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Chasses d'Amérique

Au chien d'arrêt à cheval

L’antithèse de ce titre va sans doute choquer le chasseur au chien d’arrêt classique de France. Il ne voit volontiers que la poursuite du gibier devant soi, ou bien en arpentant rapidement, derrière son pointer, les vastes emblavures des pays plats, ou plutôt en furetant touffe à touffe, motte à motte avec son braque, son griffon ou son spaniel.

À vrai dire, en France, exceptionnels ont été et sont ceux qui montent à cheval pour ce faire. J’en ai connu quelques-uns : certains passionnés, auxquels l’âge et les infirmités interdisaient les longues randonnées pédestres, enfourchaient une jument sage, qui n’était plus qu’un véhicule du haut duquel les perdreaux arrêtés étaient fusillés. D’autres, montés plus sportivement dès le premier envol d’une compagnie, fonçaient au grand galop, suivis de leur chien à grande quête, poursuivant les oiseaux, les relevant trois ou quatre fois, les « forçant » en quelque sorte. Bientôt éparpillées, lassées, les perdrix étaient exterminées une à une, à l’arrêt du setter, par le chasseur qui avait mis pied à terre.

Certes, ce procédé n’est applicable que dans des pays sans haies, sans barbelés ... et puis que dire du chien ainsi entraîné à « bourrer » ? Il lui faut d’exceptionnelles qualités d’obéissance, de confirmation et de compréhension.

Infiniment plus logique est la chasse au chien d’arrêt à cheval pratiquée dans les pays de l’Amérique du Sud et du Nord, tels la Nouvelle-Caroline, la Géorgie, l’Alabama, le Mississipi. Le moindre territoire de chasse y comprend une superficie de 1.000 hectares, allant jusqu’à 10.000 dans des terres pauvres dont la culture a été abandonnée par suite des très mauvais rendements et de la suppression de l’esclavage.

Ce sont de vastes friches, mamelonnées, coupées de lignes d’arbres, anciennes haies de boqueteaux, de fourrés et de marécages ; les herbes y poussent hautes, la plupart d’entre elles portent les graines aimées des colins.

Le colin — dont on compte treize variétés au Mexique seul — constitue, en fait, le gibier commun, le gibier de base : sorte de perdreau rouge, souvent huppé, très vif, piéteur, se branchant pour se cacher, à ponte abondante et précoce. Il vit en compagnie de huit à dix individus, qui se cantonnent strictement sur une hauteur, centre de l’habitat dûment choisi, où il trouve abri et nourriture.

Ses exigences sur ce point sont assez connues pour que des « architectes animaliers » sachent leur créer des lieux de prédilection, qui permettront d’augmenter le cheptel des chasses.

Habituellement, sur leur observatoire surélevé, les colins se rassemblent, couchés en un cercle étroit, queue à queue. En cas d’alerte, ils s’envolent avec un bruit impressionnant, en tous sens, « comme une grenade qui éclate », et chacun rejoint à tire-d’aile branche, fourré, marais ; où il se rase soigneusement. Relever les isolés est très difficile.

La garderie de ces chasses est assurée par d’excellents cavaliers qui repèrent et surveillent les compagnies. Dresseurs de chiens incomparables, là est leur tâche primordiale, car ils ne piègent pas ni ne surveillent les braconniers, très rares et sévèrement punis quand ils sont pris.

Par une bonne rosée matinale, les chasseurs, au nombre maximum de deux, montent à cheval sur de placides coursiers, insensibles aux coups de feu, fusil à la botte. Ils sont suivis soit de deux gardes, soit d’un garde et d’un noir, également à cheval, et d’une voiture attelée généralement d’un ou deux mulets, spécialement aménagée pour le transport des chiens, des munitions, du gibier et des provisions.

Quels sont les chiens utilisés ? des pointers, des setters, voire des animaux de pays, à quête endiablée, travaillant par paires, arrêtant à patron. Tous les trois quarts d’heure, il faut les remplacer, tant leur allure est rapide, et grand l’effort exigé.

Dès l’arrivée sur le territoire d’une compagnie de colins, le garde fait lâcher le premier couple de chiens, qui disparaît dans les hautes herbes : le rôle principal du garde et de son noir adjoint est de suivre le travail des chiens, presque invisibles dans la verdure, et de signaler leur arrêt aux chasseurs. Tous les cavaliers ne marchent qu’au pas, car le bruit de la galopade pourrait alerter les colins, qui ne « tiendraient » pas.

Voilà précisément que les setters sont en arrêt ferme, fouet demi-dressé, à quelque 500 mètres ! Les chasseurs approchent, mettent pied à terre, vont à l’arrêt, toujours guidés par le garde resté en selle ; ils passent devant les chiens ... D’un seul coup, la compagnie, dans un bruit effarant, part en soleil et disparaît ... Deux doublés de plomb no 8 claquent sec, trois ou quatre oiseaux sont tombés : c’est un très bon résultat qui satisfait tout le monde, y compris les deux retrievers « covey dogs ». De la voiture, ils ont sauté au commandement du conducteur et remplissent leur mission avec énergie et joie.

Et la caravane reconstituée repart à la recherche d’une autre compagnie.

Parfois, cependant, quelques chasseurs, aussi ardents que passionnés, vont à la relève des colins réfugiés dans les bois, bien dissimulés, prêts à piéter rapidement. Certains d’entre eux peuvent être blessés : la lutte n’en sera que plus dure. C’est une école de tir rasant à nulle autre pareille.

Les chiens de grande quête sont inaptes à ce travail : l’épagneul breton, le spaniel y donnent entière satisfaction. Ils doivent avoir le « bird sense », c’est-à-dire le sentiment de l’oiseau aussi confirmé que les premiers, d’autant plus qu’ils peuvent être fâcheusement distraits, dans leur difficile recherche, par de petits oiseaux, les « stink birds », ou quelque minuscule tortue, dont les fumets sont, paraît-il, identiques à celui du colin.

Aussi le choix, l’entraînement des chiens de grande quête, de leurs auxiliaires, sont-ils des plus minutieux. Les exportateurs français doivent en tenir compte et ne pas s’étonner parfois de reproches qui leur paraissent monstrueux autant qu’injustes !

Maurice BRULARD.

Le Chasseur Français N°623 Décembre 1948 Page 247