Accueil  > Années 1948 et 1949  > N°619 Avril 1948  > Page 67 Tous droits réservés


Le « CHASSEUR FRANÇAIS » sollicite la collaboration de ses abonnés
et se fait un plaisir de publier les articles intéressants qui lui sont adressés.

Cyclisme

Les réparations sur la route

Au cours de mon voyage cycliste de l’été dernier, j’ai rencontré beaucoup de campeurs pédestres arrêtés au bord de la route et sollicitant, à grands gestes implorateurs, une place dans les autos de passage. Ils ne réussissaient jamais du premier coup ; mais ils ne perdaient pas courage et continuaient à quémander pendant des heures ce secours à leurs jambes lassées ; leur expérience leur avait appris, sans doute, qu’on finit toujours par trouver au volant un bon Samaritain.

Il m’apparut donc, comme à bien d’autres, je crois, que l’auto-stop est de pratique courante chez les campeurs pédestres. À considérer d’ailleurs l’énorme barda dont ils se chargent, on comprend que, s’ils ne sont pas de constitution athlétique, ils ne peuvent aller bien loin par leurs propres moyens. En somme, ils avouent par leur conduite qu’ils ne peuvent pas voyager à pied. Alors pourquoi se mettent-ils en route ? Et surtout pourquoi ne voyagent-ils pas à bicyclette, ce qui est évidemment beaucoup plus facile ?

Pour en avoir le cœur net, j’ai posé la question à quelques-uns de ces marcheurs férus d’automobilisme. « Que ne faites-vous du vélo ? » leur demandais-je. La plupart m’ont répondu que ce n’était pas pratique ; qu’on avait toujours des ennuis avec les pneus et la mécanique, et qu’il était plus désagréable de rester en panne avec cet instrument encombrant que de recourir à une auto quand on était fatigué de marcher et de porter le sac.

Il y a un fond de vérité dans ces arguments. Non pas que la bicyclette soit un engin fragile, difficile à conduire et à réparer ; mais une foule de gens ignorent comment l’entretenir et en effectuer les menues réparations. Cela ne les gêne guère pour circuler dans leur ville ou en ses environs immédiats. En cas de panne, représentée même par une simple crevaison, ils recourent au vélociste de l’endroit. Mais, en grande excursion et en voyage, ils sont tout désemparés par la moindre anicroche de pneu ou de mécanique.

Cette ignorance, et le sentiment d’impuissance qui en résulte, me semblent être plus responsables qu’on ne croit généralement du peu d’enthousiasme que montrent la plupart des cyclistes pour le « voyage au long cours ».

En contrepartie, on peut remarquer que les grands pédaleurs, tant coureurs professionnels que cyclotouristes de classe, ont des connaissances mécaniques de par leur profession présente ou passée ; ils sont, en majorité, de la classe ouvrière ; les autres, s’ils, ne font pas de métiers manuels, ont le goût du « bricolage » ; loin de les désespérer, le dépannage d’une bicyclette les amuse ; et, comme ce n’est jamais bien difficile, ils en viennent facilement à bout. La solitude sur la route, à dix kilomètres d’un village, ne leur inspire donc aucune crainte.

Ces faits doivent attirer l’attention sur un élément important de la propagande en faveur du cyclisme. Il faut enseigner aux néophytes à se tirer d’affaire sur la route avec leur « nécessaire de réparation », qui, d’ailleurs, doit être judicieusement composé.

Je me souviens bien qu’au début du cyclisme, avant 1900, cette initiation mécanique était de règle. Elle s’avérait d’ailleurs plus indispensable encore que maintenant, car les vélocistes auxquels on aurait pu avoir recours étaient fort rares. Aussi, dans les revues spécialisées, dans les livres de technique et de propagande, on exposait clairement et fréquemment la manière de réparer les pneus, régler les machines, parer aux accidents mécaniques élémentaires. Et les possesseurs d’un engin qui n’était pas encore devenu aussi banal qu’une paire de chaussures comprenaient bien qu’il était de leur intérêt de se pénétrer de cet enseignement.

Des « Traités de la bicyclette », des « Manuels du cyclisme théorique et pratique », il en existe encore, et d’excellents.

Mais leur vente et leur diffusion n’ont pas augmenté, il s’en faut de beaucoup, dans la même proportion que le nombre des cyclistes. Ce qui prouve que la majorité de ceux-ci se désintéressent de la façon dont leur machine est construite, fonctionne et se répare. C’est une ignorance à combattre, si l’on tient à propager le cyclotourisme et le cyclocamping.

Certes, il ne s’agit pas de faire de tous les cyclistes des mécaniciens capables de monter de toutes pièces leur machine, mais de leur enseigner à parer à tous les menus accidents qui peuvent survenir en cours de route. J’établirais comme suit la liste de ce que tout cycliste devrait savoir faire :

    1° Gonfler ses pneus ; si paradoxal que cela paraisse, beaucoup s’en tirent fort mal, avec des pompes et des raccords qui fuient et une mauvaise poussée, saccadée ou trop précipitée, sur le piston ;
    2° Démonter et remonter le pneu ; le réparer, même si c’est un boyau ;
    3° Régler, huiler, même démonter et remonter tous les roulements ;
    4° Placer et bloquer la selle ;
    5° Placer et bloquer le guidon ;
    6° Régler les freins ; remplacer les patins et les câbles ;
    7° Démonter la roue libre ;
    8° Démonter, remonter, régler le changement de vitesses ;
    9° Dévoiler une roue ; remplacer un rayon ;
    10° Remplacer un maillon de chaîne.

Ces connaissances sont à peu près rangées par ordre d’utilité.

Les dernières peuvent être négligées, au moins par les débutants. Les premières, concernant les pneus, sont indispensables. Qui ne sait réparer ses pneus ne prendra jamais la route qu’avec angoisse.

Mais un cyclotouriste qui pourra venir à bout de cette dizaine d’opérations, et dont le nécessaire de réparations sera composé en conséquence, pourra partir en toute tranquillité pour les plus longs parcours, même pour le tour de France.

Dr RUFFIER.

Le Chasseur Français N°619 Avril 1948 Page 67