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Causerie vétérinaire

Pontes anormales des poules

« En ouvrant une poule de deux ans qui me paraissait malade, nous écrit une lectrice, j’ai trouvé près de l’anus une boule de la grosseur d’un œuf, de couleur jaunâtre et très dure ; puis, chez une autre poule de trois ans, une grosseur dure comme la précédente, mais accompagnée d’autres plus petites et d’une dureté extrême, je n’ai jamais vu un semblable phénomène », etc. ...

Comme ces anomalies de ponte sont assez fréquemment observées, j’ai cru devoir y consacrer la présente causerie. Mais, pour bien comprendre le fonctionnement normal des organes qui ont pour but la production des œufs, il convient d’en bien connaître la disposition et la structure anatomique.

L’appareil générateur de la poule se compose essentiellement de l’ovaire et de l’oviducte. L’ovaire se trouve situé dans la région du dos, sous la colonne vertébrale. Il est constitué par une masse charnue, jaune brun, présentant un aspect granuleux comme une grappe composée d’une infinité de petits grains ou d’ovules. C’est à cette réunion d’ovules que l’on a donné le nom de grappe ovarienne. Ces ovules sont de dimensions et de nuances différentes suivant leur degré de maturité. Les très petits, qui ne sont pas encore en voie de développement, sont d’un blanc gris ; ils se teintent d’une nuance jaune de plus en plus accentuée à mesure qu’ils arrivent à maturité. À ce moment, ils s’entourent d’une membrane striée d’une foule de petits vaisseaux. Cette membrane, qui se fend au moment de la maturité complète et laisse échapper les ovules, reçoit le nom de calice.

Oviducte.

— En se détachant de la grappe ovarienne, l’œuf n’est encore composé que du jaune. Il reste à former le blanc, puis à entourer le tout de la coquille. Ce double travail organique est la tâche de l’oviducte. Il se divise en trois régions principales : la trompe, le tube albuminipare et la chambre coquillière. La trompe n’est pas en continuité directe avec l’ovaire, mais elle se dilate à son extrémité libre en un pavillon non frangé, qui recueille l’ovule au moment de la déhiscence du calice. Le tube albuminipare sécrète l’albumine (blanc de l’œuf ou albumen), qui se dépose par couches successives autour du vitellus ou jaune. Enfin l’œuf ainsi formé est englobé par une coquille calcaire. C’est alors qu’a lieu la ponte. L’œuf a traversé l’oviducte, qui n’a que 0m,08 à 0m,10 de longueur, en douze à quinze heures. Tel est le fonctionnement de l’oviducte dans les conditions normales ; mais, ainsi que nous le verrons plus loin, chacune de ses trois régions peut faillir à sa tâche. C’est alors qu’apparaîtront les pontes anormales qui font l’objet de cette causerie.

Œuf hardé.

— On nomme ainsi un œuf qui est pondu sans coquille. Il ne lui manque rien, en apparence du moins, que l’enveloppe solide et crétacée ; il ressemble à un œuf de tortue et, de ce fait, marquerait la transition entre la classe des Reptiles et celle des Oiseaux.

On attribue l’absence de coquille à ce fait que, dans la recherche qu’elles font ici et là, dans leurs courses vagabondes, les poules ne trouveraient pas à avaler en suffisance de petits cailloux, de petites pierres, à ingérer certaines substances terreuses desquelles les organes sauraient extraire les matériaux propres à la formation de la coquille, composée pour la plus grande partie de carbonate de chaux, de carbonate de magnésie, d’un peu de phosphate de chaux et d’oxyde de fer, liés entre eux par une matière animale. Connu dans sa cause, l’inconvénient peut être prévenu en mettant à la portée des poules sédentaires pierres et cailloux de petites dimensions, plâtras criblés de démolitions, voire coquilles d’œufs brisées ou d’huîtres écrasées. Ajoutons que l’accident de l’œuf hardé se produit surtout chez les poules tenues en parquet et auxquelles on ne fournit pas les matières propres à constituer la coquille que leur instinct leur fait découvrir quand elles sont en liberté.

