Appartenant à la famille des lamas, le guanaco, espèce
essentiellement sauvage, en diffère pourtant sensiblement. Si, par la tête et
le cou, il se rapproche de son cousin domestiqué, son corps plus élancé, sa
large poitrine au poil gris auréolé de blanc, ses longues pattes en font un pur
sang taillé pour la course.
Sa tête grise, au poil fin, est illuminée par de grands yeux
noirs qui semblent toujours scruter les horizons lointains. La laine du cou et
du dos est épaisse, rousse et fine. L’état de propreté de tout son corps est
extrême, sa chair est succulente.
Les spécimens de guanacos existant dans les jardins
zoologiques, pauvres bêtes détachées de leurs mères sauvages, capturées toutes
petites, élevées derrière des clôtures, sous un climat qui n’est pas le leur,
ne peuvent guère donner une idée des superbes animaux que l’on rencontre dans
les immensités désertes de l’Amérique du Sud.
Le guanaco se trouve dans toutes les contrées non peuplées
de cette partie du continent américain : dans les forêts du Chaco aussi
bien qu’en Patagonie, dans les plaines comme dans la Cordillère des Andes, et,
puisque nous mentionnons ces impressionnantes montagnes, notons, en passant,
que le guanaco, sur les hautes cimes, y possède une cousine, plus frêle et plus
légère encore : la vigogne. La laine de celle-ci est de même couleur
rousse et frisée ; elle est très recherchée et sert à confectionner les
ponchos tissés sur les archaïques métiers indiens. Ils sont destinés aux riches
« campesinos ». La vigogne devient, du reste, un animal de plus en
plus rare.
En l’année 1910, étant alors ingénieur aux chemins de fer de
l’État argentin, j’étais chargé de l’étude de la ligne de Quimili au Nord-Est.
Je me trouvais approximativement par 27°20’ de latitude sud et 61°30’ de
longitude ouest de Greenwich. La ligne devait se construire dans une plaine
boisée complètement inhabitée, si on en excepte Las Unidas, estancia
située à 76 kilomètres de Quimili et qui avait récemment été implantée là
pour justifier le passage du chemin de fer en ces lieux. Le rancho de cette
estancia, occupé par quelques gauchos, ne manquait d’ailleurs ni de
pittoresque, ni d’imprévu : la toiture de chaume et de terre était
couronnée de crânes de jaguars et de pumas. Il s’en tuait une dizaine dans
l’année. Les repas que j’y prenais parfois m’y amenaient des convives
inattendus : des autruches (« nandus ») ne manquaient jamais
pareil rendez-vous. Puis, timidement, deux petits guanacos, de la taille d’une
chèvre, capturés quelques mois auparavant, venaient aussi quémander leur part
de « galletas ». Sympathiques petites bêtes, séparées à la course de
leur mère et qui, insouciantes, se laissaient vivre et caresser.
Dans un « corral », un gros guanaco mâle
était en pénitence. Lui aussi, pris tout jeune, avait grandi en captivité. À
certaines époques, il devenait combatif : il rabattait alors ses longues
oreilles en arrière, s’avançait vers le visiteur qui ne lui plaisait pas, lui
crachait au visage, le bousculait d’un coup de poitrail et cherchait à le piétiner.
Les gauchos du lieu s’étant amusés une fois à le seller et à le monter, la
plaisanterie ne dut pas être de son goût, car, le lendemain, il disparut pour
toujours.
Pour le tracé de la ligne, nous étions amenés à faire, dans
la traversée des parties en forêt, ce que l’on nomme là-bas une
« picada », c’est-à-dire une saignée dans la végétation ; celle-ci
était nécessaire pour l’usage du tachéomètre et du niveau. Elle permettait d’y
passer à cheval, en prenant toutefois certaines précautions pour éviter les
grosses branches à la hauteur de la tête. Lorsque nous nous rendions au travail
et que nous avions à parcourir une picada, nous le faisions le plus
silencieusement possible avant de déboucher dans une clairière. Souvent, en
effet, nous y rencontrions du gibier en train de paître ou de s’y reposer.
Celui-ci, attentif à ce qui se passait en terrain découvert, était sans
méfiance du côté de la forêt près de laquelle il se tenait. J’ai réussi ainsi
de beaux coups de carabine sur des cerfs, des chevreuils ou apparentés, des
autruches, et même, une fois, sur un beau mâle de guanaco tiré à quatre cents
mètres.
Dans cette région, les guanacos se rencontraient assez
fréquemment par bandes de quatre à dix individus ; toujours en éveil et
très sauvages, ils partaient à six ou huit cents mètres. Il existait aussi des
bandes de plusieurs centaines de ces animaux ; mais elles se retiraient de
plus en plus vers le nord aussitôt qu’elles avaient deviné la présence d’êtres
humains. Toujours un vieux mâle veillait sur la tribu endormie ; souvent
je ne pouvais les apercevoir ; il fallait la vue exercée de mes gens pour
les voir s’enfuir à un kilomètre. C’est alors que, parfois, la chasse
commençait, une chasse à courre inoubliable et que peut-être je pourrai conter
dans un prochain récit.
Léon VUILLAME.
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