Dans quelques semaines sera donné le départ du Tour. Des
millions de Français qui n’ont pas la chance d’habiter les régions traversées
par la grande boucle, et qui n’en connaissent que les comptes rendus de presse
ou de radio, ne se font qu’une maigre idée de cette épreuve fantastique, la
plus importante et la plus populaire, à coup sûr, du calendrier sportif.
Conçu, mis au point et organisé dans tous ses détails par le
regretté Henri Desgranges, lui-même ancien champion, il mobilise chaque année
près d’un millier de spécialistes. On s’en rendra compte si l’on pense que,
pour lancer une centaine de coureurs sur un parcours libre de 6.000 kilomètres,
il faut plusieurs centaines de mécaniciens, soigneurs, masseurs, entraîneurs et
conseillers techniques, contrôleurs et commissaires, chronométreurs, pour ne
parler que des collaborateurs directs des champions. Auxquels s’ajoutent,
aujourd’hui, la presse, la radio, le cinéma, la publicité, qui s’étend depuis
les marques de vélo jusqu’à celles des moindres accessoires. La file des
voitures qui suivent le Tour s’étend sur plusieurs centaines de mètres, suivies
à leur tour — quand l’essence est libre — d’autant de suiveurs
amateurs.
Une équipe de spécialistes fait, plusieurs mois à l’avance,
un premier tour de France, car on s’imagine, surtout depuis ces dernières
années, ce qu’il faut prévoir, pour le jour dit, dans chaque terminus d’étape,
afin de loger, nourrir et, au besoin, distraire toute cette caravane, et
organiser la surveillance de la route, les contrôles fixes et volants, le
service de police à l’arrivée, etc. !
Ce qui se passe « autour du Tour » est presque
aussi passionnant à suivre, pendant ce mois de sport continu, que l’épreuve
elle-même, et il est difficile de réaliser cette scène vivante et grouillante par
la simple lecture d’un compte rendu, car il se crée, autour de ces équipes de
grands champions, une ambiance faite à la fois de camaraderie, de concurrence
farouche, d’esprit de clocher, occasions d’incidents constants qui vont du
tragique au comique, du plus grand sérieux au ridicule sympathique. Il faut,
pour un sportif qui aime le sport, avoir consacré, une fois au moins, quelques
jours de ses vacances à suivre quelques étapes du Tour ; c’est un souvenir
inoubliable.
D’ailleurs, sur le plan de la qualité, le Tour est une des
plus belles épreuves de l’année. Jamais il ne fut gagné que par des hommes de
premier plan, seuls peuvent le terminer des hommes de classe, spécialement
entraînés. Il ne suffit pas, pour s’y classer, d’être un coureur de style. Il
faut encore être un débrouillard et un tacticien, pour se bien placer et se
faufiler à travers un peloton de quarante ou cinquante hommes ; il faut
être aussi puissant pour monter le Galibier ou le Tourmalet qu’acrobate pour
les descentes à plus de 60 à l’heure. Il faut savoir se servir du frein et du
dérailleur, supporter le vent froid des Pyrénées pour aborder le lendemain le
soleil de plomb des longues lignes droites qui relient Bayonne à Nantes. Il
faut, après 200 kilomètres de montagne, être capable de sprinter dans les 500
derniers mètres. Il faut enfin cette habitude du Tour, qu’on n’acquiert en
général qu’après l’avoir déjà bouclé au moins une fois.
La victoire dans le Tour consacre à jamais un homme et
l’assure pour plusieurs mois de confortables contrats. Il a illustré Pottier, Lapize,
Faber, Thys, Bottecchia, les Pélissier, Lambot et, plus près de nous, les Maës,
Magne, Leduc et Robic. Et, parmi les « éternels seconds », des hommes
comme Christophe et Vietto, qui auraient largement mérité la première place.
Celle-ci revient presque automatiquement à un Français, à un Italien, à un
Belge, ces trois nations ayant fourni la quasi-totalité des rois de la route.
Cette année, le Tour n’aura rien à envier aux épreuves les
plus célèbres d’avant guerre. Les trois nations vedettes seront représentées
par leurs meilleurs hommes. On reverra quelques courses « contre la
montre », c’est-à-dire avec départs individuels de minute en minute,
véritables courses-poursuites sans points de repère, dans le vent et sous le
soleil, qui demandent un effort considérable et qui bousculent les pronostics
et le classement.
Cette année, le Tour sera particulièrement dur, les terminus
d’étapes ayant été modifiés. Parmi ceux-ci, on note Biarritz, Lourdes et San-Remo.
Les Alpes, auparavant parcourues par petites étapes, seront accessibles
seulement à l’élite. Il faudra sauter en deux jours de Cannes à Aix-les-Bains,
en franchissant sept cols, et l’étape Mulhouse-Strasbourg « contre la
montre » apportera des surprises.
Robert JEUDON.
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