Notre causerie précédente (1) nous a découvert notre
complexe nature et notre rôle sur terre ; il nous reste à tracer le
principe général de notre conduite, la parabole de notre vie.
Notre nature physique peut être envisagée sous deux
aspects : l’être et l’agent, d’où le désir d’affermir notre statique et
d’intensifier notre dynamique par une culture de maintien et une gymnastique
d’élan dont la solidarité ne doit pas nous échapper.
À l’âge de la vie en palier, la constitution de l’être est
achevée ; nos soins porteront dès lors, en matière de statique, sur une
« défense passive ». Nous ferons de la gymnastique corrective ou de
maintien pour rectifier et assouplir la colonne vertébrale, la cage thoracique,
la sangle abdominale et cette cuvette, à la fois support et pivot : le
bassin. Nous ferons de notre tronc, maintenu en bonne forme, un bloc d’appui à
la fois ferme et souple et un puissant régénérateur par ses grandes fonctions.
L’action de la gymnastique sur la respiration n’est plus à
reprendre ; insistons seulement sur deux points : que les exercices
respiratoires ne soient pas faits à vide, mais par besoin, et qu’ils soient
sans violence ni raideur, à cause de leur retentissement sur le cœur et le système
nerveux. Inutile de les accompagner de grands mouvements : ouvrir par
torsion sur eux-mêmes les bras tombant naturellement, les pouces allant vers
l’extérieur ; accentuer le rejet des épaules en arrière, et voilà pour une
bonne inspiration. On pratiquera assez souvent une profonde respiration
abdominale qui opérera un massage plus actif des viscères et une plus entière
ventilation de la cage thoracique.
Les Hindous accordent encore à la respiration la vertu de la
création d’une force mystérieuse, le mana, qui pénétrerait le corps à la
volonté de l’homme exercé. Nous n’irons pas si loin, mais nous accorderons à
l’acte respiratoire conscient une valeur symbolique :
« j’aspire » signifie « je m’ouvre » et « j’accueille
des forces vitales » ; « j’expire » ne sera pas « je
meurs », mais une forme affaiblie, « je m’endors », « je me
décontracte, » ou, mieux encore : « j’agis sur le monde comme
Éole », « j’insuffle une âme ».
Il y a certes un lien entre l’acte respiratoire et le
« fluide » nerveux. Qu’on nous permette de reprendre ce vieux mot
dont la science peut rire, mais qui fait bien image. Nous devons produire du
fluide et en régler l’économie ; or il est un fait certain : jamais
l’immobilité ne produira ce subtil principe d’une vitalité exubérante et
entraînante. Agissons donc par jeu pour être en mesure d’agir par nécessité.
Nous introduirons ensuite une discipline dans notre
activité ; l’action exige une tension musculaire, vasculaire, respiratoire
et nerveuse qui, en vertu du principe d’inertie, tend à s’accroître outre
mesure ou à subsister inutilement au point de devenir gênante comme la vapeur
de la machine avant l’invention du tiroir. Ainsi le cycliste se crispe sur son
guidon ou appuie encore sur la pédale remontante. Il semble que nous craignions
le relâchement et la reprise, qui font pourtant, dans la machine, la souplesse
de la vapeur ; ayons comme elle notre régulateur d’admission et notre
système de détente.
En fin de course des mouvements, nous ferons de la
décontraction ; par exemple, assis sur les talons, genoux ouverts, nous
ferons caoutchouc, comme si notre siège était à ressorts doux, et ceci
absorbera au profit de l’articulation des genoux et du massage musculaire
l’excès de l’énergie mobilisée : bonne préparation à la détente inverse,
celle du félin, dont nous admirons l’agilité et la puissance, la détente
propulsive.
On s’entraînera à cette dernière en procédant comme par
mouvements de flux et reflux avec retour au point de départ ou à la dernière
station ; ainsi dans les flexions avant, arrière ou latérales, dans le
geste qui vise à toucher du bout des doigts un objet haut placé.
Or cet entraînement qui prend appui sur le sujet lui-même
nécessite déjà une formation préalable. Qui veut se refaire ou s’entretenir
doit partir des appuis extérieurs. Le travailleur, dès que lui vient la
fatigue, y recourt instinctivement. La base naturelle d’appui, c’est le sol,
sur lequel l’homme s’assure et reprend vigueur comme le géant Antée. Nous
voudrions cependant le compléter par un appareil très simple placé dans
l’embrasure de la porte de la chambre à coucher et qui nous inviterait à ne pas
passer sans accomplir au moins quelques mouvements. Ce serait une barre fixe
avec deux montants tubulaires dressés contre les deux ébrasements de la
porte ; ils seraient munis d’une poignée à 45 centimètres du sol et de
plusieurs douilles permettant de poser la barre fixe à hauteur variable par une
manœuvre des plus simples. À mi-hauteur, une petite plaque, mobile autour d’un
pivot, porterait une griffe à ressort pouvant recevoir une simple canne, qui
permettrait de faire, en fente avant, l’excellent mouvement d’une manivelle à
rayon variable.
À défaut de cet appareil, deux barres fixes d’appartement
avec deux anneaux à cordes ajustantes rendraient de précieux services. Mais le
manque d’appareils ne saurait autoriser l’inaction ; nous utiliserons les
appuis les plus divers : le sol, une ou deux chaises, une marche
d’escalier, le mur, le chanfrein d’une porte, etc.
Par ces quelques principes très simples et par des
applications faciles dont nous donnerons un aperçu dans un prochain article,
puisse chacun dire par paraphrase : « J’agis, donc je
suis ! » N’hésitons plus : livrons-nous à ces salutaires
mouvements de pure joie démonstrative, aspirons, soufflons et chantons, et nous
existerons.
A. BÉRAT.
(1) Voir Chasseur Français, no 621.
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