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Grande culture

Vers la prochaine récolte

De jour en jour, nous nous rapprochons du terme fatidique impatiemment attendu, et qui doit nous libérer partiellement du souci de la faim. Il est donc intéressant de parcourir les champs et d’essayer de se faire une opinion à ce sujet.

Toutefois, il ne faut pas oublier qu’en matière agricole il ne s’agit pas de mettre en présence des éléments de construction, de les combiner, de les additionner et de tirer le résultat. La chose est relativement approximative s’il s’agit de production animale, à la condition évidemment que la ration calculée soit effectivement donnée aux animaux, réalisation à l’intérieur seulement, car, au dehors, la température, la pluviométrie interviennent pour la préparation de la ration que prennent sur place les animaux. Mais, en matière de production végétale, il en va autrement.

On établit des comparaisons avec les années antérieures, on se penche sur différents indices et l’on suppute des possibilités. Ainsi en ce moment, fin avril, entrent en ligne de compte la densité de la végétation, l’aspect de la plante, l’état du sol, degré d’ameublissement superficiel, abondance ou rareté des plantes adventices. L’état actuel est la conséquence des mois qui se sont écoulés depuis l’ensemencement. Que faut-il retenir ?

L’année dernière, la gelée a causé des dégâts formidables, cause initiale de nos malheurs actuels ; la gelée a causé des dégâts d’autant plus sérieux que les blés avaient été semés en 1946 à une époque tardive, bien que, cependant, les semis très tardifs aient été souvent épargnés ; dégâts encore avec des semis trop profonds. Ne parlons pas des variétés qui n’ont pas pu changer instantanément, d’abord parce que les types parmi lesquels on aurait pu choisir sont restés sensiblement les racines, ensuite parce que la pénurie de la récolte totale gênait les transactions sur les semences ; on pourrait même ajouter les frais de culture supplémentaires résultant des achats extérieurs, bien que la prime d’achat ait pu jouer.

Il était donc normal de voir la réaction immédiate : recherche d’un semis plus hâtif, léger accroissement de la quantité de semence, tendance à une amélioration des conditions de semis. Superposé à cet ensemble de mesures préventives, un ensemble de causes favorables s’est dessiné à l’automne 1947, jouant dans le même sens : température douce, pluviométrie convenable, par conséquent levée en plein, développement harmonieux. Ainsi, des apparences de promesses permettent d’augurer favorablement de l’avenir.

Que sont les réalités d’avenir ; en d’autres termes, que peut-il arriver en bien, que peut-on redouter en mal ? Le plant est dru, le tallage a été fort important, au-dessus de la moyenne. Si le temps est sec, mieux encore : si la pluie ne survient qu’au moment de la pleine montaison, du dégagement des épis, la tige pourra se fortifier, s’allonger avec équilibre. Ainsi sera évitée la verse prématurée résultant de la masse végétale, verse désastreuse si elle survenait avant la sortie des épis ou au voisinage de cette phase de la végétation.

Ce cap franchi, arrive l’épiaison, puis la floraison, période critique ; une belle floraison, c’est l’épillet garni, des possibilités supplémentaires : la coulure ou avortement des fleurs, par temps froid, très humide, c’est l’épi à faibles mailles, à lacunes nombreuses, réduction de production. L’examen des épis aura lieu après cette période lorsque le grain commencera à grossir.

Des tiges droites, des épis garnis fournissent des espérances sérieuses. Pourquoi encore espérances seulement ? La verse dont il a été question — et qu’il faut bien évoquer lorsque l’on voit les champs fortement garnis — peut encore se produire. Jusqu’au jour de la coupe ; il faut tendre le dos. Tardivement, la verse devient de jour en jour moins redoutable pour le rendement ; reste, je le sais, la récolte elle-même, des difficultés, des dépenses supplémentaires ; souhaitons qu’une main-d’œuvre raréfiée, suppléée par des machines neuves ou bien réparées, vienne à bout des circonstances contraires.

Mais il y a aussi l’échaudage, c’est-à-dire une maturité précipitée ; les causes : déséquilibre entre l’absorption de l’eau et l’évaporation, manque de profondeur du sol ; penser à la longueur et à la disposition du système radiculaire. Un automne et un hiver secs auraient incité la plante à allonger ses racines ; plus près de la surface après un hiver relativement humide, les racines peuvent devenir insuffisantes au moment sensible.

Indépendamment de l’échaudage, il y a des maladies cryptogamiques ; avant tout, on peut parler du piétin qui s’installe dans les champs très drus, accompagné de l’oïdium sur la base des tiges. On pourrait signaler le piétin-verse, dans lequel les tiges s’écroulent dans tous les sens, le piétin-échaudage, dans lequel des épis blancs apparaissent plus ou moins vides par-ci par-là. Des attaques de rouille brune et surtout de rouille noire amèneraient un dessèchement brutal de la plante et toujours une réduction de volume des grains. Rien à faire contre tous ces fléaux.

Par contre, après une bonne fécondation, une lente maturité, un achèvement harmonieux des dernières phases de la maturité, sans pluie, pas trop de soleil, une insolation modérée. Là encore, nous n’avons qu’à attendre. Le cultivateur n’a plus à intervenir.

En définitive, ayons de l’espoir, pas d’enthousiasme prématuré, pas d’énervement si les circonstances paraissaient défavorables : il y a plus d’hectares que l’année dernière. Il serait intéressant de publier des notes d’impressions dans les quelques semaines qui précéderont la maturité ; c’est délicat, difficile à interpréter, mais tout de même préférable au sommeil sur un doux lit d’illusions. Dans la prochaine causerie, il pourra être fait état de quelques observations nouvelles. Patience et espérance.

L. BRÉTIGNIÈRE,

Ingénieur agricole.

Le Chasseur Français N°620 Juin 1948 Page 126