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Causerie juridique

Permis de chasse

Nous avons eu récemment l’occasion de renseigner des lecteurs de cette revue au sujet de la délivrance des permis de chasse et des effets de cette délivrance. Les questions posées nous ont semblé présenter un intérêt assez général pour pouvoir être traitées ici.

On sait que la loi ne permet pas de délivrer un permis de chasse à toute personne qui en fait la demande. Ainsi, notamment, un permis ne peut être accordé aux personnes n’ayant pas atteint leur majorité, à moins qu’elles n’aient atteint l’âge de seize ans et que la demande de permis n’ait été présentée par le père, la mère ou le tuteur, ou, si le mineur est émancipé, par le curateur ; le permis ne peut davantage être accordé à une personne ayant encouru l’interdiction par jugement ou encore ayant encouru certaines condamnations.

Quand un mineur a encore son père et sa mère, mais que, ses parents étant divorcés, il a été confié à la garde de sa mère, on peut se demander auquel, du père ou de la mère, il appartient de présenter la demande de permis. La question n’est pas tranchée par la loi ; l’article 7 porte seulement que la demande de permis pour un mineur doit être faite « par ses père, mère, tuteur ou curateur, inscrit au rôle des contributions ». Ces diverses personnes étant énumérées sans distinction ni ordre hiérarchique, on doit admettre que chacune d’elles jouit d’un droit égal à formuler la demande ; en tout cas, dans l’hypothèse envisagée ci-dessus, il ne paraît pas douteux que la mère serait parfaitement qualifiée pour faire la demande, à condition, toutefois, qu’elle soit personnellement inscrite au rôle des contributions directes. D’autre part, même dans cette hypothèse, nous pensons que le père pourrait aussi bien faire la demande : le fait que la garde du mineur a été confiée à la mère ne peut avoir pour conséquence d’enlever au père qualité pour faire la demande du permis pour son fils.

Il peut arriver que le permis de chasse ait été délivré à une personne n’ayant pas atteint sa majorité, bien que la demande n’en ait pas été faite par son père ou sa mère. Une telle erreur n’a rien d’invraisemblable puisque la présentation de l’acte de naissance du demandeur n’est pas exigée par la loi. Quel sera alors l’effet de la délivrance du permis ?

En principe, on reconnaît que le permis délivré par erreur à une personne à laquelle il aurait dû être refusé n’est pas valable. Mais le permis couvre-t-il néanmoins les actes de chasse accomplis par celui qui en est muni ?

Une distinction doit être faite à cet égard. Aussi longtemps que l’erreur commise n’a pas été découverte, le titulaire du permis doit, au point de vue de la répression judiciaire, être considéré comme en possession d’un permis régulier, et les actes de chasse accomplis par lui ne peuvent l’exposer à des poursuites pénales, même si, par la suite, l’erreur commise vient à se découvrir. Lorsque l’erreur commise est découverte, l’administration doit avertir le bénéficiaire du permis de la nullité du permis dont il est muni et le mettre en demeure de le rapporter. À partir du jour où il a été touché par cette mise en demeure, et même s’il n’obtempère pas à l’ordre de restituer le permis, la personne qui en bénéficie doit être considérée comme n’ayant pas de permis et, pour tout acte de chasse accompli postérieurement, elle peut être poursuivie et condamnée comme ayant chassé sans permis.

La question s’est posée plusieurs fois devant les tribunaux et a donné lieu à des solutions différentes. Un arrêt de la Cour d’appel d’Angers du 19 février 1862 a jugé, contrairement à l’opinion que nous venons d’émettre, que le permis délivré par erreur à une personne n’ayant pas la qualité requise pour l’obtenir est sans valeur et que le titulaire de ce permis doit être considéré comme ayant chassé sans permis et condamné pour cela. Il s’agissait, dans l’espèce, d’un garde champêtre auquel, par erreur, le permis avait été accordé, bien qu’à l’époque la loi interdît qu’un permis pût être délivré aux gardes, interdiction qui n’a disparu que par l’effet de la loi du 9 août 1930.

Mais la Cour de cassation s’est prononcée en sens contraire par deux arrêts. Un arrêt de la Chambre criminelle de cette cour, rendu le 28 janvier 1858 dans un cas identique de permis de chasse délivré par erreur à un garde champêtre, a décidé que, la loi n’ayant édicté aucune peine contre le garde champêtre ayant obtenu un permis de chasse malgré la prohibition de l’article 7, on ne peut considérer comme sans valeur au point de vue de la répression judiciaire le permis qui lui a été délivré par l’administration ; en conséquence, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi qui avait été formé contre un arrêt de la Cour d’appel d’Amiens qui avait refusé, dans cette situation, de prononcer une condamnation requise par le ministère public. L’annotateur de cet arrêt au Recueil Dalloz (année 1856, 1re part., p. 252) rappelle avec raison que le préfet, prévenu de son erreur, peut toujours signifier le retrait du permis délivré par erreur et que, dans ce cas, l’impétrant ne pourrait continuer à chasser sans s’exposer à être poursuivi pour délit de chasse sans permis.

Un autre arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation, rendu le 30 mai 1873 (rapporté au Recueil Dalloz, année 1873, 1re part., p. 318), a admis la même solution dans un cas où le permis avait été accordé à une personne qui, n’ayant pas exécuté une condamnation antérieure prononcée contre elle pour un délit de chasse, se trouvait privée du droit d’obtenir un permis par application de l’article 7 de la loi sur la chasse, disposition qui est toujours en vigueur. Les considérants de l’arrêt du 30 mai 1873 reproduisent presque littéralement ceux de l’arrêt du 28 janvier 1858 que nous avons rappelés ci-dessus, en précisant, en outre, que le permis de chasse délivré à une personne incapable de l’obtenir n’est pas nul de plein droit et demeure valable tant que l’administration n’en a pas prononcé le retrait ; comme les faits donnant lieu à la poursuite étaient antérieurs à la notification du retrait du permis, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé contre un arrêt de la Cour d’appel de Limoges qui avait acquitté le prévenu.

On peut donc considérer que la question est tranchée par la jurisprudence conformément à l’opinion que nous avons exprimée ci-dessus, opinion qui, d’ailleurs, est partagée par la plupart des auteurs qui ont examiné la question.

Paul COLIN,

Avocat à la Cour d’appel de Paris.

Le Chasseur Français N°619 Avril 1948 Page 50