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La carotte fourragère

À une époque comme la nôtre où les aliments du bétail ne sont pas encore aussi abondants qu’il le faudrait, aucune ressource ne doit être négligée, et, parmi les plantes qui s’offrent à notre attention, il convient de faire une place de choix à la carotte fourragère, qui constitue une nourriture excellente appréciée de tous les animaux, et notamment des laitières, chez qui elle excite la sécrétion mammaire et pousse à la production d’un lait riche en matière grasse donnant un beurre coloré et fin, et des chevaux. La consommation de carottes leur donne ce poil brillant et lustré, indice du parfait fonctionnement du tube digestif, organe si important chez cet animal sujet à de fréquents troubles intestinaux. Le cheval, l’expérience en a été faite, peut être nourri entièrement de carottes ; mais, sans en arriver là, ce qui serait habituellement excessif, il trouvera tout profit à en rencontrer dix, quinze ou vingt kilos dans sa ration. Il ne se fera pas prier pour les croquer.

On cultive habituellement la carotte comme la betterave, intercalée entre deux céréales. Il serait préférable de la cultiver en deuxième plante sarclée, après une betterave ou une pomme de terre. Une céréale lui succéderait. De cette façon, elle viendra en terre déjà propre et bien ameublie. Les travaux seront facilités, et on pourra lui donner le maximum de profondeur de sol permis par sa constitution et, chaque fois que le sous-sol le permettra, un feuillage. La céréale qui viendra après se trouvera, elle aussi, dans d’excellentes conditions de végétation et apte à donner le rendement maximum. Cette technique de deux plantes sarclées successives est d’ailleurs parfaitement recommandable.

C’est qu’on ne saurait prendre trop de précautions avec cette plante, dont la levée lente et parfois difficile reste soumise aux caprices du temps. Il lui faut de l’humidité, ou tout au moins de la fraîcheur, ce qui la fera exclure des sols secs et des climats extrêmes. On évitera cependant les sols trop compacts.

La graine est minuscule et, comme il ne faudra laisser que 20 à 25 pieds au mètre carré, on ne sème qu’un poids infime : 2kg,5 à 3 kilos à l’hectare. Il est évidemment difficile de répartir une quantité aussi minime, aussi y ajoute-t-on volontiers des grains de crucifères : colza, navette, moutarde, à levée rapide. Celles-ci auront, en outre, l’avantage de jalonner la ligne, ce qui permettra d’entreprendre le premier binage avant même la levée de la graine de carotte, levée qui pourra demander près d’un mois. Ces binages sont, en effet, essentiels tant pour la destruction des mauvaises herbes que pour l’ameublissement du sol. On les combine avec les éclaircissages et, en fin de compte, il reste sur les lignes une carotte tous les huit ou dix centimètres et, bien entendu, plus trace des crucifères, détruites dès que leur rôle de guide est terminé.

Avant de semer les graines de carotte, on n’aura pas oublié le « persillage », opération qui consiste à les frotter les unes contre les autres pour enlever les aiguillons qui gêneraient le semis. Il est même bon, pour faciliter la germination, de les tremper vingt-quatre heures dans l’eau tiède. Après le semis, on tasse le sol.

Suivant la nature du sol, sa profondeur, le climat-plus ou moins humide, on choisira une variété peu enterrée : carotte blanche des Vosges, carotte blanche à collet vert, carotte jaune longue à collet vert, carotte rouge à collet vert, ou, au contraire, une variété qui s’enfonce davantage : carotte blanche améliorée d’Orthe, carotte jaune longue d’Achicourt, carotte rouge longue d’Altringham, qui ne convient qu’aux sols profonds.

Comme la carotte est de conservation assez délicate, plus délicate que celle de la betterave fourragère, comme, d’autre part, elle est cultivée dans les régions à hiver doux, il est courant de la laisser en terre le plus tard possible, jusqu’en décembre parfois. Cette pratique se justifie parfaitement. Il ne faut pas exagérer cependant et se laisser surprendre par les froids fréquents au début de décembre. Il y a d’autant moins d’intérêt à retarder l’arrachage qu’à ce moment la carotte ne profite plus.

Il ne semble pas que la carotte fourragère soit appelée à supplanter la betterave, mais elle peut lui succéder dans l’assolement et la compléter dans l’alimentation des animaux. Avec ses quinze, vingt ou vingt-cinq mille kilos à l’hectare de racines d’excellente qualité, elle permettra de retarder l’ouverture des silos et même de réduire la consommation des grains pendant une période où les animaux de trait ne sont généralement pas soumis à de gros efforts.

R. GRANDMOTTET,

Ingénieur agricole.

Le Chasseur Français N°620 Juin 1948 Page 126