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Choix et utilisation du chien d'arrêt

Dressage standard et dressage pratique

Beaucoup de chasseurs, surtout parmi les néophytes, confient leur chien à un dresseur deux ou trois mois avant l’ouverture et vont le rechercher la veille du grand jour, attendant des merveilles de leur serviteur ; ils sont souvent déçus. Seuls peuvent s’en étonner ceux qui ignorent comment se façonne un chien d’arrêt pratique.

Si l’on veut bien admettre que la façon de chasser diffère selon les contrées, les terrains et les chasseurs, on admettra aussi que le comportement du chien diffère également dans chaque cas. Il est évident qu’un même dresseur professionnel ne peut entraîner les chiens qui lui sont confiés à tous ces genres de chasse pratique, car il ne peut disposer de tous les genres de terrains à la fois, et il ne peut accoutumer le chien qu’à ses propres habitudes, ignorant celles de ses clients ainsi que leur caractère. L’adaptation du chien à ses fonctions réelles ne se fait pratiquement que par le chasseur lui-même. En outre, cette adaptation, qui fait un chien rusé et meurtrier, s’acquiert par une plus ou moins longue routine et se transmet par atavisme. C’est ce qui faisait l’avantage des races ou des familles depuis longtemps implantées et utilisées dans une région pour un genre de chasse donné.

Or, depuis que les chasseurs sont de plus en plus obligés de se pourvoir en chiens en dehors de leur région, parmi des familles souvent habituées depuis plusieurs générations à un terrain et un genre de chasse qui diffèrent de ceux auxquels on les destine, chaque chien importé, dépaysé, doit subir une adaptation préalable. En tous les cas, et quel que soit le chien, celui-ci doit subir un dressage. Or, s’il est un dressage standard que tout dresseur qui se respecte doit être à même d’inculquer, il en est un autre, complément nécessaire du premier, que seul peut administrer l’utilisateur.

Le dressage standard est l’école primaire du chien, l’école du soldat, aussi indispensable au chien que celle-ci l’est au militaire pour être dans la main de son chef. Il consiste à mettre l’animal en état d’obéissance passive, confiante, aveugle ; aveugle, parce que confiante. Le « down », qui, dans la pratique, peut être limité à la position demi-couchée (position du sphinx), plus commode sur le terrain, parce que le chien continue à voir et observer son maître et peut ainsi se relever à un simple geste lointain, doit être instantané à tout commandement, voix, geste, sifflet. Le rappel par l’un de ces trois moyens, indistinctement, doit être aussi parfait et absolu. Le rapport au commandement, c’est-à-dire forcé, doit être aveugle, en ce sens que le chien doit rapporter, mais seulement à l’ordre, n’importe quel objet ou gibier, mort ou vif, chaud ou froid, d’un poids compatible avec sa force, et quel que soit l’obstacle franchissable.

Down, rappel, rapport, telles sont les trois choses que doit exiger un chasseur en confiant son chien à un dresseur ; et le dresseur qui rend un chien à son maître après lui avoir appris cela, et rien que cela, est un dresseur consciencieux.

Certains, bien qu’ils en aient le temps, attendent pour éduquer le chien que celui-ci se soit déclaré sur le gibier ; solution paresseuse et excuse sans valeur, car, pour apprendre ces trois choses préalables et essentielles, il n’est nullement besoin d’attendre cet événement, la période qui le précède étant la plus favorable.

Il va sans dire que, si le chien a été dressé par un tiers aux trois réflexes préalables, son maître doit le prendre en main et l’habituer d’abord à lui obéir comme à la personne qui l’a dressé ; car un chien n’est pas une machine que le premier conducteur venu conduit par des leviers et des pédales ; il le devient, non pas machine inerte, mais machine intelligente et sensible, à l’intuition développée par la pratique et la compréhension mutuelle de l’animal et de son maître, de leurs caractère et habitudes réciproques. C’est par le degré de cette compréhension réciproque, fruit d’une plus ou moins longue pratique, que le geste du commandement est devancé ou dédaigné, selon la confiance, beaucoup plus que la crainte, qu’inspire à l’exécutant celui qui le profère.

Ce façonnage nécessaire, seul l’utilisateur peut le faire lui-même ; se reposer sur un tiers pour l’administrer est une pure utopie, car il exige une cohabitation, un contact très fréquent de l’animal et du maître. Il faut que le chien connaisse à fond non seulement l’odeur et la voix de son maître, mais qu’il saisisse à l’intonation de sa voix, à certains mots ou gestes, toujours les mêmes dans les mêmes occasions, les désirs exprimés, lesquels désirs doivent être des ordres : jusqu’à l’humeur du maître qui doit être pressentie par la chien. Grâce à ces conditions, le chasseur fera de son chien l’intelligente machine qui, selon l’expression, répondra « au bouton ». Sur un geste à peine esquissé, le chien suivra aux pieds, se couchera et attendra son maître aussi longtemps que nécessaire pendant qu’il tentera l’approche de vanneaux, de palombes ou autres oiseaux méfiants, avancera, confiant, à l’ordre, dans la direction indiquée par le maître jusqu’à l’endroit du point de chute présumé du gibier et que n’a pas vu le chien, au delà d’un ruisseau, par exemple, et là le cherchera au commandement ; l’ayant trouvé, le rapportera fièrement. Mettre un tel chien à la quête croisée, si le terrain la rend utile, sera un jeu ; lui faire prospecter le bois de la façon la plus profitable, inspecter un ravin, une vigne, un buisson ou le tour d’un petit étang seront choses faciles. C’est avec un tel auxiliaire que le chasseur goûtera pleinement toutes les joies de la chasse au chien d’arrêt et remplira plus souvent son carnier. Or façonner un chien de cette sorte est à la portée de tous ceux qui aiment les chiens autant que la chasse, le comprennent et ont la volonté d’utiliser toutes les occasions qui se présentent, repas, promenade, veillée, à cultiver cette compréhension réciproque du maître et de l’animal, condition essentielle d’une collaboration intime et intelligente. Indiquer par quels moyens y parvenir dépasserait le cadre du sujet ; la plume de M. Rohard, l’auteur qualifié des questions de dressage, vous indique souvent ici-même les méthodes et les trucs à la portée de tout le monde.

Nous avons volontairement négligé de parler de l’éducation de l’arrêt et du respect du gibier au départ ; c’est que nous estimons que ce sont des aptitudes naturelles d’un chien d’arrêt normal et que nous supposons que le chien adopté les possède, au même titre que l’intelligence. Un chien qui n’arrête pas spontanément est un faux chien d’arrêt ; le respect du gibier au départ est parfois moins spontané ; la mise en main que nous préconisons doit suffire à refréner toutes les incartades ; et, si le chien se montre trop rétif, seuls les dresseurs professionnels ou amateurs doués pour le dressage arriveront à le mater ; mais ce sera pour eux, et non pour le chasseur moyen, auquel sont destinées ces lignes.

Jean CASTAING.

Le Chasseur Français N°608 Août 1948 Page 158