Les chasseurs sont, bien souvent, obligés de se procurer un
chien hors de leur région, sans savoir comment il chasse et comment ont chassé
ses parents. En ce cas, le meilleur critère qui s’offre à eux est de choisir ce
chien issu de parents trialers, c’est-à-dire ayant été primés en concours sur
le terrain, dits field-trials. Mais l’erreur de beaucoup est de croire qu’il
suffit qu’un chien soit issu de trialers pour qu’il soit un parfait chien de
chasse. Outre que les chiots n’héritent pas tous des qualités de leurs parents,
ceux qui en héritent demandent pour devenir excellents une adaptation au genre
de chasse auquel on les destine et un dressage adéquat. Le trialer lui-même ne
sera pas forcément un excellent chien de chasse pratique, surtout s’il change de
maître, de genre de terrain et de gibier qu’il est accoutumé à chasser.
Les field-trials ont pour objet de permettre une sélection
primaire des chiens possédant les trois qualités élémentaires et nécessaires du
chien d’arrêt : quête, nez, arrêt. Un trialer n’est donc pas forcément un
as, un super-chien, mais simplement un chien d’arrêt qui remplit ses fonctions
élémentaires. Si tous les éleveurs s’en persuadaient, ils engageraient leurs
chiens plus nombreux. Malheureusement, la chance joue souvent, la malchance
surtout, et tous les concurrents non classés ne sont pas forcément des
non-valeurs. En outre, la conception actuelle de ces épreuves exige un dressage
spécial qui sacrifie l’aspect pratique de l’utilisation du chien au profit
d’une utilisation théorique dans laquelle la présentation, la quête géométrique
et mécanique tiennent une grande place.
Afin d’égaliser les chances des concurrents, les terrains
choisis sont généralement les plus faciles et les plus giboyeux ; on ne
demande pas au chien d’aller rechercher le gibier où son instinct le pousse,
mais d’accuser celui qui se trouve sur le parcours qui lui est assigné. Dans
les épreuves de printemps, qui ont lieu sur les billards de grandes plaines, le
chien mécanisé doit découper son terrain en lacets pendulaires, sans s’en
écarter pour inspecter une haie, pour fouiller un buisson ; les lapins et les
lièvres sournois, prêts à bondir en entraînant les meilleurs trialers à leurs
trousses, sont considérés comme gibier piège, bête noire des conducteurs, qui
incitent leurs chiens à les mépriser pour éviter des fautes. Le gibier
recherché est celui qu’on ne chasse jamais, les perdreaux accouplés, fuyards et
légers, que les chiens doivent arrêter hors distance de tir, sous peine de les
mettre à l’essor avant de les bloquer. Pour assurer de tels arrêts, ils doivent
être entraînés à une telle prudence qu’ils arrêtent parfois sur le pied des
fuyards, hésitant à s’aventurer plus avant dans la peur de faire voler avant de
parvenir à la distance utile.
Ces épreuves ayant pour objet principal de sélectionner les
qualités de quête et de nez, leur but se trouve atteint, et c’est tout ce qu’il
faut leur demander. Les lauréats de ces épreuves sont fort précieux pour
améliorer l’élevage, ils peuvent même faire de bons chiens de chasse, en vertu
de l’adage : « Qui peut le plus, peut le moins » ; mais à
condition que ce soit sur des terrains identiques et giboyeux, à moins qu’ils
ne soient adaptés à des terrains moins favorisés, ce dont ils sont généralement
fort capables, mais ce qu’on leur évite le plus souvent avec soin, afin de ne
pas gâcher leur dressage. Ne lit-on pas souvent dans les notes des juges :
« Ce chien a trop chassé ... »
Ces épreuves sont un moyen, on ne saurait les considérer
comme une fin, car, si tous les chiens étaient spécialement élevés dans le but
des épreuves de printemps, il n’y aurait bientôt plus de véritables chiens de
chasse ; l’instinct de ruse, d’initiative, de recherche, et surtout de
recherche et de capture du gibier blessé, disparaîtrait par atavisme.
