Il n’y a pas bien longtemps, nous avons parlé de
l’esturgeon, gros poisson anadrome qu’on rencontre parfois dans nos fleuves et
quelques-uns de leurs plus grands affluents, et nous avons signalé sa rareté
relative.
Le silure glanis, qui vient après lui par ordre de taille,
est encore moins répandu et confiné dans quelques grandes rivières de l’Est,
notamment la Saône et le Doubs. Ce n’est pas un poisson migrateur, mais, au
contraire, assez sédentaire. Il est plus commun que chez nous en Allemagne,
Autriche, Hongrie, dans certains lacs de Suisse et surtout en Russie. On a vu
des silures de près de 3 mètres de longueur, pesant jusqu’à 500
kilogrammes !
Ce poisson des eaux profondes a la tête grosse et aplatie.
Son museau est large, arrondi, et la mâchoire
inférieure avance sur la supérieure ; elles sont, toutes deux, garnies de
dents pointues et recourbées. L’ouverture de la bouche est très large, les
lèvres épaisses ; il y a deux grands barbillons à la lèvre supérieure,
quatre plus courts sur l’inférieure. Les yeux sont ronds et petits ; le
dos est épais, charnu, le ventre fort gros. La peau, épaisse, est enduite d’un
mucus gluant, comme celle de l’anguille ; on ne voit pas d’écailles
apparentes.
La teinte générale est d’un verdâtre sombre, jaunâtre sur les
flancs, grisâtre sous le ventre. La nageoire caudale est arrondie, les
pectorales armées d’une forte épine.
C’est, dit-on, un poisson peu prolifique, qui met longtemps
à atteindre une grande taille. Néanmoins, les petits silures grandissent assez
vite et atteignent 12 à 15 livres vers leurs quatre ans.
On prétend que le glanis a les allures très lentes et que la
nage lui est pénible. N’en croyons rien. Tout chez lui, au contraire, dénote
une grande vigueur, et l’ampleur de sa longue nageoire ventrale lui permet
d’avancer avec rapidité, en certains cas. Mais ce n’est pas souvent qu’il use
de tous ses moyens, car, s’il vit de proies vivantes, il n’aime pas les
poursuivre longtemps, comme la grosse truite ou la perche adulte.
Il préfère de beaucoup la ruse à la violence. Placé en
embuscade sur la lisière de la végétation aquatique du fond, la tête seule
dépassant, il agite ses barbillons dont les mouvements imitent les vers, les
petites anguilles ou lamproyons. Trompés, les poissons voraces s’approchent, en
quête de pitance ; alors le monstre, jusque-là immobile, s’élance d’un
seul trait et engloutit les imprudents.
Les silures fraient généralement en mai et juin, époque à
laquelle les fleuves nordiques, où ils sont les plus nombreux, se dépouillent
de leur glace. Le frai s’effectue sur les fonds vaseux et toujours la nuit. Les
œufs, gros comme des petits pois, sont peu nombreux comparativement à la taille
du producteur.
De même que le silure a été accusé de nonchalance, certains
auteurs ont prétendu qu’il était fort peu sensible aux blessures et à la
douleur. Le fait est que, pris dans les grands filets ou accroché aux gros
hameçons des cordées de nuit tendues à son intention, il n’oppose pas une
résistance comparable à celle de nos gros poissons d’eau douce ou de mer.
À cause de sa grande taille et de sa force, de sa voracité,
le silure glanis serait un fléau pour nos rivières s’il était plus répandu.
Mais, outre sa fécondité restreinte, on peut supposer que
son frai est attaqué de préférence par une multitude d’ennemis dangereux. Les
anguilles, notamment, si nombreuses sur certains fonds vaseux, le recherchent
spécialement. Il n’est pas jusqu’à certains batraciens, gros crapauds, énormes
grenouilles, tritons adultes, etc., qui ne se gavent copieusement des œufs de
silure collés aux herbes aquatiques.
La chair du silure glanis est blanche, grasse et agréable au
goût, mais elle est souvent molle et indigeste chez les gros individus. En
Russie, la vessie natatoire de ce poisson sert, comme celle des esturgeons, à la
préparation de l’ichtyocolle, mais celle-ci est de qualité inférieure. La peau,
très grasse, est consommée, en guise de lard, par quelques peuplades ;
séchée, elle sert à divers usages industriels.
Je n’ai vu de silure qu’une seule fois dans ma vie, dans la
barque d’un pêcheur du lac de Neuchâtel, en Suisse. Les deux poissons capturés
mesuraient environ 1m,50 et devaient, me dit cet homme, peser chacun
une cinquantaine de livres. Dans ce lac, paraît-il, il en existe de plus gros.
On n’en prend guère à la ligne.
Leur forme, leur couleur, leurs barbillons et leur aspect
général m’ont rappelé, en bien plus gros, le fameux poisson-chat dont on nous a
rebattu les oreilles il y a quarante ans environ et dont on ne parle plus guère
à présent. L’oubli vient vite.
Devons-nous regretter la rareté, dans nos rivières, de cet
énorme carnassier nocturne ?
Je ne le crois pas. Nos cours d’eau contiennent déjà
suffisamment d’insatiables voraces sans qu’il soit nécessaire d’en ajouter
encore d’autres à la liste. Contentons-nous de ceux que nous avons et tâchons
surtout d’augmenter le nombre des poissons vraiment utiles.
Point n’est besoin d’aller chercher au loin des espèces
étrangères qui ne valent pas les nôtres et qu’on n’est jamais sûr de voir
réussir. Les expériences antérieures, sauf pour quelques rares exceptions, ne
nous encouragent guère à entrer dans cette voie scabreuse et fort aléatoire.
R. PORTIER.
|