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Causerie vétérinaire

Les sangsues pathogènes

Parmi les demandes de renseignements qui nous parviennent souvent d’Algérie, de Tunisie ou du Maroc, l’une d’elles mérite de retenir l’attention, car elle intéresse plus particulièrement les populations agricoles de ces pays. Elle provient de M. G ..., architecte à Oran, qui s’exprime ainsi :

« Mon chien berger allemand, que j’avais chez moi depuis sept ans environ, est mort subitement ces jours derniers.

» Depuis le début de l’été, on lui trouvait dans la bouche, et jusque dans les narines et au fond de la gorge, de nombreuses sangsues, qui s’y attachaient au moment où il buvait l’eau d’un ruisseau voisin de notre habitation.

» Malgré l’extraction que nous lui faisions journellement et les lavages de la bouche avec des décoctions de tabac, nous ne sommes jamais arrivés à le débarrasser de ces animaux, qui l’avaient gravement anémié et amaigri, et dont plusieurs atteignaient, au bout de quelques jours, la grosseur d’une petite limace.

» Je crois devoir vous signaler ce cas, car la plupart des sources et des ruisseaux de notre région sont infestés des sangsues qui s’attachent continuellement dans la bouche des chiens, des chevaux, des moutons, etc.

» Il serait intéressant, pour de nombreux propriétaires, que vous ayez l’obligeance de traiter cette question dans un de vos prochains articles en indiquant les moyens efficaces pour débarrasser les animaux de ces hôtes malfaisants et, si réellement leur présence peut être mortelle, les soins à donner pour éviter cette dangereuse complication. »

Essayons de lui donner satisfaction.

La sangsue dont il s’agit, Limnatis nilotica ou Hémopis sanguisugue, diffère par quelques particularités, peu importantes à notre point de vue, de la sangsue médicinale, Hirudo medicinalis, employée en thérapeutique humaine pour faire des saignées. Elle a sensiblement les mêmes dimensions que l’autre, mais, au lieu de se recroqueviller en olive quand on la saisit, elle reste mollasse et pendante comme un animal malade ou agonisant.

C’est une espèce méridionale, appelée vulgairement « sangsue de cheval », très répandue dans le Sud ibérique, la Sicile, la Turquie et le Nord africain. Elle habite les mares, les fossés, les petites sources. Les mâchoires, bien plus faibles que celles des Hirudo, ne sont pas capables d’entamer le revêtement cutané, mais seulement les muqueuses. C’est pourquoi ces sangsues pénètrent dans les cavités naturelles : bouche, pharynx, fosses nasales, larynx, etc.

Chez le chien, elles se fixent généralement au-dessous de la langue, à la face interne des joues, sur les gencives, le palais, etc. C’est seulement la ventouse anale qui les fait adhérer à la paroi. Satisfaites, elles profitent de l’instant où leur hôte est à l’abreuvoir pour reprendre leur liberté.

Les accidents provoqués dépendent de la localisation des parasites. Dans la bouche, ils passent souvent inaperçus, car le sang épanché dans la cavité est dégluti au fur et à mesure de sa production. Il en va différemment si ces sangsues sont installées dans les cavités nasales et plus encore au voisinage ou même dans l’intérieur du larynx. Outre un écoulement abondant de sang par les narines, on observe des menaces d’asphyxie, ou au moins une dyspnée intense. Sur l’œil on a pu constater des conjonctivites sérieuses. Les Limnatis constituent un véritable fléau pour les contrées où elles abondent. Elles causent chaque année des pertes sérieuses parmi les bœufs, les chameaux, les équidés et les chiens, en Algérie et en Tunisie, car, lorsqu’elles existent en grand nombre, l’animal, quelle qu’en soit l’espèce, ne mange plus, languit et maigrit rapidement ; il peut mourir d’anémie profonde ou d’asphyxie.

Traitement.

