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Jeux olympiques

anciens et modernes

Les « Jeux » de l’antiquité furent célébrés sans interruption depuis l’année 776 avant J.-C. jusqu’à l’an 394 de notre ère. Ils avaient lieu tous les quatre ans, et cet espace de quatre années constitue une olympiade. Ils se situaient à la pleine lune qui suit le solstice d’été. Toutes les hostilités entre nations helléniques devaient être suspendues — heureux temps ! — pendant le mois où avait lieu la célébration des jeux.

Ils duraient trois jours, débutant par le serment de l’athlète prononcé sur l’autel de Zeus. Le premier jour avaient lieu les courses : vitesse (sur une longueur de piste) ; course double (cette longueur aller et retour) ; enfin la « course lente », dite aujourd’hui « de fond », qui comportait 12 tours de piste, soit environ 14.500 mètres. Suivaient la lutte à mains plates ; puis le ceste, sorte de boxe où les poings étaient garnis de lanières de cuir renforcées de clous et de lamelles de plomb, où, comme dans la guerre moderne, le vainqueur se relevait presque aussi meurtri que le vaincu ; enfin le pancrace, sorte de lutte libre relevant à la fois du catch et du combat de rues, réservé à la catégorie « poids lourds », dont le vainqueur était le héros des jeux.

Le deuxième jour se passait à l’hippodrome. Courses de chars très légers attelés de quatre chevaux, deux de timon et deux de volée, donnant lieu à de sérieux accrochages. Suivaient les courses de chevaux, où, comme aujourd’hui, le propriétaire, riche citoyen, touchait un prix. Mais le cheval vainqueur, lui aussi, était comblé d’honneurs.

La troisième journée était celle du pentathlon, concours de l’athlète complet, comportant cinq épreuves : saut, disque, javelot, course, lutte.

Les vainqueurs, purs amateurs, recevaient une couronne d’olivier, une branche de palmier et l’honneur de la proclamation de leurs noms. Mais, comme c’était à prévoir, on finit par leur ériger des statues, et leur titre de gloire s’étendit à leur famille et à leur ville natale ... ce qui leur accordait des privilèges importants.

Après la victoire des Romains, ceux-ci transformèrent les jeux en combats de gladiateurs armés de glaives et de fourches, où le public, suprême arbitre, décidait si le vaincu — selon qu’il s’était battu avec courage et habileté, ou non — devait être achevé ou laissé vivant et mutilé. Différence normale entre la civilisation grecque et la cruauté de Néron. Signe de décadence.

Créés dans le goût du beau, de l’effort de l’homme seul et nu devant le temps, la pesanteur et la distance, dans une ambiance de paix et de rapprochement des peuples, les jeux étaient devenus sources de querelles et de tripotages. De l’Olympe divin, en passant par le cirque, les jeux étaient descendus dans la rue. Le public s’en dégoûta. L’empereur Théodose 1er les supprima en l’an 394.

L’histoire se renouvelle. On.est tenté de croire que nos jeux modernes soient, pour les mêmes raisons, appelés au même destin ! L’idéal de fraternité sportive sur lequel, en 1896, le baron de Couberbin les avait restaurés ne se traduit plus dans les faits. Cette année-là, les huit nations qui se rencontrèrent à Athènes applaudirent sans arrière-pensée la victoire marathonienne du berger grec Louys, sans autre sentiment que l’admiration devant l’effort désintéressé d’un pur amateur.

Mais, dès 1908, à Londres, le chauvinisme reprenait ses droits. On « oublia » de hisser parmi les autres les drapeaux des U. S. A. et de la Suède, et les Finlandais durent courir sous les couleurs russes, tandis que les Irlandais enrageaient en constatant que les points qu’ils gagnaient étaient comptés à l’Angleterre. Et le marathon donna lieu à un incident grotesque, les Italiens ayant porté jusqu’au poteau d’arrivée à la fois leur champion Durando, qui s’était effondré 200 mètres avant l’arrivée, et leur drapeau national, et s’étant montrés mécontents de sa disqualification pourtant logique.

