Trente années ont passé depuis que les méthodes alsaciennes
d’utilisation du chien d’arrêt ont commencé à être connues en France.
Elles présentent évidemment aux yeux des puristes quelque
chose de scandaleux et d’hérétique, pour peu qu’on se rappelle les injonctions
de certains arbitres aux environs de 1900. En ces temps (trop lointains, hélas,
pour ceux qui les ont vécus), il était entendu que le chien d’arrêt était une
machine à éventer et à arrêter. Le rapport des morts et des mourants n’était à
tolérer qu’une fois sur deux. Quant aux « runners », il fallait se
résigner à les perdre, sous peine de dérégler le dressage et de compromettre la
fermeté d’arrêt de l’auxiliaire.
Portant une main sacrilège sur les textes sacrés, j’affirme
que c’est là littérature. Il fallait accepter la méthode anglaise intégrale,
qui comporte le retriever spécialisé, mais ne pas l’adopter à demi. On en était
venu à des stupidités barbares. Je vois encore cette gravure intitulée : Le
grand dressage, représentant un chien au down au bras levé, respectant un
lièvre qui, les reins brisés, va se perdre au couvert. Tradition, que de
sottises ont été commises en ton nom !
Au vrai, tout cela ne tenait pas debout. J’ai assez
longtemps fréquenté les chiens anglais (j’entends ceux dont le grand-père
n’était pas un fox-hound) pour pouvoir affirmer que la plupart, surtout ceux
éventant du plus loin, arrêtaient si ferme que le coulé devait être vivement
sollicité. Dès que de tels chiens avaient pris goût au rapport, leur
comportement après la perception du gibier devenait plus intelligent. Aucun
inconvénient donc à les encourager à la pratique d’un exercice rentrant dans
les attributions de tout chien d’arrêt privé du concours du retriever.
Seulement, voilà, quand on avait un chien ressemblant au physique et au moral
(et pour cause) à un harrier ou à un blood-hound, comme il m’est advenu,
l’arrêt naturel chez de tels sujets était plus qu’incertain ; toutes les
précautions étaient donc à prendre pour leur éviter les tentations. Le meilleur
eût été de ne les pas produire et la question ne se fût pas posée.
Quant aux autres, qui, à six mois, à l’instar des jeunes gordons
de Paul Gaillard, s’immobilisaient devant tout oiseau domestique ; qui, à
dix, étaient déclarés et arrêtaient ferme sans avoir été contraints par le
moindre coup de sonnette, il n’y avait pas d’extraordinaires disciplines à leur
appliquer. Suivant l’expression usitée, tels chiens naissaient dressés ;
tout au moins dans une large mesure. Nombreux parmi les bien équilibrés et les
mieux doués avaient naturellement le sens de l’utilisation du vent et
esquissaient la quête croisée. Il n’y avait aucune raison valable de les
réduire au rôle de machines, mais beaucoup de motifs pour s’attacher à
développer chez eux les nombreux talents qu’ils possédaient en puissance.
Les chasseurs des pays continentaux, n’usant, la plupart
d’entre eux, que d’un seul chien à la fois, qu’ils utilisent sur tous les
terrains et les gibiers les plus divers, n’ont logiquement que faire d’un
animal aux activités diminuées. L’école alsacienne l’a compris bien avant nous,
parce qu’elle n’a tenu compte que des réalités observées sans s’embarrasser des
théories (d’ailleurs mal appliquées) d’une nation étrangère, pratiquant un
sport inspiré de principes différents. Nous savons tous maintenant, grâce à cet
exemple, le parti qu’on peut tirer de presque tous les chiens d’arrêt, en
particulier de ceux qu’une longue hérédité a orientés dans le sens actuellement
souhaité, c’est-à-dire façonnés, au moral et au physique, pour répondre à
toutes les exigences.
D’où la faveur croissante de certaines races.
Les chasseurs demandent le chien possédant le meilleur nez
possible, un train assez vif mais soutenu durant un jour, l’arrêt naturel,
disposition à l’obéissance, aptitude à servir sur tous les terrains et au
métier de retriever sur terre et à l’eau. Tout cela, et quelques autres choses
en plus, est exigé des chiens d’arrêt aux pays où l’usage du chien courant est
inconnu ou interdit. Or les chiens desdits pays arrêtent ferme et, bien qu’étranglant
chat errant ou renard, rapportent cependant les oiseaux sans les offenser. On
aurait conté cela il y a quelques lustres qu’on eût passé pour un Tartarin.
Devant les faits, il a bien fallu s’incliner, mais quelques-uns avec une
certaine mauvaise humeur, parce qu’il y a deux conceptions de l’éducation de
tous les êtres.
L’une tend à voiler un certain nombre d’aptitudes naturelles
où d’instincts, en leur substituant les lumières de notre raison, l’autre
cherche à les développer et utiliser au maximum. La première n’exige pas grand
esprit d’observation, mais seulement des disciplines strictes, l’autre est
surtout l’affaire du psychologue observateur. L’une s’accommode du dressage en
série, l’autre s’attache à connaître les ressources de chaque individu. Le
dressage voisin du domptage est fait pour les irréductibles, même médiocrement
doués ; ainsi façonnés, ils deviennent utilisables, mais ne font jamais
d’agréables compagnons. Leur production provient presque toujours de
croisements inconsidérés ou d’unions entre reproducteurs doués de défauts de
caractère.
Ce qui fait les neuf dixièmes de l’efficacité du chien
d’arrêt et tout le plaisir qu’on en éprouve est, avec le bon équilibre des
facultés, l’aménité du caractère. On rencontre pareils chiens dans les familles
exemptes de croisements avec les races autres que d’arrêt et, dans ces
familles, chez ces éleveurs soucieux de la psychologie de chaque reproducteur.
Le chasseur n’a plus qu’à développer au maximum la valeur
d’un tel compagnon, en cultivant ses initiatives, c’est-à-dire tous les
instincts dont il est pourvu. L’entraînement dans les milieux les plus divers
et sur gibiers variés y contribue considérablement. Un auteur anglais bien
connu a écrit que tous les grands chiens viennent d’Écosse.
Ajoutons encore l’influence qu’à, sur le développement de
l’intelligence, le contact assidu avec le maître.
Les circonstances économiques étant ce qu’elles sont et
aussi les opinions en cours quant à l’exercice de la chasse, le chien d’arrêt
entraîné à rendre tous les services qu’on peut raisonnablement en exiger est le
chien de l’avenir. Le mouvement est déjà assez dessiné pour indiquer aux
éleveurs la voie dans laquelle il leur importe de s’engager.
R. DE KERMADEC.
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