Mes deux derniers articles sur l’entretien et la fumure des
étangs, et sur la sélection des carpes d’élevage, m’ont valu une copieuse
correspondance et des demandes de consultation sur la façon de traiter tel ou
tel étang.
Il me semble nécessaire d’approfondir ce sujet.
J’ai insisté sur la nécessité du chaulage et de l’épandage
d’engrais, et ai donné comme chiffre moyen 2 à 300 kilogrammes de chaux à
l’hectare, 150 kilogrammes d’engrais phosphatés et 50 kilogrammes de nitrate. Il
ne s’agit là que de chiffres moyens, et j’insiste là-dessus.
De même que chaque champ, chaque terre a ses qualités
propres, ses besoins en tel ou tel amendement ou engrais, et en telle quantité,
et à telle ou telle époque, et ses aptitudes à telle ou telle culture, de même
chaque étang a sa physionomie propre.
De même qu’un agriculteur fera analyser sa terre et se fera
conseiller dans une station agronomique sur les façons culturales et les
fumures, de même il est très utile pour le pisciculteur de ne point mettre dans
son étang une quantité moyenne de chaux, d’engrais et d’alevins, mais de faire
analyser d’abord son eau. L’adjonction de chaux est, en effet, utile sept ou
huit fois sur dix, mais elle peut être parfois indifférente ou même nuisible.
Les engrais phosphatés sont toujours utiles, mais le
superphosphate est à recommander en certains cas (eaux neutres ou basiques) et
les scories dans d’autres (eaux acides). Le nitrate est très souvent utile,
surtout en emploi tardif. Mais la bonne utilisation des engrais (phosphatés ou
nitrates) est conditionnée par la teneur en chaux de l’eau de l’étang.
L’analyse de l’eau de l’étang portera sur deux points :
— le pH, c’est-à-dire la réaction acide ou basique de l’eau ;
— le degré hydrotimétrique de l’eau, c’est-à-dire la quantité de chaux par litre d’eau.
Je s’insiste pas sur la notion mathématique et rébarbative
du pH, qui est le logarithme de l’inverse de la concentration en ions
hydrogène. Plus simplement, un liquide quelconque a une réaction acide ou
basique se traduisant par un indice dit pH allant de 1 à 14. De 1 à 7,
le liquide est acide ; à 7, il est neutre ; de 7 à 14, il est
basique.
Les eaux d’étang ont un pH variant en moyenne de 5 à
9.
Mais certaines eaux sont très acides (eaux de tourbière, de
forêt), chargées d’humus, et peuvent descendre à 4,5. Elles sont très
faiblement productives. Les eaux normalement piscicoles ont un pH
compris entre 6,5 et 8.
On admet que le meilleur pH en pisciculture d’étang
doit être légèrement basique et aller de 7 à 7,6 pour assurer la meilleure utilisation
des engrais par le plancton. On corrige les pH acides par des
adjonctions de chaux et d’amendements calcaires et le dévasage (ce sont les
eaux les plus répandues) et les eaux trop calcaires (ce qui est assez rare) par
des adjonctions de fumier et d’humus.
Quant au degré hydrotimétrique, il nous renseigne sur la
teneur de l’eau en sels dissous, et notamment en chaux.
On admet que, pour la pisciculture, les meilleures
concentrations en chaux correspondent à un degré hydrotimétrique compris entre
12 et 20°, soit une teneur en chaux (CaO) allant de 78 à 115 milligrammes
de chaux par litre.
Le chiffre moyen de 15° (soit 85 milligrammes de chaux par
litre) est généralement admis.
En principe, toute eau titrant moins de 5° doit être très
fortement chaulée, de 5 à 10° fortement chaulée, de 10 à 15° moyennement
chaulée et de 15 à 20° très légèrement chaulée, et pas du tout au-dessus de
20°. Cette chaux est nécessaire pour deux raisons :
1° Pour restituer à l’étang la chaux empruntée par le
squelette et la chair des poissons, le plancton et les débris végétaux évacués
lors de la pêche ;
2° Pour compléter à 15° hydrotimétriques la teneur en chaux
nécessaire à la bonne utilisation par le plancton des autres principes minéraux
indispensables.
Un hectare d’eau d’une profondeur moyenne de 1 mètre,
vidé lors de la pêche, enlève, si cette eau a la teneur optimum de 15°
hydrotimétriques, soit 85 milligrammes par litre, 850 kilogrammes de chaux CaO.
Si l’eau de remplissage n’a que 10° hydrotimétriques, soit
57 milligrammes par litre, elle ne restitue que 570 kilogrammes de chaux, et il
faut donc 280 kilogrammes de chaux à l’hectare pour rétablir la teneur
primitive.
En ce cas particulier, un chaulage de 280 kilogrammes à
l’hectare est donc indiqué. Ce calcul n’est d’ailleurs pas tout à fait exact
pour deux raisons :
— l’une est le pouvoir tampon dû aux acides humiques de
l’eau, c’est-à-dire au pouvoir d’absorption de la chaux par les matières
organiques contenues dans l’eau, et dont le pH permet de nous donner une
idée approximative ;
— l’autre est que toute la chaux répandue ne se dissout
pas, qu’une partie tombe au fond et qu’il faut, selon les eaux et la
concentration, un certain pourcentage supplémentaire en chaux. Il est vrai que
cette chaux tombée au fond est récupérée petit à petit par l’eau de l’étang. Le
problème est très complexe. Toujours est-il que la connaissance du pH,
du degré hydrotimétrique et de la teneur en chaux est nécessaire pour calculer
un bon chaulage des étangs, qui peut donc varier de 40 à 800 kilogrammes de
chaux à l’hectare.
Et j’on comprend qu’après chaque pêche un nouveau chaulage
soit nécessaire et doive être à nouveau calculé, puisque l’eau est entièrement
renouvelée, alors qu’en culture le sol reste sur place.
Un bon pH, une bonne teneur en chaux sont donc
nécessaires pour la bonne utilisation des engrais à répandre. De grosses
quantités de superphosphates, de scories, de nitrates, mises dans une eau très
acide, ne seraient pratiquement pas utilisées. Bien plus, des superphosphates
augmenteraient l’acidité de l’eau. D’autre part, un chaulage dans une eau déjà
calcaire serait inutile, et même parfois nocif. C’est ce que les agronomes
appellent la toi du minimum, et qui fait que les épandages aussi copieux,
qu’ils soient d’un ou plusieurs engrais, sont sans effet si un seul produit
manque.
Les indications données dans mes derniers articles ne sont
donc valables que dans les cas moyens.
DE LAPRADE.
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