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Un ennemi du gibier

Le rat surmulot

Du point de vue du chasseur, seul le surmulot est un dangereux animal qu’il faut éliminer radicalement. C’est lui qui, dans les élevages, cause d’énormes dégâts aux nids ou aux oisillons des couvées, encore en parquets. Plus tard, on le retrouve sur les sentiers d’agrainage et au bord des ruisseaux ou des étangs, où il s’acharne après les nids et couvées du gibier d’eau. Il est omnivore ; tous les œufs, oisillons, lapereaux forment, avec les déchets alimentaires et les grains, l’essentiel de son menu.

Le surmulot est facile à distinguer par sa taille. Trois autres rats pourraient être confondus avec lui : le rat noir, le rat d’Alexandrie et le campagnol d’eau ou rat d’eau. Pour les deux premiers, la distinction est aisée : le rat noir, comme son nom l’indique (bien qu’il soit en réalité bleuté sur tout le corps) permet une distinction rapide ; le rat d’Alexandrie, ayant une robe similaire du surmulot, s’en distingue par des oreilles à larges pavillons, un museau plus pointu, et surtout par la longueur de la queue, qui dépasse celle du corps. Quant au campagnol d’eau, sa queue est courte, ses oreilles à peine visibles, et son allure générale ramassée.

L’habitat de ces divers rats diffère également, bien que j’aie souvent constaté la présence simultanée de deux ou plusieurs espèces. Mais, en général, le surmulot qui nous intéresse, baptisé aussi rat d’égout, vit dans les parties basses des locaux ou bâtiments. Le rat noir vit en hauteur, nichant souvent sous les toits. Quant au rat d’eau, il est strictement cantonné sur les rives des bords de rivières ou digues d’étangs. Le surmulot présente un pelage gris roux, plus ou moins foncé sur le dos, et un ventre blanc ou gris. Les oreilles sont moyennes, mais nettement détachées du crâne. Sa queue, écailleuse, est d’une longueur égale ou très voisine de celle de son corps. On le trouve dans les écuries, les étables, les porcheries, les vieux moulins, les gros dépôts de matériaux (bois en particulier) ou de vieux chiffons, au voisinage des élevages et des points où il sait trouver table mise en tout temps. Il est également fréquent de le voir installé sur les bords de l’eau, où il voisine avec le vrai rat d’eau (campagnol et non rat) sans le gêner, leurs régimes alimentaires étant nettement différents ; de plus, le surmulot, bien que nageant parfaitement, ne peut se permettre les acrobaties aquatiques des rats d’eau.

La lutte contre le rat a été sérieusement entreprise dans les grands centres urbains, où, dans l’ensemble, il est plus facile de s’en débarrasser qu’en campagne. Reconnu comme agent de transmission des grandes épidémies de jadis (par l’intermédiaire des parasites qu’il entretient), il ne pouvait être toléré dans les grosses agglomérations (les ports en particulier, qui servaient de point de débarquement aux rats venant de très loin et qui colportaient jadis ainsi des maladies telles que la peste et le choléra).

En campagne, la lutte contre ce rat est beaucoup plus difficile, car il trouve des refuges et table mise à peu près partout. On a bien indiqué d’éviter les dépôts de matériaux à même le sol, de surélever les tas de fagots, les planchers, etc., de boucher solidement les trous avec du verre et du ciment, d’éviter de laisser traîner les restes alimentaires de cuisine familiale ou de préparations pour le bétail, mais, même quand ces précautions sont prises, il n’est pas rare de voir les rats venir prendre leurs repas en même temps que le bétail ou rôder sur les tas de fumier ou dans les étables. Les greniers garnis forment toujours le fond de la nourriture des rats, et leurs murs sont plus ou moins jointifs et leurs planchers en plus ou moins bon état. Du reste, même quand tout est en parfait état, on les voit grimper le long des murs et s’infiltrer dans les bâtiments entre les auvents des toits et les murs. Le surmulot est un grimpeur et équilibriste de taille. J’en ai vus souvent courir sur un fil de fer tendu à 4 mètres de hauteur et 10 centimètres du mur, destiné à guider une treille. J’en ai vus d’autres galoper sur des rampes d’escalier.

Dans ces conditions, on comprend aisément les difficultés à vaincre pour détruire pareil adversaire. D’autant mieux qu’il faut ajouter à ces qualités physiques et « sportives », si je peux m’exprimer ainsi, une cervelle qui possède une mémoire remarquable et une intelligence admirablement servies par des sens très développés. La vue serait peut-être le sens offrant le moins d’acuité — moins que l’ouïe et l’odorat. Tout cet ensemble permet de comprendre et d’expliquer les insuccès fréquents constatés dans la lutte contre cet indésirable. Cette lutte se termine le plus souvent par une évacuation des locaux dès que deux ou trois représentants de l’espèce ont été des victimes accidentelles. Cette évacuation est, du reste, temporaire ; quand le calme sera revenu, les rats reparaîtront de nouveau. J’ai constaté cent fois cette manière de faire avec tous les procédés partiels de destruction utilisables pratiquement en campagne. Je dis pratiquement et non théoriquement, car il y a un écart. Il en est des rats comme des taupes : si vous êtes seul à opérer, soyez certain que vos voisins immédiats se chargeront de vous réapprovisionner rapidement ! Dans un prochain article, nous verrons les moyens utiles de défense.

A. CHAIGNEAU.

Le Chasseur Français N°620 Juin 1948 Page 105