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Automobile

L'essence est rare

L’essence devient de plus en plus rare chaque jour. Après la suppression de l’attribution générale des 20 litres mensuels, voici que les citernes d’essence se vident. L’essence manque. Les bons déjà distribués avec parcimonie sont validés par des « contremarques ». C’est l’ère des superprioritaires. Peut-être demain verrons-nous les « hyper ». Le gouvernement est optimiste. Tant mieux.

Il ne nous appartient pas ici de dénoncer les responsables et les causes de cette lamentable situation. Nous nous contenterons de dire quelques mots sur l’art d’économiser l’essence au maximum pour un parcours donné. Certes, il n’est pas question d’égaler les performances des participants du concours du bidon de 5 litres. Le Dr Collières, le fondateur de cette épreuve particulièrement suivie, ne vient-il pas de parcourir les 210 kilomètres qui séparent Paris du Mans, sur Simca-huit, avec 10 litres d’essence ? Dans de telles épreuves, les concurrents sont des virtuoses de la conduite, et les véhicules sont spécialement étudiés. Mais il importe de tout mettre en œuvre pour réduire les consommations de nos voitures classiques ; ne voit-on pas des 9 ou 10 CV de série consommer 12 ou 15 litres aux 100 ?

Précisons, en premier lieu, que la façon de conduire intervient pour une grande part dans la consommation. Sur de grands parcours et pour une même voiture, il n’est pas rare de constater des différences de consommation de 1 ou 2 litres aux 100 kilomètres avec des conducteurs divers. Il importe de conduire en « douceur ». Il faut se garder des accélérations brutales et des coups de freins intempestifs. Le passage des vitesses est capital. Il y a un instant précis où l’on doit changer de vitesse. Trop tôt, on fatigue inutilement le moteur et il faut donner des gaz pour les reprises. Trop tard, on emballe le moteur sans utilité et la consommation s’accroît, le moteur tournant trop vite. Le pied doit agir sur l’accélération sans à-coup, et la régularité est le secret des consommations réduites. Une voiture normale travaille dans de bonnes conditions autour de 75 kilomètres à l’heure. Au delà de ce régime, la consommation en essence et en pneus s’accroît dans de notables proportions. On peut se demander si l’on doit couper l’allumage dans les descentes prolongées. Cette pratique ne saurait être recommandée. Le mieux, sous l’angle économie, serait de couper l’allumage, de se mettre au point mort et d’agir sur les freins. Le procédé est dangereux et l’on fatigue les freins. Si l’on ne se met pas au point mort, c’est la butée d’embrayage qui encaisse. Nous préconiserons donc la méthode classique de descendre en prise directe, ou en seconde si la descente est rude, accélérateur fermé en totalité ou en grande partie. Couper l’allumage dans de telles conditions n’entraîne pas d’économie sensible et ne peut occasionner que des remontées d’huile aux bougies.

La cause la plus courante de consommation élevée est le mauvais état du moteur. Deux organes sont alors responsables : les soupapes et les cylindres. C’est le défaut d’étanchéité qui occasionne presque toujours l’accroissement de la quantité d’essence aspirée. L’essence que nous débitent si chichement nos pompes en ce moment est de qualité inférieure : faible indice d’octane, défaut de produits volatils, courbe de distillation déficiente, etc., sans parler des additions criminelles par des pompistes malhonnêtes, peu nombreux heureusement, de pétrole ou de gaz-oil. Alors qu’avant guerre un rodage de soupapes n’était guère nécessaire avant 10.000 ou 15.000 kilomètres, il n’en est plus de même aujourd’hui où le rodage doit s’effectuer plus souvent. Et plus le moteur est fatigué, plus les rodages doivent se rapprocher. La présence d’usure aux cylindres ou aux segments, ou aux deux à la fois, outre le défaut de compression qui en résulte, est une des causes classiques de surconsommation.

Si l’usure des cylindres est limitée, un dixième de millimètre par exemple, un échange de segments ordinaires remettra les choses en place. Si elle est considérablement supérieure, on pourra monter des segments spéciaux d’acier : Bollée, Cord, Ondulex, etc. Grâce à ceux-ci, le mélange carburant est brûlé dans les meilleures conditions possibles. Notons qu’on ne devra faire appel à eux qu’en dernier ressort. Sans effet pratique sur des chemises d’acier, ces segments entraînent, surtout avec des cylindres en fonte tendre, une plus grande usure que les autres modèles de segments en fonte.

