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La microphotographie

au service de l'art

Tandis que les savants sont à l’affût de l’infiniment petit, de l’insécable et que, penchés sur les ultra-microscopes, ils scrutent les mystères de l’atome, il existe aussi une autre catégorie de chercheurs — ceux-là strictement curieux et passionnés de toutes les formes de la beauté — qui ont déjà, par la photographie de l’infiniment petit, ouvert la voie à des horizons absolument nouveaux dans le domaine de l’art. Tel est l’objet de la microphotographie, qui puise aux sources les plus inattendues : fragment de graine végétale, grain de pollen, mine aussi inépuisable que variée de tous les produits chimiques cristallisés, qui tous révèlent des motifs d’originalité indéniable, tant dans le domaine des formes que dans celui des couleurs ; « matériel donc inépuisable, dont la microphotographie a déjà tiré de si brillants effets qui ne cessent de rénover l’élément artistique.

Fini la feuille héroïque de laurier, fini le lis hiératique, fini l’acanthe, consacrée aux frontons des temples !

Songeons, en effet, qu’un simple cristal de caféine donnera à la microphoto une mosaïque de couleurs où se fondent toutes les gammes des roses et des gris. Le platino-cyanure de baryum donnera sur un fond noir un fourmillement de pépites d’or, tandis que certains sels de quinine évoqueront des semis de fleurs roses sur fond grenat. Dans le domaine des produits organiques, nous touchons encore à plus grande délicatesse, tant dans la nuance que dans la forme : ici, ce n’est plus qu’irisation, chatoiement de couleurs un peu analogue à celui qu’offre la poussière colorée des ailes de papillon. Ainsi la brucine, glucoside de la noix vomique, à la structure chimique qui ne pardonne pas, offre, en revanche, une structure chromophysique des plus tendres : imaginez les arabesques vieil or avec des infinités de rayons très fins du grenat le plus chaud. Dans le domaine animal, vous citerai-je la corne de rhinocéros, celle du sabot de cheval, la diatomée (algue microscopique) et tout simplement le bois, le vulgaire bois, qui, tous, donnent à l’œil l’illusion de véritables dentelles, de précieux fuseaux de diamants, et que sais-je encore ? ...

Mais comment procède la microphoto, art nouveau qui nous plonge dans le monde féerique de motifs et de nuances ?

Toute matière, choisie au hasard du caprice, devant être soumise à un examen microscopique, doit présenter, évidemment, un minimum d’épaisseur, de façon à se laisser pénétrer facilement par le faisceau lumineux, en général oscillant du 1/100e au 5/1.000e de millimètre, suivant la nature et la dureté du « produit examiné ». La source lumineuse doit être aussi puissante que pénétrante, étant donné que le système optique qu’elle doit franchir est assez compliqué : microscope, condensateur, nicol polarisateur, coupe, objectif, nicol analyseur, oculaire et châssis photographique.

Rien d’extraordinaire somme toute : la grande difficulté et le succès de l’examen dépendent surtout de la préparation de la « coupe » : mise au point et grossissement obtenus comme à l’habitude, avec un objectif au 1/1.500° ou au 1/2.000e à immersion. Enfin, pour l’enregistrement photographique, nous dirons qu’il suffit de remplacer la glace dépolie par un châssis muni d’une plaque sensible ortho ou autochromatique, suivant qu’on veut obtenir un cliché noir ou en couleurs.

Domaine nouveau et à peine exploré encore de la microphotographie, auquel peut consacrer ses loisirs tout chercheur rompu quelque peu à la pratique du microscope à immersion, mais néanmoins domaine passionnant non seulement dans l’art, mais aussi du point de vue scientifique, puisque la microphotographie nous permet de déceler tous les changements physiologiques ou pathologiques dans les domaines végétal ou animal, d’une part, et toutes les altérations possibles dans le règne minéral, d’autre part. Car les minéraux « vivent » aussi d’une vie peut-être plus mystérieuse, mais indéniable.

Enfin, si l’on quitte le domaine biologique pour le domaine simplement industriel, là encore la microphoto permettra de déterminer telle « faille » ou imperfection dans la structure d’un métal travaillé, car tous ont leur « cliché typique », leur « état civil », absolument spécifique.

P. LAGUZET.

Le Chasseur Français N°622 Octobre 1948 Page 238