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Après le dressage

Quand un chasseur a fait dresser ou a acheté un chien d’arrêt, il se figure que cet animal va se mettre à chasser et rapporter sans autre préparation.

Dans les deux cas, il aurait dû se rendre compte auprès de son dresseur ou du vendeur de la façon de le conduire et des termes à employer.

Certains dresseurs font éditer un petit opuscule qu’ils remettent en livrant l’élève, mais rien ne vaut la chose vue.

Mon vieil ami Ludovic Ridet disait : « En même temps que l’on dresse le chien, il faudrait dresser le maître. »

Faute de la connaissance des gestes et des termes employés, il advient souvent des incompréhensions de la part du chien et un mauvais emploi des qualités qu’il peut avoir.

Alors, le propriétaire de s’exclamer : « On m’a volé », ou. « Le dresseur ne s’est pas occupé de mon chien. »

En plus de l’ignorance sur la façon de le conduire, il y a aussi, à mon avis, l’adaptation au terrain, au climat et au genre de gibier. Ainsi un chien dressé sur cailles et perdrix grises y excellera et pourra n’être que de peu d’utilité au début sur faisan et perdrix rouge, les premières se laissant arrêter d’assez près sans avoir couru, tandis que les seconds piètent quelquefois longtemps avant de tenir.

Dans le courant de l’année écoulée, j’ai eu un exemple frappant de ces cas.

Un docteur du Midi m’ayant demandé si je pouvais lui procurer un chien ayant bon nez avec quête pas trop étendue, sage au départ du gibier et, bien entendu, rapportant bien, je me rendis chez un dresseur éleveur de bretons de mes environs, qui me présenta plusieurs de ses élèves dans un fermé d’une dizaine d’hectares.

L’un de ceux-ci (un mâle) me parut réussir les desiderata du docteur : quête assez ample et intelligente, bien réglée, arrêts fermes, immobilité absolue au départ du lapin et au coup de feu, très grande obéissance, rapport parfait avec dent douce. Ce qui ne gâtait rien, assez beau chien, capable de toujours faire un prix dans une exposition de province. Issu d’une famille de trialers et inscrit au L. O. F.

J’annonçai au docteur l’heureux résultat de mon déplacement et il envoya chercher le chien par son épouse.

Je ne pensais plus à cette affaire quand, quelques semaines plus tard, je reçus une lettre m’informant que le chien ne voulait pas chasser et se désintéressait de tout gibier poil ou plume, celle-ci représentée par des perdreaux rouges, dont le chien n’avait jamais été à même de connaître.

Je fus saisi et le vendeur, ayant été lui-même informé de la mauvaise impression résultant de ce travail, répondit en offrant l’échange contre un autre de ses élèves, mais à la condition que le docteur vînt lui-même procéder à l’essai en ramenant le premier.

Ayant eu l’occasion de venir à Paris pour affaires, le docteur me prit en passant et nous nous rendîmes ensemble chez le dresseur. Après un instant d’hésitation, le chien le reconnut et prit aussitôt la belle quête que je lui avais vu pratiquer.

Quand il eut pris une dizaine d’arrêts bien respectés, je demandai au docteur de bien vouloir conduire le chien lui-même. Déjà très étonné de ce qu’il venait de voir, il le fut encore plus en voyant le chien se comporter avec lui comme avec son dresseur et prendre successivement une demi-douzaine d’arrêts, dont plusieurs en marchant à mauvais vent. Le chien, de lui-même, prenait un peu de terrain en avant et revenait sur son maître en croisant.

Que s’était-il passé dans la tête de cet animal ? Pour moi, je crois que c’est particulièrement une question d’adaptation au terrain et au climat.

J’ai été à même de lire la lettre d’un chasseur qui se glorifie d’avoir dressé son chien en grande quête !

Il faudrait s’entendre sur ce que l’intéressé entend par grande quête. Ce n’est pas parce qu’un chien allonge sa quête à 150 ou 200 mètres de son conducteur qu’il fait de la grande quête. Aux épreuves à la française, dites de chasse pratique, cette distance est souvent dépassée.

La grande quête, ou quête à l’anglaise, ne s’intitule réellement ainsi que quand elle est pratiquée en couple et que l’arrêt à patron y est strictement et spontanément pratiqué.

À part les propriétaires de chiens prenant part aux épreuves de ce genre, bien peu de chasseurs en France ont la possibilité de l’exercer. D’ailleurs, avec ces chiens, elle nécessite l’emploi d’un retriever et d’au moins deux couples ; elle n’est donc permise qu’aux chasseurs fortunés.

Ce n’est pas à 150 ou 200 mètres que ces buveurs d’air limitent leur quête, mais quelquefois à 4 ou 500. On voit d’ici l’étendue de terrain nécessaire pour chasser à bon vent seulement une demi-journée.

De plus, leur allure ne permet guère de les faire chasser plus d’une demi-heure à la fois, et il leur faut donc des remplaçants. C’est là chasse de « lords ».

A. ROHARD.

Le Chasseur Français N°619 Avril 1948 Page 63