La plupart des poissons effectuent dans nos rivières des
migrations à certaines époques de leur existence, et notamment au moment de la
fraie.
Les migrations les plus importantes sont effectuées
précisément par les poissons dits « grands migrateurs ».
Ce sont notamment le saumon, l’alose et la lamproie marine,
qui viennent de la mer et remontent certains de nos fleuves pour trouver
l’emplacement favorable à leurs ébats amoureux. Le saumon, on le sait, remonte
très haut dans les gravières des parties les plus en amont et les plus
oxygénées de nos rivières à truites. L’alose s’arrête dans la zone à barbeau,
ainsi que la lamproie. Ce sont des migrateurs anadromes effectuant leur voyage
de noces de l’eau salée vers l’eau douce. Quant à l’anguille, nous l’avons vu
dans une précédente chronique, elle effectue la migration inverse pour aller
pondre dans la mer des Sargasses. C’est un migrateur catadrome.
D’autres poissons de nos rivières sont appelés
semi-migrateurs. C’est le cas de la truite, qui, au moment de la fraie,
effectue des remontées de plusieurs dizaines de kilomètres pour frayer dans les
ruisseaux à eaux froides.
D’une façon générale, tous les poissons — même ceux
paraissant les plus sédentaires, tels le brochet et la carpe — effectuent
de petites migrations au moment de la fraie.
Qu’arrive-t-il lorsqu’un barrage de hauteur infranchissable
est construit sur le parcours de migration avant la zone des frayères ?
Nous l’avons vu, il y a trente ans à peine, pour le saumon,
lors de la construction du barrage de Gastetarbe sur le Gave de Pau et
l’annihilation de l’échelle de Tuilières sur la Dordogne. Les saumons ont
continué à se présenter au pied du barrage, chaque année, tentant vainement de
le franchir. Ils n’ont pu frayer et produire leur descendance. Comme il est
prouvé qu’un saumon, au bout de deux à cinq ans de vie marine, remonte à la
rivière où il a, en moyenne, passé deux ans à l’état de « tacon », au
bout de cinq ans au maximum les derniers saumons provenant des derniers tacons
éclos dans la partie amont de la rivière meurent, et la rivière est
définitivement désertée. Ce phénomène se reproduit pour les autres migrateurs.
Ont été victimes de cette disparition désastreuse, en dehors
de la Dordogne et du Gave de Pau, la Garonne, la Gartempe et la plupart de nos
grandes rivières françaises, sauf celles débouchant en Méditerranée, qui est
privée de saumons.
Depuis longtemps déjà, nos ancêtres se préoccupaient du
dépeuplement des rivières et avaient même inventé des passes à poisson dans les
barrages.
Les plus anciennes sont les « passe-lits »
pratiqués dans les barrages des gaves pyrénéens, et dont une sage coutume du
pays de Béarn, datant de 1662, imposait la construction et l’entretien. Ces
« passe-lits » étaient constitués par un plan incliné à pente douce
(10 à 15°) réunissant les biefs amont et aval, et sur lequel, au moment de la
remontée du saumon, des fagots étaient fixés pour briser la vitesse du courant.
Ainsi s’explique la persistance d’une forte population de saumons dans les
gaves pyrénéens.
Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, de
nombreux barrages se construisent un peu partout, par suite du développement
général de l’industrie. Dès lors, les migrations diminuent fortement dans nos
rivières.
C’est alors que dans notre législation apparaît, pour la
première fois, le terme d’échelles à poisson.
L’article 1er de la loi du 31 mai 1865
prévoit en effet : « Des décrets du Conseil d’État, après avis des
conseils généraux du département, détermineront les parties des fleuves,
rivières, canaux et cours d’eau dans les barrages desquelles il pourra être
établi, après enquête, un passage appelé échelle destiné à assurer la libre
circulation du poisson. » C’est sur est article que se basent les diverses
prescriptions relatives aux règlements d’eaux et aux concessions d’énergie
hydraulique, et notamment l’article 7 du cahier des charges des usines
hydrauliques concédées, rédigé comme suit :
« Le concessionnaire sera tenu, si l’Administration le
reconnaît nécessaire, d’établir et d’entretenir dans le barrage une échelle à
poisson. En ce cas, les fournitures d’alevins imposées au concessionnaire pour réempoissonnement
de la rivière en amont du barrage cesseront d’être dues à partir de la mise en
service de l’échelle. »
Enfin, deux décisions interministérielles des 2 juillet
1927 et 26 mai 1928 donnent :
1° Une liste de sept cours d’eau sur lesquels, vu
l’importance des poissons migrateurs, il ne sera accordé à l’avenir aucune
concession hydraulique, même dotée d’échelles à poisson. Ce sont :
l’Aulne, l’Ellé, l’Allier, l’Adour en partie, le Gave d’Oloron, le Gave de
Mauléon en partie et la Nive.
2° Une liste des cours d’eau sur lesquels aucune concession
nouvelle ne sera accordée sans entente entre les services hydrauliques et de
pêche, et sous certaines restrictions relatives à la hauteur des barrages, à
l’aménagement des passes, etc. Ce sont : la Canche, la Sienne, la Sée, la
Sélune, l’Élorn, le Scorf et le Gave de Pau.
Nous verrons, dans une prochaine chronique, comment ces
diverses prescriptions furent appliquées, quel est le type d’échelle
actuellement adopté et construit en France, et l’équipement remarquable en
échelles à poisson des gaves d’Oloron et de Pau, avec les résultats tout
récents et particulièrement favorables qu’ils ont donnés.
DE LAPRADE.
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