Avec la canicule, la pêche à la mouche artificielle de la
truite ne connaît pas la même facilité. Seul, le fameux « coup du
soir », au crépuscule, permet quelques captures intéressantes, en mouche
sèche.
Bien que les petites mouches flottantes, au corps minuscule,
connaissent une efficacité certaine, il est assez malaisé de les apercevoir à
10 ou 15 mètres, et il faut ferrer sur les « ronds » formés par
l’attaque d’une truite et souvent au hasard, aux environs de la mouche. Si le
vent ou le courant s’en mêle, la vue la plus perçante se trouve en défaut. D’où
nécessité d’employer une grosse mouche qui flotte bien.
Dans un autre cas, lorsqu’on plein soleil se prélassent en
surface d’énormes chevesnes, il est utile, voire nécessaire, de leur présenter
un insecte assez volumineux, susceptible de rester en surface un temps
suffisamment long, jusqu’à ce qu’un de ces gros sybarites méfiants se décide à
le saisir, après l’avoir examiné avec circonspection. D’ailleurs, les
chevesnes, surtout les gros, affectionnent particulièrement les mouches
volumineuses.
Ceci dit, il va falloir nous occuper de trouver, ou
de confectionner, un appât ad hoc. Je conseille vivement à tout amateur
adroit d’établir lui-même ses modèles, d’après ses conceptions personnelles, ou
à l’image des insectes de la saison, des coléoptères de préférence.
Essayons donc d’en monter un :
Vous découpez, au ciseau ou au rasoir, un morceau de liège
ayant la forme approximative d’un corps de mouche et, après l’avoir fendu dans
le sens de la longueur, jusqu’à mi-épaisseur, vous le posez sur la hampe d’un
hameçon no 10 ; dans cette fente, vous avez placé un fil
de soie noire (ou de toute autre couleur) poissé et vous le laissez dépasser de
quelques centimètres (fig. 1). Une goutte de vernis collera le tout.
Laissez sécher pendant que vous préparez ainsi, à la suite, plusieurs appâts.
Puis, la dessiccation achevée, vous imiterez les anneaux de l’abdomen, en
enroulant la soie, en spires bien égales, de l’extrémité du corps en remontant
vers l’œillet de l’hameçon ; deux demi-clefs fixeront la soie
(fig. 2). À ce moment, vous pourrez procéder de deux façons différentes,
suivant que vous prétendez imiter une grosse mouche ou un coléoptère.
Mouche.
— Prenez deux plumes noires ou rousses, longues et
fines, prélevées sur le collet d’un vieux coq, et enroulez-les en collerette
dans le petit espace entre l’œillet et le liège (fig. 3). Fixez-les, à
l’aide de la soie, par une ligature sans nœud. Une petite goutte de vernis
consolidera cette ligature. Pour parfaire la mouche et surtout pour lui assurer
une stabilité plus sûre, vous auriez pu, lors de l’opération de la figure 1,
placer dans la fente du liège deux ou trois longues barbes de plume, comme
l’indique la figure 3. Il ne vous reste plus qu’à colorier le liège, ce
qui est parfaitement inutile, ou à le vernir, ce qui n’est pas nécessaire, la
couleur naturelle du liège convenant à merveille.
Coléoptère.
— Au lieu de placer des plumes en tête de l’hameçon,
vous enroulez simplement la soie de façon à former un corselet assez épais.
Puis, à l’aide d’une aiguille très fine, vous passez dans ce thorax, et
perpendiculairement au plan de l’hameçon, trois ou quatre morceaux de poils de
brosse assez souples, ou simplement de crins de pêche, que vous coupez ensuite
également de chaque côte du corps : ce sont les pattes.
J’ai même, autrefois, poussant l’imitation jusqu’à la
minutie, simulé les articulations en nouant ces bouts de crin (fig. 5),
sans m’apercevoir que ce perfectionnement eût été pour quelque chose dans le
résultat final. Je m’abstiens donc, depuis, de cette pratique pour les mouches
courantes, mais je l’applique encore pour les modèles spéciaux (cousins,
moustiques, sauterelles), considérant que les longues pattes de ces insectes
vibrent davantage, ainsi nouées. Une goutte de vernis déposée délicatement sur
le corselet maintiendra en place soie et bouts de crin.
Vous voilà donc en possession d’un modèle qui flottera comme
un bouchon et pourra rester sur l’eau aussi longtemps que vous le désirerez.
Il m’est arrivé, les jours de grosse chaleur, de laisser en
surface calme une telle artificielle un temps assez long, (ma soie légère étant
bien graissée) et de la voir subitement disparaître dans un puissant remous,
sans avoir aperçu le gros chevesne ou la truite monter brusquement du fond. Les
grosses pièces surtout affectionnent cette mouche attirante et bien sage en
surface, pendant que vous grillez à l’ombre une bonne pipe. N’allez pas croire,
cependant, qu’elle n’est destinée qu’à un tel emploi.
Dans la pêche en mouche sèche, en remontant le courant, elle
fait merveille, dansant sur les vagues, virevoltant dans les remous, sans
jamais connaître la noyade, même si vous vouliez qu’elle s’enfonçât. C’est une
mouche pour pêche à vue, essentiellement, et permettant, de ce fait, des
captures certaines. Les jours de vent, sur les grandes étendues d’eau calme
(étangs, lacs, pools), elle est excellente pour la grosse truite. J’en ai fait
l’heureuse expérience.
Dans ce cas, je conseillerai de placer deux ou même trois
mouches sur le même bas de ligne, l’ensemble n’en flottera que plus aisément.
Cependant, le lancer en sera plus délicat, à cause du freinage dans l’air. Nous
adopterons alors la « cadence ralentie », ou, ce qui est mieux, nous
utiliserons la grande canne à deux mains, avec une soie plus lourde et bien
graissée.
Mais tout ceci n’est déjà plus du domaine de l’initiation,
et n’oublions pas que ma tâche consiste à instruire des débutants et non à
conseiller des pêcheurs avertis, sans doute plus habiles que moi.
Pour conclure, disons que cette mouche peut constituer, en
belle saison, la mouche unique dont puisse avoir besoin un pêcheur ; en
variant le numéro des hameçons, la teinte de la soie, elle peut constituer une
gamme assez étendue d’artificielles qui flottent bien et d’une efficacité
certaine.
Marcel LAPOURRÉ.
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