Pedro » font
partout l’objet de spécialisations avancées, en particulier en Grande-Bretagne
et aux États-Unis, où de grandes collections universellement connues rivalisent
en importance avec celles des amateurs brésiliens.
Depuis quelques années, et récemment encore plus, le Brésil
est devenu très populaire chez nos philatélistes. Malheureusement, cette mode
n’est pas exempte d’idées extra-philatélistes, trop souvent ces
néo-spécialistes ayant surtout en vue un placement apparenté au dollar et moins
onéreux que par l’intermédiaire des timbres américains proprement dits. Nous ne
discuterons pas de stratégie financière, encore que ces questions fassent de
plus en plus dévier la philatélie, mais nous nous permettons quand même de
trouver que des achats de timbres brésiliens, à des prix qui, par rapport à
ceux pratiqués à New-York en ventes publiques, font ressortir le dollar entre 5
et 600 francs, constituent des placements de sécurité bien curieux !
Sans parler des variétés même pas mentionnées dans les ouvrages spécialisés et
vendues trois ou quatre fois ces prix de base, déjà exagérés. Ces excès
financiers mis à part, les vieilles émissions du Brésil n’en restent pas moins
très intéressantes et offrent encore à l’étudiant un grand champ de recherches,
aussi bien dans la spécialisation planchage que dans celle relative à
l’utilisation postale et aux oblitérations.
La première émission, les fameux « Œils-de-bœuf »,
date de 1843. Ce fut la seconde émission de timbres-poste créée par une
administration centrale, immédiatement après les fameux penny de
Grande-Bretagne. Il est curieux de constater que cette invention du timbre-poste,
qui devait rendre de tels services, ait été comprise et appréciée par un pays
de type féodal agricole, comme l’était le Brésil de 1840, bien avant des
nations commerciales et industrielles importantes comme la Hollande, la Prusse,
la France.
Quoi qu’il en soit, malgré leur siècle d’existence bien
compté, les « Olho de Boi » offrent encore de nombreux mystères
philatéliques non résolus. Tout d’abord, l’origine du dessin et surtout
l’origine du fond de sûreté, composé d’un guillochis de fines lignes blanches,
selon un procédé alors connu des seuls graveurs américains (lathework) et qui
se retrouve dans la plupart des premières émissions américaines et
britanniques. Ensuite le planchage, qui présente encore de nombreuses lacunes.
Les spécialistes sont d’accord pour admettre l’existence de
six planches d’Œils-de-bœuf. Les deux premières, celles de 1843, étaient
composées chacune de trois panneaux superposés de dix-huit timbres de chaque
valeur, par trois rangées horizontales de six. (Les paires verticales montrant
deux valeurs différentes sont de toute rareté.) Chacune de ces planches est
connue en quatre états différents, correspondant aux différentes retouches
effectuées à la monnaie de Rio-de-Janeiro. Les planches suivantes furent tirées
par valeurs. Deux pour le 30 reis (54 et 60 empreintes) et deux aussi
pour le 60 reis, chacune de soixante unités. Ces trois planches de
soixante étant connues chacune en deux états, un rapide calcul nous apprend que
le planchage complet des Œils-de-bœuf représenterait 846 positions :
ce qui, au prix actuel des timbres, n’est vraiment pas à la portée d’un
philatéliste même moyen.
Contrairement à ce que l’on croit en France, les multiples
de cette émission ne constituent pas des raretés introuvables. Non seulement
l’on connaît de nombreuses paires, sur lettres ou détachées, mais encore des
blocs importants et même des panneaux entiers. Dans cet ordre d’idées, les
premières émissions des États-Unis, du Canada, de l’Argentine et d’autres
républiques américaines sont beaucoup plus rares. Cette survivance de pièces
aussi importantes est curieuse. Peut-être faut-il en chercher la raison dans
l’absence de grosses valeurs, ce qui obligeait à employer une grosse quantité
de figurines pour le règlement de tout port sortant de l’ordinaire. Et comme,
d’autre part, les timbres, vu leur format peu banal, ne pouvaient guère être
utilisés en certain nombre du côté de l’adresse, l’habitude vint d’affranchir
les lettres au verso, ce qui permettait l’usage de larges blocs.
Pas mal de faux, mais sans aucun danger pour le
collectionneur disposant de bons documents. Toutes ces imitations sont
lithographiées : ce qui ne constitue pas précisément un procédé de choix
pour rendre les gravures. Le fond guilloché est régulièrement plus que raté.
(Ce vieux procédé du « lathework » est encore employé avec succès aux
États-Unis contre les faussaires en banknotes ou en valeurs mobilières.) De
plus, les volutes ornementales des chiffres ne correspondent que de très loin
avec les originales, certaines même, dans le 30 reis par exemple, occupant
une tout autre position.
Se méfier des réparations, en particulier pour les
multiples, lesquels furent souvent abîmés lors de l’ouverture des lettres, la
nature des papiers employés pour l’impression des Œils-de-bœuf permettant
d’adroits « stoppages » assez difficilement discernables. Enfin ne
payer de primes pour les timbres sur lettres qu’en connaissance de cause, les
truquages étant très nombreux.
M.-L. WATERMARK.
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