Qui n’a point rencontré, le soir, la nuit tombée, lourde de
chaleur électrique, de petits diamants lumineux, émaillant de leurs feux
verdâtres les bords herbeux des chemins ?
Ces petits phares s’éteignant et se rallumant sans cesse ne
sont autres que les vers luisants ou, de leur nom de noblesse, les lampyres
noctiluques. Tout le monde connaît ces petites chenilles brunâtres et molles
dont l’abdomen s’éclaire d’une plage lumineuse.
Mais s’est-on demandé de quelle nature était ce
flambeau ? Tout est lumineux, en effet, chez le lampyre, l’œuf et la
nymphe aussi bien que l’adulte, avec cette réserve, toutefois, que le flambeau,
très faiblement lumineux chez l’œuf, le devient de plus en plus à mesure que
l’insecte devient parfait. Et tandis que le mâle ne possède que deux feux
arrière, la femelle est « criblée » de nombreuses sources lumineuses,
de sorte que, dans son maximum de luminosité, elle donne l’illusion de
multiples constellations se détachant sur le fond sombre de l’herbe.
D’où vient cette lumière ? Quel est son rôle ?
Pourquoi une différence entre les deux sexes ? Autant de questions qui
trouvent aujourd’hui leur solution dans les faits et l’expérimentation.
D’où vient cette lumière ?
— Luminescence, phosphorescence, lumière froide, autant
de termes impropres : en réalité, elle n’est due qu’à une oxydation de
granulations graisseuses sous l’influence d’une diastase charriée par le sang.
Ces « grains » constituent d’ailleurs autant d’organes autonomes
— cellules photogènes (photos : lumière ; gennaô :
j’engendre), puisque, même isolés, ils continuent de fonctionner.
Mais à quoi servent ces feux dont se parent mâle et
femelle ?
Là, bien des hypothèses, toutes également admissibles,
peuvent être invoquées. Dans la faune terrestre ou marine, nombreux sont les
êtres qui jouissent de ces mêmes fonctions lumineuses ; les poissons
abyssins portent aussi des organes similaires, émetteurs de lumière, et rien ne
prouve qu’ils suppléent à l’obscurité des profondeurs marines ; ici, ce
phénomène ne serait qu’un simple effet de processus éliminatoires. Mais
revenons à nos lucioles. Sex-appeal, dira-t-on. C’est possible, et ce qui vient
corroborer cette opinion, c’est que, dans la nature, les attractions sexuelles
sont fonction d’ondes de résonance semblable entre les radiations du mâle et
celles de la femelle : à l’heure actuelle, n’assimile-t-on pas tous les
phénomènes biologiques à des processus ioniques ou électro-magnétiques ?
Et il semblerait bien que cette façon d’expliquer le
pourquoi de la cellule photogénique du lampyre soit bien exacte, puisque la
puissance lumineuse croît jusqu’à la maturité des œufs, devient maximum au
moment de la pariade, et, celle-ci accomplie, s’éteint totalement. Dans le même
ordre d’idées, il est tout aussi normal d’admettre que la supériorité lumineuse
de la femelle s’explique du fait que, dépourvue d’ailes et, par conséquent,
rivée au sol, elle doit disposer d’un signal optique suffisant pour être perçue
du mâle, porteur à la pointe de l’abdomen de phares étincelants et qui, de
plus, possède des ailes.
Toutes ces hypothèses satisfont, certes, parfaitement le
concept humain ... mais qui nous prouve que nous tenons bien en main la
pure vérité ? C’est bien vite dit en effet : quelques cellules
photogéniques « spécialisées », où la circulation s’intensifie, où
les oxydo-réductions sont poussées au maximum ... et voilà l’intelligence
humaine satisfaite ! Tout de même, il reste dans tout cela un point
complètement mystérieux, que la science, seule, est impuissante à élucider :
pourquoi le lampyre est-il lumineux ? Que serait-il devenu s’il ne
possédait pas ce mystérieux organe de lumière ? Car la lumière — sans
quoi cet insecte fût resté inconnu, enfoui dans l’herbe et foulé sous le pied
— n’a pas été si largement dispensée par Dame Nature, à l’origine des
temps ... Tant et tant d’autres insectes « se débrouillent »
bien dans la vie, bien que ne jouissant pas de ce bien suprême qui est la
lumière ! ...
Mais il faut conclure. Qu’importe, somme toute, que le
lampyre brille pour ceci ou cela ? Son rôle dans la création, pour minime
qu’il soit, est tout de même énorme. Pour nous, pauvres humains, il nous
rattache, par delà les frontières de la science, à cet autre monde, dont il
nous fait tâter l’existence, je veux dire le monde mystérieux de rêve et de
poésie sans quoi les cuisantes réalités que nous côtoyons journellement
seraient atrocement pénibles.
P. LAGUZET.
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