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Dommages de guerre

et reconstruction au temps passé

EPUIS des siècles, hélas ! la France est le champ de bataille de l’Europe. On a un peu trop tendance à oublier que les invasions d’autrefois ont ruiné, saccagé, pillé notre pays.

Ces dommages de guerre du temps jadis ont, comme de nos jours, causé des perturbations, provoqué des séances plus ou moins orageuses dans les assemblées parlementaires et aussi — car l’histoire n’est qu’un perpétuel recommencement — fait éclore, à l’ombre des cartons verts des ministères, des feuilles de papier noirci en quantité fort appréciable. Ne nous en plaignons pas trop, d’ailleurs, puisque, grâce, à ces vieux documents, nous pouvons évoquer les malheurs de la guerre.

Au Moyen Age, surtout aux XIVe et XVe siècles, les hommes d’armes, ennemis ou amis, pillèrent, brûlèrent et rançonnèrent nos provinces. Les dégâts furent immenses, et le roi et les seigneurs accordèrent aux sinistrés des dégrèvements d’impôts ou des compensations.

Afin de donner une idée de ce qu’étaient, au temps de la guerre dite — bien à tort — en dentelles, les ruines d’un village après le passage des troupes, voici un rapport sur Seppois-le-Haut, en Alsace, en 1633 et 1634, lors de l’invasion suédoise : « L’an passé, on n’a pas récolté un boisseau d’avoine, et cette année, dans tout le ban, on n’a pas ensemencé plus de deux journaux, si bien qu’aujourd’hui les pauvres paysans sont contraints de coucher sur la paille comme des chiens (sauf le respect) parce que tout leur a été volé et qu’on ne peut rien imaginer de pire que ce spectacle infernal. » Ce pauvre pays fut encore très éprouvé en 1914-1918 !

Lorsque les Prussiens vaincus, après la canonnade de Valmy, décimés par l’épidémie, eurent battu en retraite, les régions qui avaient eu à subir l’invasion étaient, elles aussi, en fort piteux état ! Lisez plutôt ce qu’écrivaient les habitants de Fontaine-en-Dormois, deux ans après la célèbre bataille, à la Convention : « De justes indemnités sont promises aux pays qui supportent le poids de la guerre. Nous disons avec vérité que nous en avons ressenti les funestes ravages ; à leur entrée, les Prussiens ont tout pris, meubles, bestiaux et approvisionnements ; dans leur fuite, ils dégradèrent ce qu’ils ne pouvaient emporter. Nous respirions à peine et l’on commençait à remédier à ce désastre, quand l’arrivée des troupes françaises nous épuisa à nouveau. Il est vrai que nous donnions de bon cœur à nos frères ce que les brigands arrachaient par force ; mais ce ne fut pas moins pour nous la privation du nécessaire. » Le reste du tableau est lamentable ; les réquisitions, les campements ont tout abîmé, tout ruiné, la situation est effroyable ! Un rapport officiel prouve que les armées du roi de Prusse avaient même empoisonné les puits.

Les paysans se montrent cependant peu exigeants ; ils demandent seulement à avoir un peu de viande, même « mal nourrie », des légumes et, si possible ... des grenouilles ! La détresse était extrême, les commissaires — les fonctionnaires à la Reconstruction du temps — écrivent que, dans neuf villages, il ne reste plus une seule poule, qu’il n’y a plus rien, pas de marmite pour faire la soupe, pas de bois, plus de graisse ni de lard : c’est « un jeûne perpétuel ».

L’administration militaire fit ce qu’elle put pour soulager tant d’infortunes. Son directeur, un certain Gigot — nom prédestiné — envoya des sacs de grain et du pain.

Les communes firent expertiser les pertes par des vignerons, des laboureurs, des charpentiers et des gens « du bâtiment ». En attendant le règlement définitif des dommages, les commissaires prodiguèrent aux sinistrés, dans des discours patriotiques, le réconfort et l’espérance.

