ANIMATION des vendanges a cessé et les champs ne
retentissent plus des cris qui ont marqué cette joyeuse période.
21 septembre. L’automne s’insinue dans la nature malgré les efforts de
l’été de la Saint-Michel. Les journées brûlantes et desséchées sont finies. Le
soleil n’est plus le maître absolu de la nature, et sa force, qui régnait
encore au sein même des nuits, a beaucoup diminué. Les nuits sont fraîches et
mouillent les plantes. Les vignes se colorent, en rouge éclatant les alicantes,
en doré les aramons. Il a plu. La période de chasse entre dans une saison de
plus en plus agréable.
Les perdreaux rouges qui ont échappé aux hécatombes de
l’ouverture partent de plus loin, piètent et se défendent davantage. Mais les
chiens aussi ont pris plus d’entraînement et chassent mieux. La chasse en
plaine est plus attirante que jamais, et le chasseur au chien d’arrêt y profite
des délices de cet incomparable sport.
Certes, il ne saurait être question, dans des régions peu
peuplées, de réaliser de gros tableaux. Mais celui qui aime la chasse pour
elle-même, s’il redoute par-dessus tout la fâcheuse bredouille, rentrera
satisfait avec quatre ou cinq beaux perdreaux rouges, que peuvent accompagner
quelques cailles ou le lièvre qu’un hasard de plus en plus rare veut bien
accorder. Il aura pu suivre le travail de son chien en poursuivant une
compagnie.
Y a-t-il un spectacle plus émouvant que de voir son fidèle
auxiliaire éventer, le nez haut, et, dès l’arrivée de son maître à sa hauteur,
avancer avec précaution en tâtant le terrain de ses pattes avant de les poser,
le corps attiré vers le sol, la tête tendue à l’extrême, le fouet raide et
s’immobilisant soudain dans un arrêt impressionnant ?
Alors vous passez devant votre chien : c’est l’envol,
le coup de fusil, la chute.
Quel chasseur au chien d’arrêt, passionné de la plaine, ne
reconnaîtra pas là les minutes les plus intenses de la chasse ?
Le perdreau rouge, à cette époque, est peut-être moins
tendre qu’à l’ouverture, mais il a acquis un fumet plus riche, une saveur plus
grande.
Il y a alors dans la nature d’autres produits qui s’allient
parfaitement à son parfum. Dans les collines plantées de châtaigniers qui
bordent la plaine languedocienne, l’humidité des premières pluies a fait
jaillir de terre des champignons, principalement ces beaux oronges que leur
couleur a fait baptiser de façon rustique tout simplement « les
rouges ». Si vous avez la chance qu’en même temps on vous apporte de la
montagne plus haute de belles truites, vous pouvez, avec ces seuls produits de la
nature, les truites, les rouges, les perdreaux, composer un succulent menu, une
magnifique symphonie culinaire en rouge.
Maintenant la Toussaint est passée. Certes le chasseur au
chien d’arrêt ne renonce pas à parcourir la plaine malgré les difficultés accrues
et, jusqu’à la fermeture, il poursuivra le perdreau, de plus en plus difficile.
Mais les charmes de la chasse au bois sont dans leur belle
période. Novembre ... C’est l’époque où l’on suit avec le plus de plaisir
les cris d’une petite meute sur la voie d’un lapin roublard et qui veut vivre.
Il y a des lancers fréquents, une poursuite toujours pleine d’imprévus, le
lapin qui apparaît et disparaît avec une vélocité extraordinaire, qui vous
saute dans les jambes alors que les chiens sont loin ou qui franchit le chemin
à cent mètres tandis que la meute bouscule les touffes devant vous.
Maintenant on bat un fourré. Les chiens dispersés quêtent
dans les broussailles où émergent des touffes de chênes.
Soudain un bruit instantanément reconnu, un battement d’ailes
à travers les gaulis : « Fla ! Fla ! Fla ! » Une
bécasse ! Le fusil se lève, toute l’attention du chasseur est tendue vers
ce rideau d’arbres derrière lequel il se passe quelque chose, et l’arme suit
l’oiseau, miraculeusement, au bruit. Des feuilles volent, mais aussi des
plumes, et l’on distingue nettement la chute. La bécasse, la première de la
saison, est là, foudroyée, les ailes ouvertes sur les feuilles mortes, son bec
piqué en terre lui relevant la tête. Vous écartez les chiens pour éviter qu’ils
saccagent ce spectacle et qu’ils déplument l’oiseau.
La bécasse est mise au carnier, les plumes bien lissées.
Elle est arrivée au bois alors que surgissait de
terre un champignon dont le parfum s’allie de façon parfaite au sien, le
tricholome au pied violet, au chapeau gris blanc qu’on peut prendre pour une
pierre et qui glace la main qui le cueille, ce qui lui a fait donner le nom
commun de « gelé ».
Qu’un ami, à ce moment où vous avez la bécasse et les gelés,
vous fasse cadeau d’une friture de vandoises, qu’en Languedoc on appelle sophies,
cette fois, sur le fourneau, on préparera une délicieuse symphonie culinaire en
gris qui condensera en elle toute la saveur puissante de l’automne.
Et ce n’est pas un des moindres charmes de la chasse que de
pouvoir unir de façon aussi parfaite dans un même repas ses propres délices
avec celles de la pêche et de la cueillette.
Jean GUIRAUD.
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