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La chasse à la bécasse

J’ai lu avec intérêt bien des traités de chasse et j’ai souvent remarqué qu’en général leurs auteurs, dans une sorte de satisfaction personnelle, s’étendaient avec complaisance sur le chapitre de ce singulier migrateur qui est la bécasse.

Aux narrations souvent poétiques d’émotions reçues dans la mélancolie du mois de la tristesse et dans la solitude des bois qui se dépouillent, s’ajoute le désir de percer le mystère dont s’entoure cette « manne céleste » de l’hiver apportant avec elle la perspective des joies d’une nouvelle ouverture de chasse : octobre, en effet, sur la plaine, transforme vite en déceptions les espérances qu’avait fait naître et réaliser septembre.

Le gibier est plus rare et plus farouche — la perdrix ne tient plus à l’arrêt du chien, et le lièvre apeuré est remonté vers les asiles plus sûrs des taillis et des bois. Après une courte pause au lendemain des intenses travaux de la moisson, les semailles ont repeuplé la campagne de l’essaim laborieux des cultivateurs, les couverts disparaissent, et tout concourt à contrarier les plans cynégétiques et à favoriser l’inévitable bredouille. Mais voici novembre avec ses premiers frimas, son ciel pesant, ses brouillards plus denses et ses gelées blanches qui désagrègent plus promptement le feuillage que la violence de la tempête ; la jonchée des feuilles mortes feutre le pas du chasseur, fournit à son nouvel hôte, grâce à son mimétisme, la protection contre la curiosité rapace des oiseaux de proie et assure son ravitaillement par la montée des vermisseaux.

La bécasse est une bohémienne dont il est assez malaisé d’établir l’identité exacte ; mais qu’importe ! c’est une lacune heureuse qui permet à chacun de développer sa thèse avec abondance d’anecdotes suivant l’expérience de ses observations ou les hypothèses de son imagination. Quelles sont les mœurs et les origines véritables de cette visiteuse, quelles sont les habitudes certaines de cette hivernante : autant de problèmes restés sans solutions absolues, autant de questions pendantes qui défraient agréablement la chronique et alimentent souvent des polémiques passionnées.

Je crois, pour ma part, qu’il est assez difficile d’avancer des certitudes sur le plus fantaisiste des oiseaux migrateurs, comme il est amusant de parcourir les différentes recettes pour l’efficacité du tir d’un oiseau au vol particulièrement varié et capricieux : et tous ceux qui auront beaucoup traqué ce gibier de choix seront peut-être de mon avis. La bécasse tombe facilement et se réfugie rarement dans la fuite ; son vol dépend entièrement des circonstances dans lesquelles elle se trouve et du milieu d’où elle est obligée de s’enlever ; il faut ajouter aussi, du fait d’un instinct de conservation très développé, le tour qu’elle compte jouer au chasseur et à son chien, car la bécasse n’est pas une sotte, et c’est plutôt mal la connaître de faire de son nom le synonyme d’imbécillité. En prenant pour son auto-défense un pourcentage assez élevé des acrobaties que les grands voiliers, dont elle fait partie, peuvent se permettre grâce à l’appui complaisant de l’air et le déploiement de leurs surfaces portantes, la bécasse se dégage comme elle peut du contact trop serré de son ennemi : d’un taillis trop dru, elle part en chandelle pour planer ensuite ; du bord ensoleillé d’une clairière, aux jours de froidure, elle file en vol horizontal soutenu ou en montée régulière, quitte à faire un brusque crochet pour utiliser le masque d’une futaie ; levée par un camarade de chasse, elle passera au-dessus de vous et du faîte des bois avec la majesté d’un ramier, quitte à piquer subitement à la verticale au beau milieu d’un layon ou au centre d’une éclaircie ; en plaine, elle offre une cible idéale quand la surprise de son départ, la fringale de la posséder trop vite et la crainte de ne pouvoir la remiser comme au taillis vous ont fait perdre votre sang-froid et le contrôle de vos réflexes.

Tous les tirs que vous présente la dame au long bec, vous les avez pratiqués sur d’autres gibiers, et j’ajouterai pour conclure que toute la science dans l’art de chasser la bécasse, que toute garantie d’agrément et de réussite dans ce sport divin résident dans la possession d’un bon vieux chien, à robe claire, à la quête prudente et serrée, à l’arrêt ferme et patient, qui, peu à peu, saura déployer tous les artifices de ses ruses contre sa pire ennemie, car le chien vraiment bécassier, qui adore la chasse à la bécasse et s’y adonne avec passion, souvent au détriment des autres chasses, semble le faire par une haine instinctive inexplicable : tuée, il la rapporte à son maître par devoir, se roule souvent dessus par dégoût et se refuse toujours obstinément à accepter de celui qui l’a descendue la juste part qui lui revient de droit sur tout gibier.

ROBIN DES BOIS.

Le Chasseur Français N°622 Octobre 1948 Page 199