Moyens de défense.
— Nous avons vu précédemment (l) à quel adversaire
nous nous adressons et les difficultés que nous rencontrerons en campagne. Nous
allons passer en revue les moyens de défense en indiquant les points faibles.
J’ai parlé de moyens partiels, ce qui sous-entend qu’il peut
y avoir des moyens de destruction totale. Je ne connais personnellement qu’un
moyen radical, malheureusement rarement applicable, c’est l’emploi des gaz
quand on a pu découvrir le trou qui mène au nid ou au repaire. Parmi les gaz
employés, un domine pour sa facilité d’emploi, c’est le cyanogas. On se
contente d’une cuillerée à dessert de poudre de cyanogas déposée dans l’entrée
du terrier et on obture avec un vieux sac. Toute la nichée est occise sur
place.
L’anhydride sulfureux demande un matériel spécial, la
chloropicrine demande une foule d’autorisations et démarches ; seul, à mon
avis, le cyanogas domine de très loin les autres gaz ; mais cette façon de
faire n’est malheureusement que rarement utilisable en campagne.
Nous en arrivons donc aux moyens de destruction partiels.
Après les gaz vient le poison, mais là, nouvelle
difficulté ! On ne fait pas avaler directement le poison aux rongeurs, il
faut passer par l’intermédiaire d’un appât. Or faire avaler un appât à des animaux
gavés pose un problème qui dépasse largement celui de la toxicité du poison. Si
les toxiques sont nombreux, les procédés pour les faire absorber sont beaucoup
plus limités et soumis à des conditions excessivement variables selon les lieux
d’emploi, et ce qui est valable pour le poison l’est également pour le virus.
Ces deux modes de défense, par contre, seront utiles là où les rats n’auront
que des ressources alimentaires réduites. Quant à l’utilité des chats,
elle est assez restreinte avec des rongeurs de cette taille et de cette
force ; on peut estimer à 4 ou 5 p. 100 le nombre de chats qui
n’hésitent pas à les attaquer de front ; le petit fox ratier leur
est infiniment supérieur, et les rats évacuent rapidement la zone où ils
s’estiment peu en sécurité du fait de sa présence.
L’emploi de la carabine 9 millimètres à petits
plombs rendra quelques services dans les greniers, écuries et autres lieux où
ces animaux pullulent ; on peut même opérer de nuit à l’aide d’une forte
lampe électrique. On constate après trois ou quatre séances que les rats ont
vidé les lieux, mais ce n’est là que du temporaire, et nous en arrivons à
l’emploi des pièges, qui offrent des possibilités intéressantes. Parmi
les pièges réservés aux surmulots, nous distinguerons plusieurs classes
dont : la nasse, la boîte, le piège-assommoir à appât, le piège à palette
(tapette ou autre piège de petites dimensions), l’assommoir.
La nasse.
— En admettant qu’elle soit bien construite (fils
solides impossibles à écarter, bascule bien équilibrée), son rendement est des
plus variables, nul le plus souvent quand elle est neuve. La meilleure façon de
l’employer est de l’appâter d’une couenne de lard grillée, d’un épi de maïs ou
de graines de citrouille et de la placer dans l’angle le plus sombre (et
souvent le mieux fréquenté des rongeurs), en laissant l’entrée d’accès facile.
On la recouvre d’un vieux sac et on l’entoure de caisses ou autres objets
(sacs, tonneaux, etc.). Si, au moment des portées, un jeune a la bonne idée de
rentrer dedans, les autres suivront et parfois la mère avec. Mais on peut
rester des mois sans succès.
La boîte ou ratière.
— Ce sont des ratières à portes tombantes, actionnées
par le rongeur qui passe sur une palette ou qui tire sur un appât. Les
premières sont préférables, car elles éveillent moins la méfiance des animaux.
Il est une particularité à connaître, c’est que les rats ont l’habitude de
longer les murs, c’est donc parallèlement et à la base de ceux-ci qu’on tendra
ces ratières. Leur entrée sera précédée de planches formant goulet, comme pour
les nasses de pêche.
Piège-assommoir à appât.
— La forme de ces pièges varie du modèle tapette aux
différents systèmes dont la masse qui assomme est constituée par un fil de fer
ou un grillage mû par un ressort puissant qui se déclenche au moment où le rat
opère une traction sur un appât fixé à une tige porte-appât. Ces pièges offrent
l’inconvénient de tous les procédés nécessitant l’emploi d’un appât,
c’est-à-dire demandant à être employé où la nourriture est rare, ou bien en
offrant un appât qui tente réellement les surmulots plus que leur nourriture
habituelle.
Tapettes à palette et assommoirs sans appât.
— Ces deux pièges sont uniquement destinés à capturer
les surmulots quand ils passent sur une palette. Leur poids déclenche soit le
ressort qui doit les assommer, soit la masse tombante qui doit les écraser.