Œufs anormaux.

— Il arrive parfois que les poules pondent des œufs « doubles ». L’œuf, d’un diamètre considérable, contient deux jaunes ; deux ovules, étant arrivés ensemble à maturité, se sont détachés en même temps et sont parvenus ainsi dans la chambre coquillière, qui les a enduits tous deux à la fois de son test protecteur. Le fait suivant est beaucoup plus rarement constaté. Le Bulletin de la Société Biologica (1912) rapporte qu’un œuf de grosseur considérable, mesurant 205 millimètres de circonférence et dont le petit diamètre atteignait 65 millimètres, ne put être pondu par une poule, que l’on dut sacrifier. Par une brèche pratiquée dans cet œuf géant, on fit sortir un blanc et un jaune, puis l’on s’aperçut avec stupéfaction qu’il contenait, en plus, un deuxième œuf normal entouré d’une coquille bien formée. Cet œuf inclus mesurait 50 millimètres suivant son grand diamètre et 43 suivant le petit. Un fait analogue a été rapporté, en 1911, par le biologiste américain Paterson, dans l’American Naturalist.

Quelle peut être la genèse d’un phénomène aussi bizarre ? Il paraît pourtant moins mystérieux si l’on se rappelle que le « blanc » et la coquille ne sont que des enveloppes formées secondairement autour du jaune (le véritable « œuf »), pendant sa descente dans l’oviducte. Pour s’expliquer l’emboîtement des œufs, il faut supposer qu’un petit œuf, terminé et prêt à être pondu, a fait « machine en arrière », sous l’action d’un mouvement antipéristaltique de l’oviducte, et qu’il est remonté à la rencontre d’un autre œuf en formation, auquel il est venu s’incorporer. Tous deux ont alors descendu de long de l’oviducte en se faisant recouvrir d’une enveloppe, d’une coquille commune.

La rétention anormale d’un œuf dans l’oviducte apporte un obstacle mécanique au cheminement des œufs qui devaient suivre, et l’oviducte peut se trouver bourré, distendu, rendu absolument inerte. Ce cas entraînant fatalement la mort de la poule, on trouve, à l’autopsie, l’oviducte distendu par une masse jaunâtre, comme cuite, formée de couches concentriques superposées, résultant de l’élimination imparfaite des jaunes qui viennent s’accumuler les uns sur les autres. La masse en question peut être du volume d’un œuf, du poing, ou même des deux poings, ressemblant à l’extérieur à une véritable tumeur. Tel était le cas signalé dans sa lettre par Mme C ..., dont il a été question au début de cette causerie. D’ailleurs une simple incision de cette masse donne tout de suite une certitude sur son origine et sa nature.

Ponte intra-abdominale.

— La ponte intra-abdominale est la chute dans la cavité de l’abdomen, ou bien de l’ovule ou jaune entouré de l’albumen ou blanc, ou bien de l’ovule seul. Ce dernier accident est très grave et presque toujours mortel. À l’ouverture de la cavité abdominale, on constate que les intestins sont recouverts et comme noyés dans un liquide jaunâtre. Le péritoine et les séreuses présentent une inflammation violente.

Il semble que le régime alimentaire intensif, bien réglé pour la ponte, mais prodigué avec excès, puisse être le point de départ de semblables accidents, lesquels se révèlent moins fréquents sur les pondeuses soumises à un régime ordinaire.

Signalons enfin qu’à maintes reprises on a trouvé dans les œufs de poule des parasites animaux, des vers appartenant à diverses espèces dont l’habitat normal est l’intestin. Il n’est pas douteux que ces vers, en voie d’expulsion, s’étaient arrêtés dans le cloaque et avaient ensuite remonté l’oviducte, où ils avaient été englobés dans l’œuf lors de la formation de l’albumen et de la coquille.

MOREL,

Médecin vétérinaire.

Le Chasseur Français N°622 Octobre 1948 Page 228