Voici notre moteur en bon état. Sa consommation d’huile, qui suit sensiblement, notons-le en passant, la même courbe que celle de l’essence, est normale. Un coup d’œil à l’ensemble du châssis ne nuira pas : pneus bien gonflés et d’égale pression ; freins bien réglés et roues tournant librement ; parallélisme des roues impeccable ; vérification des niveaux d’huile du pont et de la boîte ; huile de graissage du moteur de première qualité.

Reste à nous pencher sur le carburateur. On portera ses regards sur le bon fonctionnement du starter. On s’assurera qu’une fois le moteur chaud celui-ci se met parfaitement hors circuit. On s’assurera que les gicleurs sont bien appropriés au modèle de la voiture : ralenti, gicleur principal, compensateur doivent être bien du numéro indiqué par le constructeur. Même remarque pour la buse d’air. Certains usagers réduisent ou augmentent les diamètres de ceux-ci. C’est là une opération très délicate, et seuls des spécialistes peuvent faire varier ces combinaisons avec bonheur.

Le mieux est de s’adresser au constructeur du carburateur ou à ses agents. Une diminution inconsidérée des gicleurs ou le montage d’une buse plus forte ne donnent souvent aucun résultat et rendent la voiture plus désagréable à conduire.

Un bon ralenti sera le signe d’un excellent réglage. À ce sujet, nous ne pouvons que renvoyer nos lecteurs à une précédente causerie.

L’avance à l’allumage joue aussi un rôle primordial en ce qui nous intéresse. Comme le starter automatique, l’avance automatique sera à remplacer par des commandes à main. Précisons que l’emploi de l’avance à main nécessite un certain doigté et une grande habitude de la conduite. L’art de conduire en cette matière consiste à donner l’avance maxima sans faire cliqueter le moteur. On fait suivre l’avance au fur et à mesure que le régime de celui-ci s’élève.

Pour terminer, signalons quelques accessoires ou procédés susceptibles de diminuer la consommation d’essence. Solex nous a présenté, au dernier Salon, son carburateur Rexa d’une conception nouvelle, qui assure une pulvération intense du carburant dans les plus bas régimes. Les économiseurs rendent aussi de précieux services. Ce sont des appareils dont le rôle est d’assurer un brassage énergique de l’émulsion air-essence ; ils se montent, le plus souvent, entre la pipe d’admission et le carburateur.

On fait appel aussi à des procédés chimiques. On intervient alors sur la qualité de l’essence. Ces produits de complément sont liquides souvent et présentés dans des ampoules, ou solides sous forme de comprimés. On les mélange à l’essence : supercarburant et autre détonant, ou à l’huile : superlubrifiant.

Citons enfin les transformations plus ou moins profondes que l’on fait subir aux moteurs pour l’utilisation dans des conditions acceptables d’autres carburants moins chers que l’essence. Tels sont les gazéificateurs et les carbogaz, appareils spéciaux étudiés pour s’adapter sur tous moteurs, donnant la possibilité de rouler en utilisant le gaz-oil, le fuel ou le pétrole, et ceci dans la proportion de 70 à 95 p. 100.

Nous ne saurions conseiller ici l’usage, dans un moteur non spécialement équipé, de carburants autres que l’essence. Pétrole, gaz-oil, fuel encrassent les moteurs, et, chose plus grave, se diluent dans l’huile de graissage, occasionnant une usure prématurée et des coulées de bielles. Accidents graves. L’alcool, qui serait le meilleur des carburants de remplacement, dessèche les cylindres et rend les départs à froid difficiles. Si, malgré tout, certains usagers, par manque d’essence, veulent absolument faire des mélanges, voici quelques formules sinon bonnes, tout au moins acceptables :

    1° Alcool, 85 à 90 p. 100 (à 90° ou 95°) ; essence, 10 à 15 p. 100, avec carburateur spécialement réglé et système de réchauffage pour le départ à froid.
    2° Alcool, 40 p. 100 ; benzol, 20 p. 100 ; essence, 40 p. 100.
    3° Essence, 90 p. 100 ; pétrole : 10 p. 100.

G. AVANDO,

Ingénieur E. T. P.

Le Chasseur Français N°619 Avril 1948 Page 70