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Ballastières profondes

Assez peu nombreux sont les confrères ayant eu l’occasion de pêcher dans une ballastière, où, assez souvent, la pêche est fort intéressante.

Chacun sait qu’au point de vue pêche une ballastière est une excavation plus ou moins vaste et plus ou moins profonde, où l’extraction du gravier, destiné à garnir le sol de nos voies ferrées, a été abandonnée, soit que tout le gravier utilisable ait été enlevé, soit — cas le plus ordinaire — qu’elle ait été envahie par l’eau à la suite d’une crue d’une rivière voisine ou d’infiltrations impossibles à contenir. Il s’est donc formé là une sorte d’étang, presque toujours assez profond, aux rives abruptes et au fond relativement propre, fort propice à la multiplication du poisson.

La plupart de ces vieilles ballastières abandonnées sont des propriétés particulières dont les possesseurs se soucient peu et où le pêcheur à la ligne est toléré et peut, en tout temps, exercer son art. Elles sont souvent, au bout de quelques années, devenues poissonneuses, et les belles pièces n’y manquent pas, principalement les anguilles, brochets, carpes et tanches ; les ablettes, gardons et rotengles y pullulent au bout de quelques années, quand les herbes aquatiques s’y sont développées.

Un des modes de pêche les plus usités, dans ces étangs souvent profonds d’une dizaine de mètres et plus, est la pêche dite « au grelot », peu pratiquée par la généralité des pêcheurs et parfaitement adaptée à ces sortes d’endroits, trop creux pour y pêcher facilement à la ligne flottante.

Le dispositif spécial approprié à ce mode consiste tout d’abord en un piquet de bois de 0m,40 environ de longueur et de la grosseur d’un bon manche à balai. À son extrémité inférieure, ledit piquet est muni d’une forte douille métallique terminée en pointe aiguë ou par une lame plate, en forme de fer de lance, facile à enfoncer dans un sol assez dur.

À l’extrémité supérieure est fixé très solidement un fragment de baleine de 0m,35 de long, ou, mieux, la pointe en acier d’un fleuret rompu, ayant environ la même dimension. L’un ou l’autre de ces scions, assez rigides mais élastiques, porte une petite boucle métallique par où passera le corps de ligne qui sera rattaché au milieu du piquet. Également à cet anneau ou tout contre lui, est fixé un grelot de bronze, capable de donner un son assez fort quand il sera agité.

Au corps même du piquet est enroulé un fil à pêche très résistant, sans être de grosseur exagérée. Le lin tressé et tanné, de couleur brune, est très employé. Au bout de ce corps de ligne est rattaché un bas de ligne en trois grosses florences tressées, terminé par un brin de maraña unique, qui porte, empilé avec soin, un gros hameçon renforcé no 1 ou 2, à pointe très acérée. La plombée est presque toujours une petite olive de plomb maintenue fixe à 0m,35 au-dessus de l’hameçon.

La longueur totale de la ligne dépasse souvent 20 mètres, à cause de la profondeur de l’eau ; le commencement en est fixé au milieu du piquet par plusieurs tours et un nœud solide.

La ligne, appâtée d’un gros ver, d’une grappe d’asticots, d’une fève, d’une grosse noquette, voire d’un cube de pomme de terre cuite, d’un véron vivant ou d’une chatouille, suivant le cas, est lancée à la main comme une corde de fond. Quand l’olive a atteint le fond, le pêcheur raidit le fil et le fixe à l’anneau par une boucle aisément glissante. Le surplus, entre cette boucle et le point d’attache, reste lâche et permettra au poisson d’entraîner l’esche sans encombre pendant quelques mètres.

Le plus souvent, on tend à la fois plusieurs lignes à grelots, espacées chacune d’une dizaine de mètres. Chaque grelot a un son différent qui permet au pêcheur, assis au centre de son dispositif, de repérer immédiatement la ligne attaquée.

La pêche au grelot est une pêche de fond qui s’adresse spécialement aux gros poissons. Comme les fortes pièces sont parfois longues à toucher, le pêcheur s’amuse souvent à pêcher gardons ou rotengles avec une légère ligne flottante.

Habituellement, le gros poisson, qui s’attaque aux appâts volumineux de la ligne à grelot, se prend seul. Après avoir tâté l’esche pendant quelques instants, il l’engame et s’enfuit avec ; le fil de la boucle lâche qui se trouve à l’anneau cède et il peut entraîner l’appât pendant quelques mètres à peu près librement, mais, arrivé à bout de course, le fil se raidit, le scion se courbe, puis revient sur lui-même en provoquant un ferrage énergique qui accroche l’assaillant. Quand le pêcheur entend le grelot sonner, il pose à terre sa ligne flottante, se dirige vers la ligne attaquée et tire sur le cordeau, amenant sa prise d’autorité.

Près du bord, où la défense d’une grosse pièce est le plus à craindre, la grande épuisette ou la gaffe interviendront si c’est nécessaire.

J’ai vu, certains jours orageux de mai, la pêche au grelot devenir une pêche active. Le poisson, pris d’une fringale inexplicable, obligeait à courir de piquet en piquet retirer les captures, réappâter, relancer et tendre le fil ; avec les huit lignes que j’avais devant moi, ce n’était pas, je vous prie de le croire, un mince travail.

Les lignes sont habituellement eschées avec les appâts convenant le mieux aux poissons recherchés. Ainsi, le brochet se pêche au vif, l’anguille au ver ou à la chatouille, la carpe à la fève, à la noquette, à la pomme de terre, la tanche au pain, au ver ou à la grappe d’asticots.

Il n’est cependant pas très rare de voir la carpe mordre aux asticots, la tanche à la noquette, l’anguille au vif et le brochet se saisir de la chatouille. Ce sont là les hasards et les surprises de la pêche au grelot, qui, sans cela, deviendrait un peu monotone ; ne nous en étonnons pas outre mesure et profitons-en à l’occasion.

R. PORTIER.

Le Chasseur Français N°619 Avril 1948 Page 65