Indiscutablement, le modèle tapette est d’emploi beaucoup plus pratique :
moins encombrant, facilement transportable, aisé à placer et d’une sensibilité
facile à régler. Il est bon de les noircir à la suie ou aux cendres quand ils
sont neufs. L’assommoir rustique offre des dimensions importantes (0m,80 x 0m,50)
qui ne permettent pas de le placer en tous lieux, mais éveille peu la méfiance
des rats. Comme je l’ai signalé plus haut, c’est le long des murs et dans les
angles qu’on a le plus de chances de capturer les rats longeant la base des
murs et grimpant ou descendant aux angles. On placera donc les pièges
perpendiculairement aux murs, la palette près du mur, et on pourra guider les
rats vers les pièges par une planche posée en long et obliquement à la base du
mur, en ménageant ainsi un couloir couvert. Ce dispositif est particulièrement
intéressant dans les greniers ou granges offrant de nombreux trous à la base
des murs. Avec un piège tendu à chaque extrémité on commande ainsi plusieurs
trous de rats. Les tapettes peuvent également se tendre sur une poutre, une
rampe ou une planche inclinée, et même sur un fil de fer.
Piège à palette de petites dimensions.
— Il est certain cas où la taille des rats à capturer
est telle qu’elle justifie l’emploi de pièges à palette de 10 centimètres
de diamètre (le modèle anglais Lane est tout indiqué). Ces pièges sont tendus
alors à un passage connu comme régulièrement fréquenté (trou de mur, passage
sous une porte d’écurie, sous une clôture, etc.).
Remarques générales.
— a. Dans les parquets comme dans les sentiers
d’agrainage, un problème vient doubler la difficulté : il s’agit de
capturer les rats sans risquer de capturer le gibier. J’emploie un procédé qui
m’a toujours donné entière satisfaction, celui du double enclos. Ce procédé est
particulièrement indiqué quand un de ces rongeurs a effectué des dégâts sur les
couvées. On prend alors une couveuse et ses poussins qu’on place dans une
caisse à trois côtés, le quatrième côté est muni d’un grillage à petites
mailles (1 cm.). On entoure la caisse par un deuxième enclos à 20 centimètres
du premier, constitué par un grillage à mailles de 4 centimètres au moins
(5 au plus) monté sur quatre piquets et on couvre le tout d’un toit fait d’une
planche unique ou de planches bien jointives. On tend alors deux ou trois
pièges dans le couloir entre les deux enclos. Les rats passant aisément à
travers le premier grillage et cherchant à pénétrer dans le second viennent se
faire prendre dans les pièges placés dans le couloir. Bien entendu, ce
dispositif est monté là où ont eu lieu les premiers dégâts ou, ce qui est
mieux, préventivement. Ce même dispositif peut servir dans les parquets
d’élevage et layons d’agrainage où les rats ont pris l’habitude de venir manger
dans les auges des oiseaux d’élevage. On constitue les deux enclos et on place
la pâtée et les grains au centre comme appâts dès que les oiseaux ont fini leur
repas. Dès la tombée de la nuit, les rats en quête de nourriture viennent se
faire prendre dans les pièges qui les attendent, et ceci sans danger pour le
jeune gibier.
b. Dans tout ce qui concerne le piégeage des
rongeurs, il importe de changer fréquemment les pièges de place, car ces
animaux ont la mémoire des lieux, et un piège éventé ne fera jamais de capture.
c. Il est indispensable de réviser au moins trois
fois par jour les pièges tendus, une fois dès le matin, une autre à midi et une
à la tombée de la nuit. Ceci pour que les victimes n’effraient pas ceux qui
vivent avec elles. Personnellement, c’est vers 10 heures du soir que je
vérifie mes pièges, de préférence à la tombée de la nuit.
Mais, pour les pièges comme pour le poison et les boîtes,
dès que les rats ont eu connaissance de la capture de leurs semblables, ils
évacuent les lieux ou deviennent excessivement méfiants.
On les prend assez bien également au collet fait d’un
fil téléphonique à un seul brin, et, durant la guerre de 1914-1918, les
surmulots des tranchées étaient surtout détruits par ce moyen peu praticable,
je le reconnais, dans un élevage.
d. Le piégeage de vieux et gros rats demande autant
de précautions que celui des petits carnassiers. Il faut avant tout éviter de
modifier le décor et de toucher le piège avec les doigts nus ou non frottés
d’herbes odorantes. De même on fera bien de laver à grande eau et de brosser
les pièges ayant fait une capture qui aura saigné sur le piège.
Toutes ces indications générales aideront les lecteurs dans
cette lutte sans merci qu’ils auront à engager avec ces rongeurs.
A. CHAIGNEAU.
(1) Voir le no 620 du Chasseur Français.
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