Accueil  > Années 1948 et 1949  > N°619 Avril 1948  > Page 94 Tous droits réservés


Le « CHASSEUR FRANÇAIS » sollicite la collaboration de ses abonnés
et se fait un plaisir de publier les articles intéressants qui lui sont adressés.

Le ver luisant

et sa mystérieuse photogénie

Qui n’a point rencontré, le soir, la nuit tombée, lourde de chaleur électrique, de petits diamants lumineux, émaillant de leurs feux verdâtres les bords herbeux des chemins ?

Ces petits phares s’éteignant et se rallumant sans cesse ne sont autres que les vers luisants ou, de leur nom de noblesse, les lampyres noctiluques. Tout le monde connaît ces petites chenilles brunâtres et molles dont l’abdomen s’éclaire d’une plage lumineuse.

Mais s’est-on demandé de quelle nature était ce flambeau ? Tout est lumineux, en effet, chez le lampyre, l’œuf et la nymphe aussi bien que l’adulte, avec cette réserve, toutefois, que le flambeau, très faiblement lumineux chez l’œuf, le devient de plus en plus à mesure que l’insecte devient parfait. Et tandis que le mâle ne possède que deux feux arrière, la femelle est « criblée » de nombreuses sources lumineuses, de sorte que, dans son maximum de luminosité, elle donne l’illusion de multiples constellations se détachant sur le fond sombre de l’herbe.

D’où vient cette lumière ? Quel est son rôle ? Pourquoi une différence entre les deux sexes ? Autant de questions qui trouvent aujourd’hui leur solution dans les faits et l’expérimentation.

D’où vient cette lumière ?

— Luminescence, phosphorescence, lumière froide, autant de termes impropres : en réalité, elle n’est due qu’à une oxydation de granulations graisseuses sous l’influence d’une diastase charriée par le sang. Ces « grains » constituent d’ailleurs autant d’organes autonomes — cellules photogènes (photos : lumière ; gennaô : j’engendre), puisque, même isolés, ils continuent de fonctionner.

Mais à quoi servent ces feux dont se parent mâle et femelle ?

Là, bien des hypothèses, toutes également admissibles, peuvent être invoquées. Dans la faune terrestre ou marine, nombreux sont les êtres qui jouissent de ces mêmes fonctions lumineuses ; les poissons abyssins portent aussi des organes similaires, émetteurs de lumière, et rien ne prouve qu’ils suppléent à l’obscurité des profondeurs marines ; ici, ce phénomène ne serait qu’un simple effet de processus éliminatoires. Mais revenons à nos lucioles. Sex-appeal, dira-t-on. C’est possible, et ce qui vient corroborer cette opinion, c’est que, dans la nature, les attractions sexuelles sont fonction d’ondes de résonance semblable entre les radiations du mâle et celles de la femelle : à l’heure actuelle, n’assimile-t-on pas tous les phénomènes biologiques à des processus ioniques ou électro-magnétiques ?

Et il semblerait bien que cette façon d’expliquer le pourquoi de la cellule photogénique du lampyre soit bien exacte, puisque la puissance lumineuse croît jusqu’à la maturité des œufs, devient maximum au moment de la pariade, et, celle-ci accomplie, s’éteint totalement. Dans le même ordre d’idées, il est tout aussi normal d’admettre que la supériorité lumineuse de la femelle s’explique du fait que, dépourvue d’ailes et, par conséquent, rivée au sol, elle doit disposer d’un signal optique suffisant pour être perçue du mâle, porteur à la pointe de l’abdomen de phares étincelants et qui, de plus, possède des ailes.

Toutes ces hypothèses satisfont, certes, parfaitement le concept humain ... mais qui nous prouve que nous tenons bien en main la pure vérité ? C’est bien vite dit en effet : quelques cellules photogéniques « spécialisées », où la circulation s’intensifie, où les oxydo-réductions sont poussées au maximum ... et voilà l’intelligence humaine satisfaite ! Tout de même, il reste dans tout cela un point complètement mystérieux, que la science, seule, est impuissante à élucider : pourquoi le lampyre est-il lumineux ? Que serait-il devenu s’il ne possédait pas ce mystérieux organe de lumière ? Car la lumière — sans quoi cet insecte fût resté inconnu, enfoui dans l’herbe et foulé sous le pied — n’a pas été si largement dispensée par Dame Nature, à l’origine des temps ... Tant et tant d’autres insectes « se débrouillent » bien dans la vie, bien que ne jouissant pas de ce bien suprême qui est la lumière ! ...

Mais il faut conclure. Qu’importe, somme toute, que le lampyre brille pour ceci ou cela ? Son rôle dans la création, pour minime qu’il soit, est tout de même énorme. Pour nous, pauvres humains, il nous rattache, par delà les frontières de la science, à cet autre monde, dont il nous fait tâter l’existence, je veux dire le monde mystérieux de rêve et de poésie sans quoi les cuisantes réalités que nous côtoyons journellement seraient atrocement pénibles.

P. LAGUZET.

Le Chasseur Français N°619 Avril 1948 Page 94