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Grande culture

La moisson de 1948

Depuis la fin d’avril jusqu’à mi-juin, la situation est restée satisfaisante, et, lorsque ces lignes paraîtront, la moisson sera avancée. On connaîtra déjà approximativement dans quel sens ont tourné les derniers phénomènes végétatifs qui précèdent la maturité, et des appréciations de rendements auront été lancées. Il serait donc oiseux de revenir sur les accidents possibles, d’autant que, pour le moment, à part des orages locaux, des apparitions de piétin, des mauvaises herbes envahissantes dans les régions humides, les champs de blé sont beaux.

Il est donc plus intéressant d’essayer de tirer une leçon des apparences et de préparer déjà les ensemencements de l’automne 1948 pour le pain de 1949. La campagne nous donne beaucoup d’enseignements lorsqu’on cherche à lire ce grand livre ouvert sous nos yeux, et dont il faut tourner les pages avec la plus grande attention. Les uns et les autres chercheront certainement à tirer gloire du présent, alors que la modestie oblige à reconnaître que, pas plus en 1948 qu’en 1947, les hommes ne sont les auteurs exclusifs de l’abondance ou de la pénurie. Le point délicat, c’est de dégager une ligne de conduite moyenne, en cheminant au travers des faits météorologiques qui, eux, sont rarement dans la moyenne.

On lisait cette année l’histoire des champs en suivant attentivement la végétation. Les réactions favorables s’inscrivaient sous une couleur vert foncé parant une végétation luxuriante, troublante même par son exubérance ; les réactions défavorables, par une teinte vert jaunâtre, des tiges minces, des épis de faible dimension. Ce ne sont pas les traitements de l’automne 1947 ni du printemps 1948 qui ont tout seuls contribué à provoquer ces différences ; c’est l’état antérieur du terrain qui a joué : dans un cas, des réserves de fertilité dues à un entretien convenable de la terre, malgré les embûches que plusieurs années de malheurs ont semées sous les pas des cultivateurs ; dans l’autre, un état d’abandon : insuffisance de fumures de fond particulièrement, résultant d’un prélèvement excessif de pailles et de fourrages, d’une réduction des animaux. Il est évident que le travail du sol peut être mis en cause, mais pas exactement à ce propos. La leçon doit porter et il faut revenir à rétablir un minimum de matière organique, base certaine de la fertilité durable.

On pouvait voir encore des différences très nettes dans la propreté des champs ; celle-ci résulte d’un état satisfaisant permanent ou d’un sursaut de défense pour le blé lui-même. L’état permanent ne trompe pas, il découle de nombreuses années de soins attentifs : ce qu’il faut, c’est empêcher la production des semences des plantes adventices salissant la terre pour de longues années, tant sont puissantes la production des graines de petites dimensions et leur résistance au temps dans le sol ; c’est, en même temps, empêcher le maintien des plantes vivaces, des chiendents notamment. Le travail du sol a une action certaine : déchaumages, façons répétées avant les semis, travaux intelligents en cours de végétation : hersages, binages. Parallèlement, le recours aux produits chimiques, dont la liste s’accroît d’année en année, est également un moyen précieux. On sait maintenant que les interventions hâtives sont toujours les meilleures, les feuilles des plantes adventices sont mieux atteintes, le traitement est moins coûteux : il faut moins de liquide et la solution peut être à un taux plus faible. Non gênée, la céréale prend son plein essor et se défend plus aisément. Mais, si l’on n’a pas pu intervenir de bonne heure, même en dépensant davantage, en altérant un peu la végétation du blé, il ne faut pas hésiter à traiter afin de ne pas voir s’épanouir bleuets, coquelicots, matricaires, ni se dresser orgueilleusement cirses et chardons. Il faut avoir la hantise des mauvaises herbes et constamment s’appliquer à en diminuer le nombre.

Ces constatations sont d’ordre général et, en fait, s’appliquent à toutes les cultures ; elles frappent un peu plus lorsqu’il s’agit d’une culture de blé, car on voit nettement les méfaits causés. Il y a lieu de fouiller les problèmes et d’essayer de considérer la végétation du blé lui-même. La question est plus délicate, car, en réalité, il y a trop de banalité dans la manière dont on cultive le blé. C’est dès l’ensemencement qu’il s’agit de voir clair, et notamment dans le mode de semis. L’observateur qui regarde les champs au moment de la moisson est frappé par la masse des épis ou leur rareté, par leur grosseur. Laissant de côté ce qui est propre à chaque variété, il convient de se rendre compte de la relation qui existe entre le semis et la garniture du champ.

Un semis relativement clair donne des tiges vigoureuses, nombreuses, des épis de bonnes dimensions ; un semis plus épais fournit des tiges plus minces, moins nombreuses, et les épis restent plus faibles. C’est le produit total qui compte ; il peut être le même dans les deux cas ; le semis clair donne plus de sécurité en ce qui concerne la verse, mais il risque de donner plus de prise à la rouille noire, tout en laissant souvent apparaître de petits épis, tard venus, qui ont fatigué inutilement la plante ; le semis plus dru manque d’air, mais il se défend mieux contre les mauvaises herbes, il convient à des terres moins riches. On comprend donc que ce n’est pas la volonté immédiate qui doit guider au moment de régler le semoir ou la poignée du semeur, mais qu’il faut bien connaître le milieu et raisonner en conséquence.

Les cultivateurs les plus subtils diront encore que les soins appliqués au printemps ne sont pas sans influence ; les hersages, les roulages à plat ou au crosskill, les binages agissent sur la terre, sur le comportement du tallage, sur le développement des racines. Dans le même ordre d’idées, l’époque d’application des engrais en couverture, les doses utilisées ; mais alors, on sort du cadre banal du blé et l’on arrive à déterminer le mode de culture de chaque variété. Pour la grande masse des praticiens, il faut dégager des règles générales ; celles-ci résultent d’un long passé qui a le mérite de répondre à des données moyennes, évitant les sautes d’humeur suivant qu’il a fait froid ou chaud, sec ou humide ; c’est à chacun d’assouplir ces règles en tenant compte des progrès réalisés individuellement et des données nouvelles s’appliquant spécialement aux variétés et aux fertilisants. Métier bien difficile et qui s’apprend jusqu’au dernier jour, année par année, et non pas minute par minute, comme dans les fabrications industrielles, et c’est cela que beaucoup d’hommes ne saisissent pas.

L. BRÉTIGNIÈRE,

Ingénieur agricole.

Le Chasseur Français N°608 Août 1948 Page 173