L’expérimentation est une des conditions essentielles du
progrès en tout ce qui concerne les sciences physiques, chimiques, biologiques
et naturelles, donc de l’agriculture. Aucune affirmation ne vaut qu’elle n’ait
été confirmée par des essais probants réalisés avec une rigueur scientifique
impeccable. Nous ne sommes plus au temps des expériences faites au petit
bonheur, sans aucune précision et sans contrôle effectif.
Qu’on ne s’y trompe pas, l’expérimentation agricole est très
difficile et très délicate. Alors que dans l’industrie on peut recommencer, en
un temps très court, dix fois, cent fois, mille fois la même expérience dans
les mêmes conditions de température, de pression, d’humidité, de lumière, etc.,
on est dans l’agriculture limité par la durée du cycle végétatif des végétaux
(chaque expérience dure un an) et par la quasi-impossibilité de retrouver d’une
année sur l’autre des conditions identiques. Une année sera pluvieuse, l’autre
sèche, l’une froide, l’autre torride, l’une favorisera la rouille, ou la verse,
ou tel ou tel insecte, et l’autre non. Les terrains utilisés eux-mêmes seront
différents et ne seront jamais parfaitement homogènes. Comment comparer les
résultats obtenus en sols de richesse différente ? Ou inégalement
humides ? Ou diversement exposés ?
Si la perfection est impossible, du moins doit-on s’attacher
à s’en rapprocher le plus possible, de façon que les chiffres obtenus aient une
signification certaine, et en multipliant les essais, en en comparant les
résultats à ceux qui sont obtenus ailleurs, on arrivera à se faire une idée
exacte de la qualité des variétés, de la valeur des engrais ou des procédés de
culture expérimentés.
On demandera d’abord au champ d’expérience d’être d’accès
facile, à proximité d’une route ou d’un bon chemin. Il sera plat, sans bosses
ni creux, et sensiblement horizontal. Il est certain qu’un terrain ondulé ou à
deux pentes ne saurait convenir puisque les expositions solaires ne seraient
pas les mêmes, mais toute pente même régulière est un défaut puisque le degré
d’humidité, l’action des pluies et la fertilité ne sont jamais absolument les
mêmes en haut et en bas. On pourra cependant utiliser un terrain à faible
pente, à conditions de faire les semis ou les plantations, dans le sens de la
pente. Une mouillère enlève toute valeur aux résultats et rend le terrain
inutilisable pour l’expérimentation. Il faut tout au moins la neutraliser. On
neutralisera, également la portion des champs qui est à proximité d’une bordure
d’arbres, et on condamnera sans appel les terrains situés à proximité d’un
bois, les déprédations des lapins enlevant toute précision aux résultats
constatés. Les arbres isolés seront tout aussi fâcheux.
Ces conditions extérieures limitent déjà sérieusement le
choix possible, mais leur respect ne donnera pas encore automatiquement le
champ idéal. Celui-ci devrait être rigoureusement homogène, de même sol et de
même sous-sol, de même profondeur, sans apport de détritus ou de terre pour
combler les creux. Cette homogénéité est assez rare et il n’est pour s’en
convaincre que de regarder un sol nu avec ses différences de coloration, ou un
sol couvert de céréales avec les différences de vigueur des plantes ou
d’intensité de la couleur verte, indice de la richesse en azote.
Il n’est pas jusqu’aux vestiges d’un réseau de drainage en
mauvais état, la proximité d’un affleurement d’argile qui ne soient
dommageables.
À vrai dire, si on voulait la perfection, on ne ferait
jamais d’expérimentation, mais il faudra tenir compte dans les méthodes de
travail des insuffisances des terres utilisées, multiplier les parcelles, les
disposer de façon à neutraliser les facteurs d’erreur.
Le champ d’expérience choisi, suffisamment homogène, bien
situé, bien régulier, les difficultés sont-elles résolues ? Pas forcément.
Qu’avez-vous semé l’an dernier ? À droite, des
betteraves fourragères à collet vert ; à côté, des betteraves géantes de Vauriac ;
plus loin, vous avez planté des pommes de terre, puis des haricots. Quatre
cultures différentes ! Les résidus de fumure sont donc différents, le sol
est inégalement épuisé, les résultats ne seront pas comparables ; la
préparation des terres elle-même n’a pas été la même. Alors ? Alors, il
faut cette année ensemencer tout ce champ d’une même variété, et encore l’an
prochain, et dans deux ans vous pourrez y commencer vos expériences. Bien
entendu, vous travaillerez tout le champ dans les mêmes conditions, à la même
profondeur, avec les mêmes fumures.
En résumé, le champ d’expérience répondra, dans la mesure du
possible, aux conditions suivantes :
Il sera d’accès facile, plat, horizontal ou tout au moins à
très faible pente ; il n’aura pas de mouillère ni d’arbre isolé ; il
sera éloigné des bois et même des bordures d’arbres. Le sol et le sous-sol
seront de même formation géologique et homogène, de même nature et de même
épaisseur ; enfin les cultures et les fumures des deux années précédant
l’expérience auront été identiques.
Il restera alors à corriger, par une disposition judicieuse
des essais, les imperfections et les causes d’erreur.
La minutie de ces précautions montre qu’il ne saurait être
question de travailler de grandes étendues pour en obtenir des résultats
chiffrés et certains ; mais le travail habituel de l’agriculteur,
lorsqu’il est fait avec un esprit de contrôle, est une forme d’expérimentation
qui n’est pas négligeable, et on peut regretter que les instruments de mesure
et les bascules en nombre insuffisant ne permettent pas toujours de vérifier
commodément les résultats obtenus. L’estimation à l’œil est souvent trompeuse,
et chaque fois qu’on le pourra on s’efforcera de les confirmer (à moins qu’ils
ne soient infirmés) par la pesée.
R. GRANDMOTTET,
Ingénieur agricole.
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