— Il peut être préventif ou curatif. Le meilleur moyen prophylactique consiste à filtrer l’eau avec un simple sac en cotonnade ; on a préconisé également l’empoissonnement des mares, étangs, avec des anguilles, des carpes, des tanches, des chevesnes. On a conseillé également des filtres placés à l’arrivée de l’eau dans les abreuvoirs ; malheureusement, ils n’arrêtent que les gros parasites, qui sont les moins dangereux. Les filtres au charbon sont efficaces, mais d’un débit restreint. La solution la meilleure paraît avoir été proposée par Cauvet, qui préconisa la construction de siphons remplis de sable tassé. Mais ces moyens sont souvent difficiles ou même impossibles à réaliser dans la pratique.

Enfin, Éberhard préconise l’emploi d’un appareil très simple, comparable à la musette employée pour donner l’avoine aux chevaux en campagne, ou à celle que les agriculteurs adaptent au museau des bœufs pour les empêcher de manger les plantes pendant leur travail aux champs.

C’est un petit seau en toile métallique fixée sur un anneau de rotin fendu, s’adaptant étroitement sur la base des joues et sur le chanfrein des chevaux. Une lanière de toile ou une courroie fixée sur les deux côtés permet de l’attacher sur le sommet de la tête, en arrière des oreilles. L’animal peut ainsi boire impunément et n’a pas à craindre l’intrusion des sangsues à travers les mailles de la toile métallique, même à jeun, c’est-à-dire réduites à leur dimension minimum. Il faut avoir soin de mouiller légèrement l’appareil avant de s’en servir pour permettre une arrivée immédiate de l’eau à travers les mailles.

Traitement curatif. — Pour détacher les sangsues de la muqueuse, plusieurs moyens ont été préconisés. Lorsqu’elles sont accessibles et peu nombreuses, on peut les prendre à la pince, mais préférablement on opérera à l’aide de la main enveloppée d’un linge sec ; on évitera ainsi qu’elles ne glissent ; mais, par ce procédé, les blessures des muqueuses par les ventouses buccales de l’annélide continuent à saigner. Plus généralement, on essaie de faire lâcher prise à l’animal en le touchant avec certaines substances ou solutions qui l’incitent à fuir. Voici un procédé pratique conseillé par Éberhard : fixer un morceau de chaux vive de la grosseur d’un petit pois, entouré d’un linge d’une seule épaisseur, à l’extrémité d’une baguette ; humecter alors le tampon légèrement et toucher la sangsue en un endroit quelconque de son corps avec ce tampon ; la chaleur dégagée détermine une contraction de l’animal qui lâche prise immédiatement, dégage sa ventouse antérieure et tombe. Il n’y a plus qu’à l’enlever avec les doigts ou avec une pince.

Certains auteurs ont préconisé les gargarismes buccaux à la seringue avec le sel de cuisine, le vinaigre, le sulfate de soude, l’alun, etc. Ces systèmes ne sont pas très pratiques, car il est assez difficile de projeter ces liquides dans l’arrière-bouche, et leur durée d’action est souvent trop limitée pour être efficace.

On a eu recours plus heureusement à des fumigations biquotidiennes de goudron de bois ou de baies de genièvre : les quintes de toux qu’elles provoquent suffisent pour faire tomber les moins solidement attachées. Les autres ne semblent pas résister à plus de quatre ou cinq fumigations. Des auteurs ont rapporté avoir obtenu de bons résultats en portant au fond de la bouche un tampon de coton imbibé d’éther.

Ajoutons enfin que l’homme n’est pas toujours à l’abri des sangsues. En Algérie, en Égypte, de nombreux soldats et voyageurs ont eu à en souffrir, rapporte le Dr Guyon. Aussi doit-on prendre de grandes précautions lorsqu’on boit dans les sources et surtout dans les mares, où elles abondent.

MOREL,

Médecin vétérinaire.

Le Chasseur Français N°620 Juin 1948 Page 133