Au cours de mon voyage cycliste de l’été dernier, j’ai
rencontré beaucoup de campeurs pédestres arrêtés au bord de la route et
sollicitant, à grands gestes implorateurs, une place dans les autos de passage.
Ils ne réussissaient jamais du premier coup ; mais ils ne perdaient pas
courage et continuaient à quémander pendant des heures ce secours à leurs
jambes lassées ; leur expérience leur avait appris, sans doute, qu’on
finit toujours par trouver au volant un bon Samaritain.
Il m’apparut donc, comme à bien d’autres, je crois, que
l’auto-stop est de pratique courante chez les campeurs pédestres. À considérer
d’ailleurs l’énorme barda dont ils se chargent, on comprend que, s’ils ne sont
pas de constitution athlétique, ils ne peuvent aller bien loin par leurs propres
moyens. En somme, ils avouent par leur conduite qu’ils ne peuvent pas voyager à
pied. Alors pourquoi se mettent-ils en route ? Et surtout pourquoi ne
voyagent-ils pas à bicyclette, ce qui est évidemment beaucoup plus
facile ?
Pour en avoir le cœur net, j’ai posé la question à
quelques-uns de ces marcheurs férus d’automobilisme. « Que ne faites-vous
du vélo ? » leur demandais-je. La plupart m’ont répondu que ce
n’était pas pratique ; qu’on avait toujours des ennuis avec les pneus et
la mécanique, et qu’il était plus désagréable de rester en panne avec cet
instrument encombrant que de recourir à une auto quand on était fatigué de
marcher et de porter le sac.
Il y a un fond de vérité dans ces arguments. Non pas que la
bicyclette soit un engin fragile, difficile à conduire et à réparer ; mais
une foule de gens ignorent comment l’entretenir et en effectuer les menues
réparations. Cela ne les gêne guère pour circuler dans leur ville ou en ses
environs immédiats. En cas de panne, représentée même par une simple crevaison,
ils recourent au vélociste de l’endroit. Mais, en grande excursion et en
voyage, ils sont tout désemparés par la moindre anicroche de pneu ou de
mécanique.
Cette ignorance, et le sentiment d’impuissance qui en
résulte, me semblent être plus responsables qu’on ne croit généralement du peu
d’enthousiasme que montrent la plupart des cyclistes pour le « voyage au
long cours ».
En contrepartie, on peut remarquer que les grands pédaleurs,
tant coureurs professionnels que cyclotouristes de classe, ont des
connaissances mécaniques de par leur profession présente ou passée ; ils
sont, en majorité, de la classe ouvrière ; les autres, s’ils, ne font pas
de métiers manuels, ont le goût du « bricolage » ; loin de les
désespérer, le dépannage d’une bicyclette les amuse ; et, comme ce n’est
jamais bien difficile, ils en viennent facilement à bout. La solitude sur la
route, à dix kilomètres d’un village, ne leur inspire donc aucune crainte.
Ces faits doivent attirer l’attention sur un élément
important de la propagande en faveur du cyclisme. Il faut enseigner aux
néophytes à se tirer d’affaire sur la route avec leur « nécessaire de
réparation », qui, d’ailleurs, doit être judicieusement composé.
Je me souviens bien qu’au début du cyclisme, avant 1900,
cette initiation mécanique était de règle. Elle s’avérait d’ailleurs plus
indispensable encore que maintenant, car les vélocistes auxquels on aurait pu
avoir recours étaient fort rares. Aussi, dans les revues spécialisées, dans les
livres de technique et de propagande, on exposait clairement et fréquemment la
manière de réparer les pneus, régler les machines, parer aux accidents
mécaniques élémentaires. Et les possesseurs d’un engin qui n’était pas encore
devenu aussi banal qu’une paire de chaussures comprenaient bien qu’il était de
leur intérêt de se pénétrer de cet enseignement.
Des « Traités de la bicyclette », des
« Manuels du cyclisme théorique et pratique », il en existe encore,
et d’excellents.
Mais leur vente et leur diffusion n’ont pas augmenté, il
s’en faut de beaucoup, dans la même proportion que le nombre des cyclistes. Ce
qui prouve que la majorité de ceux-ci se désintéressent de la façon dont leur
machine est construite, fonctionne et se répare. C’est une ignorance à
combattre, si l’on tient à propager le cyclotourisme et le cyclocamping.
Certes, il ne s’agit pas de faire de tous les cyclistes des
mécaniciens capables de monter de toutes pièces leur machine, mais de leur
enseigner à parer à tous les menus accidents qui peuvent survenir en cours de
route. J’établirais comme suit la liste de ce que tout cycliste devrait savoir
faire :
1° Gonfler ses pneus ; si paradoxal que cela paraisse,
beaucoup s’en tirent fort mal, avec des pompes et des raccords qui fuient et
une mauvaise poussée, saccadée ou trop précipitée, sur le piston ;
2° Démonter et remonter le pneu ; le réparer, même si c’est un
boyau ;
3° Régler, huiler, même démonter et remonter tous les roulements ;
4° Placer et bloquer la selle ;
5° Placer et bloquer le guidon ;
6° Régler les freins ; remplacer les patins et les câbles ;
7° Démonter la roue libre ;
8° Démonter, remonter, régler le changement de vitesses ;
9° Dévoiler une roue ; remplacer un rayon ;
10° Remplacer un maillon de chaîne.
Ces connaissances sont à peu près rangées par ordre
d’utilité.
Les dernières peuvent être négligées, au moins par les
débutants. Les premières, concernant les pneus, sont indispensables. Qui ne
sait réparer ses pneus ne prendra jamais la route qu’avec angoisse.
Mais un cyclotouriste qui pourra venir à bout de cette dizaine
d’opérations, et dont le nécessaire de réparations sera composé en conséquence,
pourra partir en toute tranquillité pour les plus longs parcours, même pour le
tour de France.
Dr RUFFIER.
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