Le poisson des rivières, comme chacun sait, est res nullius,
et n’appartient à personne jusqu’à ce que le pêcheur s’en soit rendu maître par
des moyens légaux. Le poisson des « eaux closes », étangs ou
réservoirs, appartient au propriétaire de l’eau close.
C’est ainsi que l’appropriation du poisson de rivière par
des moyens prohibés est un délit de pêche ; celle du poisson des eaux
closes est un vol pur et simple. J’ai d’ailleurs traité de la question des eaux
closes dans une précédente chronique.
Je voudrais examiner aujourd’hui quelques cas particuliers
ou accidentels, dans lesquels le doute est permis et sur lesquels la
jurisprudence s’est exercée. Je veux parler des inondations d’étangs, et de
tous les cas fortuits ou accidentels où le poisson s’évade de l’étang de son
propriétaire et suit son élément naturel dans ses débordements.
Si, par le fait d’une inondation ou d’une rupture de digue
ou de grille, le poisson s’évade et va dans un autre étang situé soit en aval,
soit en amont, et appartenant à un autre propriétaire, à qui appartient le
poisson ?
La réponse est nette : le propriétaire, en ce cas, n’a
pas le droit de suite ; le poisson appartient au propriétaire du dernier
étang, à condition, bien entendu, qu’il n’ait pas manœuvré pour attirer le
poisson. Référons-nous, d’ailleurs, à l’article 564 du Code civil :
« Les pigeons, lapins, poissons qui passent dans un autre colombier,
garenne ou étang, appartiennent au propriétaire de ces objets, pourvu qu’ils
n’y aient point été attirés par fraude ni artifice. »
Donc, pas de discussion possible en ce cas. En conséquence,
propriétaires d’étangs, entretenez bien vos déversoirs pour éviter les
inondations.
Et entretenez bien vos grilles. Si, par vétusté, les grilles
dormantes ne s’opposent plus à la libre circulation du poisson, qui peut
rejoindre le ruisseau d’alimentation de l’étang, le poisson devient res nullius
et n’appartient plus au propriétaire de l’étang (arrêt de la Cour de cassation
du 14 juillet 1865), jusqu’à ce que la clôture de l’eau soit à nouveau
devenue effective.
Qu’arrive-t-il si, par suite d’une inondation, l’étang
déborde sur les terrains de propriétaires riverains voisins ? Ces
propriétaires peuvent-ils pêcher sur leur propre terrain ainsi inondé ?
Non, car le poisson des étangs est immeuble par destination
(article 524 du Code civil), et le propriétaire du terrain inondé par
l’étang débordé ne peut pêcher sur son terrain des poissons qui ne lui
appartiennent pas. Mais, dès que la communication a cessé entre le terrain
inondé et l’étang, le propriétaire du terrain inondé peut pêcher, dans les
mares restées sur sa propriété, les poissons qui sont devenus son bien propre.
Quelques chicanes peuvent s’élever entre propriétaires
d’étangs situés les uns au-dessus des autres, relativement à la période de
pêche ou de remplissage de ces étangs. C’est la coutume locale qui règle ces
rapports. C’est ainsi que la coutume d’Orléans prévoyait :
En son article 175. — Lorsque des étangs sont si
rapprochés que l’étang supérieur ne peut être vidé pour la pêche, le
propriétaire inférieur doit, dans les trois jours de la sommation qui lui est
faite, lever la bonde de son étang et en évacuer l’eau de manière que l’étang
le plus élevé puisse être mis en pêche.
En son article 167. — Quand des étangs sont assis en
même ruisseau et cours d’eau, l’un deux est prêt à pêcher, ne pourra celui du
dessus lever la bonde du sien pendant que celui du dessous est en pêche,
laquelle il sera tenu de faire en toute diligence.
Ces dispositions n’ont pas fait l’objet de lois ou de règlements,
mais se trouvent, en gros, contenues dans l’arrêt du 28 juillet 1814 de la
Cour d’appel de Paris, qui précise que les étangs inférieurs doivent être pêchés
avant les supérieurs, de façon à ne point en retarder la pêche, mais, en
revanche, spécifie que le propriétaire de l’étang inférieur qui est gêné dans
sa pêche par celui de l’étang d’amont qui a mal à propos lâché sa bonde ne peut
lui réclamer de dommages-intérêts s’il ne l’a prévenu en temps utile de la
pêche qu’il se préparait à faire !
De même en ce qui concerne le remplissage des étangs, si
difficile par nos années sèches : un arrêt du 18 février 1884 de la
Cour de cassation précise que les propriétaires d’amont ne peuvent, même sur
leur propre terrain, exécuter aucun travail détournant l’eau de la pente qui
les amène sur les étangs inférieurs.
Terminons enfin par l’article 452 du Code pénal, qui
punit l’empoisonnement du poisson dans les étangs, rivières et
réservoirs ... Quiconque aura empoisonné des chevaux, etc., ou des
poissons dans des étangs, viviers ou réservoirs sera puni d’un emprisonnement
d’un an à cinq ans, et d’une amende de 16 francs (960 francs) à 300 francs
(18.000 francs).
Les coupables pourront être mis par l’arrêt ou le jugement
sous la surveillance de la haute police pendant deux ans au moins et cinq ans
au plus.
DE LAPRADE.
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