Paris (1924) et Amsterdam (1928) se passèrent fort correctement.

Mais Berlin, en 1936, où j’accompagnai l’équipe française, fut franchement déplaisant. Malgré la qualité remarquable des performances, le souci de faire une grande manifestation hitlérienne préoccupa davantage les organisateurs que le sport. Hitler, qui présidait en personne, flanqué d’une fanfare nazie assez ridicule, recevait lui-même les vainqueurs à la tribune d’honneur, avec la solennité d’un empereur romain. C’eût été très beau ... si le grand triomphateur de trois des plus importantes épreuves n’avait été le nègre Jess Owens, étudiant de l’Université d’Ohio, si bien que, par trois fois, le Führer quitta précipitamment le stade pour n’avoir pas à lui serrer la main !

Le sport, comme le reste, à partir d’un certain rang, n’est plus soustrait à la politique. S’il en est ainsi, les jeux ne survivront pas longtemps.

Cette fois-ci encore, malgré un effort loyal et leur fair play légendaire, nos amis anglais ont rencontré de grosses difficultés. Plusieurs mois avant les jeux, différents pays se contestaient réciproquement la pureté de l’hermine de leurs athlètes. Et l’Angleterre, au fond, n’était pas enthousiasmée d’organiser les jeux, qu’elle n’a conservés que par respect des engagements pris depuis longtemps déjà. Car, si elle avait plaisir à voir rentrer chez elle les devises étrangères qu’apportent les quelque 300.000 visiteurs attirés par les jeux, elle n’envisageait pas sans appréhension leur logement et leur nourriture dans sa capitale mutilée de ses immeubles et soumise à de sévères restrictions alimentaires. La presse anglaise, trois mois avant les jeux, ne se gênait pas pour dire qu’ils ne suffisent pas à démontrer la supériorité d’une nation sur l’autre et déplorait le caractère exagérément chauvin des épreuves. « Le garde-manger est vide, disait-elle, mais nous allons donner cette réception grandiose avec l’effronterie tranquille de parents pauvres qui invitent chez eux des cousins fortunés. »

La supériorité écrasante des Américains chagrine aussi l’amour-propre des Européens épuisés par la guerre. Enfin, certaines nations s’abstinrent pour des raisons politiques qui, quelles que soient leurs raisons sur le plan diplomatique, ne devraient pas être prises en considération sur le plan de sport pur, pas plus que sur celui de l’art ou de la musique.

Malgré toutes ces difficultés, nos voisins d’outre-Manche s’en sont tirés tout à leur honneur. Certaines épreuves ont été remarquables. L’athlétisme (excepté la natation) français a fait la preuve des progrès réalisés chez nous sur le plan technique. Et ceux qui firent le déplacement de Londres ne furent pas déçus, d’autant plus que notre amour-propre national fut dans l’ensemble satisfait, par comparaison avec 1924 ou 1936.

Mais prenons garde ! Sur le stade comme ailleurs, efforçons-nous de retrouver la mentalité « sport » et la véritable ambiance du temps de paix. Et entendons-nous une bonne fois pour toutes sur la définition de l’amateur, ou alors qu’il soit convenu qu’entre un faux amateur et un professionnel patenté il n’y a pas de barrière à dresser lorsqu’il s’agit d’une sorte de championnat du monde. Que l’on comprenne aussi que, si un nègre naturalisé Américain, ou un métis naturalisé sous n’importe quel drapeau, bat un record du monde, il n’en est pas moins un bel athlète, et que la nation dont il porte les couleurs n’a pas plus de raisons d’en faire un triomphe national que ses adversaires de minimiser son mérite.

Jugeons l’athlète sur la qualité de sa performance et de sa technique, plutôt que sur la couleur de son maillot. Et laissons la politique aux politiciens, dont la place n’est pas sur le stade. Sinon, les jeux modernes, comme ce fut le cas pour ceux de l’antiquité, auraient vite du plomb dans l’aile.

Dr Robert JEUDON.

Le Chasseur Français N°622 Octobre 1948 Page 214