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En forêt

Les clairières

Dépourvues d’arbres ou peu s’en faut, parfois rebelles à la végétation ligneuse, les clairières sont considérées comme une lèpre par les sylviculteurs, qui, non sans dédain, les appellent des vides. Bien des chasseurs pensent différemment et trouvent dans le parcours des clairières, au sortir d’épais fourrés, des occasions de tir plus facile, de rencontres fructueuses. Elles donnent aux disciples de Diane un élément d’imprévu avec l’essor de nos plus belles espèces de gibier à plumes : faisans ou perdrix rouges en plaine, gelinottes, grands et petits coqs en montagne ; par le déboulé de lapins ou de lièvres, si ce n’est par l’apparition du gros gibier : chevreuils, cerfs et biches.

Les bois de Sologne, de Touraine et de la région parisienne renferment des clairières tapissées de bruyères, feutrées d’herbes blanches. En Charente, ce sont les chaumes, où les touffes d’une robuste graminée ; le brôme élevé, voisinent avec des spirées, du genêt velu, des genévriers aimés des grives et des merles. Dénudées, parsemées de dalles calcaires, les clairières du nord de la Dordogne sont ce que l’on nomme des pelades et abritent ça et là, sous leur dôme, des terriers fréquentés. Il en est de même dans les déserts à blocs de grès et sol sablonneux du massif de Fontainebleau, où le furetage procure d’agréables séances d’un tir varié, rendu difficile par les roches entre lesquelles se faufile adroitement le lapin pour éviter le fatal découvert. Dans la région des dunes, sur la zone littorale, des clairières s’étalent dans la pineraie, sur des fonds mouilleux garnis de saules rampants, de troènes, de ronces et de carex ; ces lettes ou lèdes sont parmi les meilleures remises à lapins, qu’il faut alors débusquer à l’aide de fox ou chasser avec des bassets ; chasses égayées par les ruses, par la défense d’un gibier esquissant de fausses sorties, ou bien passant en trombe, se rasant derrière les dunes, dévalant des pentes aux combes, se faisant happer quelquefois par les chiens, exigeant des tireurs qui encadrent le terrain une mise en joue prompte et prudente, une attention soutenue.

Devant soi, au chien d’arrêt, la chasse dans les clairières nécessite une parfaite connaissance des abords, de la situation de ces trouées, auxquelles il faut accéder en silence et à bon vent. Le gibier à plumes y possède ses quartiers, ses habitudes. Telle compagnie de rouges s’y remisera l’après-midi au sortir des cultures riveraines : topinambours, vignes, champs de choux. D’abord dispersées, selon leur tactique coutumière, les rouges s’y rassemblent et peuvent vous offrir, en départ échelonné, la chance d’un doublé que tout nemrod convoite ardemment ; doublé moins méritoire, certes, qu’en des taillis serrés, mais flattant mieux le tireur s’il n’est pas insensible au cadre de ses exploits. J’en dirai autant pour le tir du faisan : la parure du coq prend toute sa beauté dans le décor d’une clairière ensoleillée. Faisans et perdrix ont une prédilection pour les anciennes charbonnières, où vous trouverez leurs places de poudrage avec plumes révélatrices. Un bon agraineur ne néglige pas d’y maintenir son élevage, tout en veillant de près aux incursions possibles des braconniers, aux méfaits des animaux nuisibles. Si le sol et l’étendue des clairières s’y prêtent, une culture de sarrasin sera la plus sûre des remises ; elle limitera l’évasion des faisans hors de vos coupes et garantira le succès des chasses auxquelles vous conviez vos amis.

En montagne, les clairières ne manquant pas, soit dans les combes, soit dans les zones tourbeuses, les faignes ou fagnes des Vosges et des Ardennes, les sagnes de Savoie ; elles se multiplient vers les sommets, dans les hauts chaumes des ballons vosgiens, les prés-bois du Jura, les jasses ou clairières à moutons des Pyrénées-Orientales, clairières qui bordent un à-pic ou se logent dans le ressaut d’une pente. Bien exposées, avec l’abri d’un vieux pin branchu, le couvert des rhododendrons et le régal des myrtilles, elles tentent le grand tétras, qui, lui aussi, à l’instar du gibier des clairières de plaine, y prend ses aises, sa provende et son cantonnement. C’est là que s’impose au chasseur la marche silencieuse, l’exploration bien orientée, débutant aux rives de l’à-pic pour barrer l’essor d’ouragan du grand coq et le culbuter au départ ; sans quoi, le vol plongeant se précipite, la splendide vision vous échappe. Un chien très prudent, d’arrêt ferme, est précieux dans cette recherche d’un gibier méfiant à l’extrême, un chien obéissant au geste, sans exiger de vous ni mot ni appel.

Les fagnes des Ardennes, dans la région de Monthermé, sont, comme les sagnes de Haute-Savoie, l’habitat du petit tétras, du coq de bouleaux. Aussi rusé que son grand congénère, le petit coq piète rapidement sous d’épaisses bruyères, sous les bas fourrés de vernes et de myrtilles ; sa quête par un chien sage est pleine d’intérêt pour le chasseur que ne rebute pas la marche pénible en sol broussailleux. Son tir est plus facile, son départ moins impressionnant que celui du grand coq. Les clairières marquent pour le lyrure, autre nom du petit tétras, l’optimum des places de pariade sur lesquelles, au printemps, les mâles se pavanent et se battent avec frénésie.

Quant aux gelinottes, je les ai maintes fois rencontrées au bord des lignes de coupes, dans les combes de Franche-Comté. Moins fuyardes que les grands et petits tétras, elles vous surprennent par leur vol bruissant et ascendant, dirigé en général vers la cime d’un arbre à forte ramure. Sur ce perchoir elles échappent à la vue et restent immobiles, rasées dans le sens de la branche près d’une enfourchure, tant qu’elles soupçonnent votre présence aux alentours. Lorsqu’elles repartent, c’est en plongeant d’un vol rapide à l’opposé du tireur. Visitez toujours les clairières dans les forêts à gelinottes, des Ardennes à la Lorraine et aux Vosges, du Jura aux Alpes de Savoie et du Dauphiné, ainsi que dans le Vercors.

En ce qui concerne le gros gibier, les jasses catalanes ne sont nullement désertées par les isards : ce n’est pourtant pas en ces clairières, mais près des cimes qu’on les traque ou qu’on tente leur approche. Mauvais postes également que les clairières pour le tir du renard et du sanglier ; cela sauf exceptions que je pourrais citer et qui confirment la règle. Tandis qu’en des clairières de parcs, sous les fougères, les daims et les sikas se plaisent à la reposée.

Pour terminer, évoquons les clairières de futaies au milieu desquelles se joue le dernier acte de la chasse à courre. À la place même où, peut-être, le cerf triomphait de ses rivaux à l’automne précédent, il fait tête aux chiens. La clairière, théâtre de ses amours, devient le décor de sa fin. Les trompes sonnent l’hallali, dominant les abois de la meute. Bientôt le silence va renaître après la curée, après le départ de l’équipage. Puis, dans la clairière voilée d’ombre, s’ébattent les hôtes sauvages de la forêt.

Pierre SALVAT.

Le Chasseur Français N°620 Juin 1948 Page 98