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Charcutage sur microbes

Devant le prodigieux spectacle que leur offre le microscope, les savants se trouvaient, naguère encore, dans la situation peu enviable d’un amputé des deux bras. Regarder était permis, mais agir impossible, dans cette population des infiniment petits où l’aiguille la plus délicate ferait l’effet d’un épieu.

Depuis longtemps, les constructeurs avaient cherché le moyen de « démultiplier » les mouvements d’une poignée, manœuvrée par l’opérateur, afin de réduire les mouvements de l’outil : poinçons, rasoirs, micropipettes, à l’échelle du millième, par exemple ... Ces efforts ont été couronnés par la découverte du « micromanipulateur pneumatique », dû à un savant français de l’Institut Pasteur, M. de Fonbrune.

Comment fonctionne le micromanipulateur.

— Pénétrons, au milieu des verdures du parc de Garches, dans ces dépendances de l’Institut Pasteur parisien où s’élaborent les sérums. Ces chocs de sabots ? Ce sont les écuries annexées au laboratoire et où sont nourris les chevaux dont le sang, prélevé périodiquement, fournira le sérum nécessaire aux préparations biologiques.

Dans le corps de bâtiment où se trouve la chambre mortuaire du grand Pasteur, voici les laboratoires du Dr Comandon, spécialiste — comme Jean Painlevé — de la « micro-cinématographie ». Et voici, sur une table, le micromanipulateur, que M. de Fonbrune est en train de faire fonctionner.

Le défaut des appareils construits jusqu’à présent, notamment en France et en Allemagne, était que les tremblements inévitables de la main se transmettaient jusqu’au micro-outil pénétrant sous l’objectif du microscope. Il faut bien se représenter qu’à l’échelle du millième, c’est-à-dire avec le grossissement qui nous montre un microbe avec la taille d’une tête d’épingle, la moindre vibration fait l’effet d’une épouvantable tempête !

La grande idée de M. de Fonbrune a été d’utiliser une transmission pneumatique par des tubes en caoutchouc, Voyez comment procède le savant. Sa main se pose sur un levier à boule, quelque peu semblable à un levier de vitesses d’automobile, qui peut se déplacer en tous sens. Des biellettes le relient à deux petits pistons, refoulant de l’air par deux tuyaux en caoutchouc. Ceux-ci aboutissent, tout auprès du microscope, à deux sortes de boîtes à cachou, reliées elles-mêmes par des biellettes à une minuscule pince portant le micro-outil.

Glissons le micro-outil sous l’objectif du microscope et faisons mouvoir le levier à boule ; les pistons se déplacent, produisant par refoulement d’air de légers gonflements des boîtes à cachou ; il en résulte de très légers déplacements pour le micro-outil. Les mouvements de celui-ci reproduisent exactement ceux du levier à boule, mais diminués dans le rapport de 100, 300 ..., 1.000, suivant le réglage.

Si vous avez besoin d’élever ou d’abaisser le micro-outil, il suffit de tourner la boule, qui agit par vis sur un troisième tuyau.

La fabrication des monstres.

— Mettons l’œil au microscope. Ce sac rouge qui flotte sous vos yeux, au milieu de bâtonnets tortillés, n’est autre qu’un globule de sang humain, entouré de microbes. Un léger mouvement de la main ... et ça y est : le globule, poignardé par la micro-aiguille, laisse échapper un liquide rouge !

À l’aide d’un microrasoir en verre, il est possible de trancher les microbes comme un simple radis, de les saisir avec un crochet, de les aspirer à l’aide d’une micropipette. On peut ainsi prélever un seul microbe pour ensemencer une solution, et c’est là une possibilité qui eût certes fait rêver Pasteur.

Pour fabriquer ce délicat arsenal de micro-outils, une « microforge » a été construite. Le « foyer » est constitué par un minuscule fil de platine, porté au rouge par un courant électrique ; la « matière première » est un fil de verre étiré dans la flamme d’un bec de gaz. Suivant la température du foyer, ou bien le fil de verre « colle » au fil et fournit par étirage une aiguille, ou bien il ne colle pas, et l’on obtient alors des formes arrondies en crochets ou en boules.

La portée pratique du nouvel instrument micromécanique est immense. On peut désormais intervenir dans les délicats organismes de la vie, éventrer une cellule, prendre son noyau. En s’adressant aux cellules reproductrices et « germes », les biologistes envisagent comme possible la création d’animaux nouveaux, de plantes inconnues, en un mot de véritables monstres. Pour la première fois, l’homme intervient directement et librement au point précis où s’effectue la transmission de la vie.

Pierre DEVAUX.

Le Chasseur Français N°620 Juin 1948 Page 140