Ces paroles n’étaient du reste pas inutiles, car il fallait, de toute urgence, stimuler les populations atterrées d’avoir tout perdu et qui, soulagées — provisoirement — par le gouvernement, s’imaginaient, dans leur candeur naïve, qu’elles n’avaient plus besoin de travailler. Déjà des ouvriers refusaient de mettre la main à l’ouvrage sous le prétexte qu’on leur donnait du pain !

Le décret du 27 février 1793 fut la véritable charte des régions dévastées de la première République. Il a d’ailleurs été évoqué lors de la loi d’août 1921, avec des erreurs de dates qui prouvent que les législateurs de la « Troisième » étaient fort peu familiarisés avec le calendrier révolutionnaire.

L’article 1er de cette loi est ainsi conçu : « La Convention déclare, au nom de la nation, qu’elle indemnisera tous les citoyens des pertes qu’ils ont éprouvées ou qu’ils éprouveront par l’invasion de l’ennemi sur le territoire français ou par les démolitions ou coupes que la défense commune aura exigées de notre part d’après les règles qui vont être établies. » L’article 11 prévoyait que les « collaborateurs » de l’époque n’auraient pas droit à ces compensations.

Rapidement, d’ailleurs, on s’efforça de réduire les montants des sommes réclamées par les pauvres paysans. On refusa de leur rembourser l’argent perdu — monnayé ou en assignats — ainsi que les objets de valeur, sous le fallacieux prétexte qu’un vrai républicain n’avait que faire de ces bagatelles !

Le gouvernement — dont les caisses étaient déjà vides — fit jouer le système des forclusions, des exceptions, du commerce avec l’ennemi, des profits illicites. Il donna un peu, promit beaucoup et ne tint rien. Cependant, ces populations champenoises avaient été pillées, non seulement par les Prussiens, mais aussi par les fameux volontaires, qui se conduisirent souvent comme des bandits de grands chemins. Des textes publiés dans une collection officielle en font foi.

Au début, le gouvernement avait formulé des règles généreuses — trop, vu l’état du Trésor, — puis avait réduit son aide, d’où trois aspects de la question : en premier, l’attribution de secours, puis l’octroi d’indemnités, enfin le retour au système de secours, qui eut d’ailleurs de nouvelles applications en 1814-1815 et en 1871.

Peu à peu, les attributions devinrent de plus en plus maigres ; on fit jouer les clauses de déchéance et d’exclusion. La République fit ce qu’elle put, mais elle n’avait pas d’argent ...

Le cas de Landrecies est typique. Cette malheureuse ville fut sinistrée aux trois quarts ou presque. Ses habitants couchèrent, durant des années, dans des caves ! Le règlement définitif de sa reconstruction n’eut lieu que sous la Restauration.

L’invasion de 1814-1815 obligea, une fois de plus, l’État et les Chambres à se pencher sur la misère des paysans dont les maisons ou les récoltes avaient été pillées ou détruites. Certains députés firent preuve d’un « modernisme » très curieux pour l’époque, mais qui ne fut guère suivi.

La guerre de 1870-1871 ramena encore chez nous le Prussien exécré. Il mit le feu à des villages, emporta les pendules — comme dans le conte d’Alphonse Daudet, — se livra sur une partie du territoire à de véritables brigandages. Le 6 septembre 1871, une loi fut promulguée.

L’article 1er énonçait qu’« un dédommagement sera accordé à tous ceux qui ont subi, pendant l’invasion, des contributions de guerre, des réquisitions, soit en argent, soit en nature, des amendes et des dommages matériels ». Des commissions cantonales furent chargées d’examiner les dossiers.

En Eure-et-Loir — département très touché — le montant des pertes s’élevait à 33.268.109 fr. 71. Les experts se mirent à la besogne et réduisirent la somme à un peu plus de 28 millions, puis à environ 26 millions. L’État accorda d’urgence plus de 3 millions. On décida de donner 50 p. 100 du montant des pertes, compte tenu de la première distribution. Généreusement, le gouvernement compléta les quelques millions octroyés par une somme de ... 705 francs ! En résumé, le département reçut près de 8 millions. La plupart des sinistrés furent donc obligés de reconstruire à leurs frais leurs maisons incendiées par les Teutons.

Roger VAULTIER.

Le Chasseur Français N°608 Août 1948 Page 191