Plus près de la réalité sont les épreuves d’automne, dites
de chasse pratique ; le gibier y est tiré et le rapport, en principe,
exigé. Mais, en fait, le rapport est trop souvent négligé par les dresseurs et
même par les juges, car il est considéré comme incitant les chiens à la
poursuite du gibier, ce qui n’est vrai que du rapport naturel et non du rapport
forcé, seul digne d’un chien dressé. En outre, la plupart du temps, les mêmes
chiens courant les épreuves de printemps, on s’astreint à les maintenir dans la
même formule, et tous reçoivent le même dressage, puisqu’ils sont destinés à un
même travail.
On en arrive ainsi à élever des chiens uniquement en vue des
field-trials, à faire de ceux-ci une fin et à éviter d’amener ces chiens à la
chasse pratique, à moins que ce ne soit sur des terrains et dans des conditions
à peu près identiques à ceux des épreuves. Il faut alors considérer ces
trialers comme ces cépages que l’on met dans les vignes pour assurer au vin le
degré d’alcool nécessaire, mais que l’on mêle à d’autres pour lui donner le
goût et le parfum du terroir, afin d’avoir une boisson parfaite. Rien
d’étonnant, faute de le comprendre, que des chiens issus de parents qui, de
générations en générations, n’ont été que des chiens mécaniques ne sachent pas
se servir de leurs moyens, parfois hypertrophiés, sur des terrains où le gibier
clairsemé se tapit dans les buissons, les boqueteaux, et exige pour être
découvert un instinct, une initiative, une ruse dont les parents avaient peu à
peu perdu l’usage et qu’ils n’ont pu, par conséquent, transmettre.
Les épreuves de chasse pratique auraient une plus grande
portée si elles étaient conçues comme l’étaient autrefois celles d’Allemagne et
d’Alsace. Les chiens y étaient astreints à montrer leurs qualités dans tous les
aspects de la chasse pratique et selon la fonction naturelle de leur race.
Outre la quête et l’arrêt du gibier en plaine, ils devaient pister, retrouver
et rapporter un animal blessé préalablement traîné sur deux cents mètres ;
il y avait des concours sur puants et mordants qu’il fallait étrangler ;
il y avait l’épreuve sur chevreuil blessé et traîné qu’il fallait retrouver et
garder en appelant le maître à la voix (le raffinement allait même, aux
concours des griffons d’arrêt, jusqu’à donner des prix aux meilleures
voix ...) ; n’insistons pas sur ces genres d’épreuves d’une utilité
contestable chez nous ; mais qui niera l’utilité de celle qui consistait à
faire rapporter dans un fourré, dans l’eau profonde, et à faire rechercher un
canard blessé dans les roseaux par les chiens, griffons et épagneuls, dont une
des fonctions principales était de chasser au marais ? En s’inspirant de
ces méthodes, non seulement le but des field-trials actuels serait maintenu et
atteint (sélection de la quête, du nez et de l’aptitude à l’arrêt), mais on
cultiverait, on améliorerait et l’on ferait transmettre les autres qualités, au
moins aussi nécessaires à un bon chien d’arrêt : l’intelligence, la ruse,
l’initiative, la recherche, le rapport.
Faute de pouvoir faire son choix parmi des chiens ayant,
eux-mêmes ou leurs parents, fait preuve de toutes ces qualités, le chasseur
doit se contenter de cette sélection primaire que nous avons analysée. S’il
veut avoir un chien pratique et meurtrier, il ne peut pas s’en contenter ;
c’est donc à lui qu’il appartient, étant en possession d’un chien qui a hérité
des qualités primaires, de faire de son serviteur un collaborateur idoine à ses
besoins. C’est à lui, et à lui seul, qu’il appartient de l’adapter, de
l’entraîner, de le dresser aux fonctions qu’il attend de lui. Ce n’est pas une
tâche impossible à la plupart des vrais chasseurs, ceux pour lesquels le chien
n’est pas un simple accessoire rituel, mais le partenaire indispensable de
l’équipe à six pattes qui fait la chasse au chien d’arrêt.
Nous dirons dans un prochain article comment on doit y parvenir.
Jean CASTAING.
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